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Éditeurs et universités peinent à fournir des manuels accessibles à temps

Le manque de matériel didactique accessible « entrave fortement la
réussite » des étudiants ayant une déficience visuelle.

par MATTHEW HALLIDAY | 27 AOÛT 19

Adolescente, Alycia Pottie a presque totalement perdu la vue à la suite d’un glaucome et d’une uvéite, une forme d’inflammation oculaire. Elle est depuis considérée comme aveugle au sens de la loi. Au cours des quatre dernières années, pendant ses études en psychologie à l’Université Mount Saint Vincent, elle a eu recours aux outils et aux accommodements qu’utilisent nombre d’étudiants canadiens non-voyants ou malvoyants : matériel didactique en gros caractères, temps additionnel lors des examens, et surtout, manuels électroniques accessibles.

Malheureusement, Mme Pottie devait patienter au moins une semaine, si ce n’est pas plus longtemps, pour obtenir la plupart de ses manuels en début de semestre. Comme les éditeurs exigent une preuve d’achat pour l’obtention de manuels accessibles, Mme Pottie avait pris l’habitude d’acheter les siens bien avant ses collègues, puis de transmettre ses preuves d’achat aux éditeurs par l’intermédiaire des services d’accessibilité de l’Université. Elle patientait alors, le temps que les éditeurs créent enfin les manuels accessibles commandés, puis les expédient aux services d’accessibilité chargés de les lui remettre.

« Compte tenu du nombre d’éditeurs, le personnel des services d’accessibilité est insuffisant, déplore Mme Pottie. Quand les étudiants reçoivent enfin leurs manuels, ils doivent rattraper deux à trois semaines de retard : rien de tel pour échouer. »

Le cas de Mme Pottie est loin d’être unique, et d’être le pire. L’an dernier, Didier Chelin, étudiant en droit à l’Université McGill, a porté plainte contre l’établissement auprès de la Commission des droits de la personne du Québec, alléguant avoir dû passer des mois sans disposer ni de matériel didactique accessible ni d’aide pour ses examens et travaux. Il faudra peut-être des années avant qu’une décision soit rendue dans cette affaire.

Le problème est si répandu que le président de l’INCA (anciennement l’Institut national canadien pour les aveugles), John Rafferty, a adressé en octobre dernier une lettre aux recteurs de toutes les universités canadiennes pour les exhorter à le régler de toute urgence. Compte tenu de leur réaction, qualifiée de décevante par M. Rafferty, l’INCA réfléchit actuellement à une nouvelle stratégie. « Je sais que les universités canadiennes sont confrontées à de multiples pressions et ne comptent en tout qu’environ 4 500 étudiants ayant une déficience visuelle, mais [le manque de matériel didactique accessible] entrave fortement la réussite de ces étudiants. »

Le directeur des services d’accessibilité de la bibliothèque de l’Université de Guelph, Athol Gow, souligne que même quand les manuels accessibles arrivent enfin, ils ne peuvent souvent être consultés que par l’intermédiaire des plateformes de leurs éditeurs respectifs plutôt qu’au moyen des logiciels favoris des étudiants, pour des raisons de droit d’auteur. « Les étudiants sont dans bien des cas contraints de se familiariser avec de multiples plateformes, modes de connexion, présentations et fonctionnalités », déplore-t-il. En outre, le personnel des services d’accessibilité de nombreuses universités est appelé à traiter des demandes provenant d’étudiants aux déficiences visuelles très diverses. Or, les formats convenant aux uns ne conviennent pas forcément aux autres.

Selon M. Rafferty, même s’il faudra du temps pour remédier à ce problème et assurer la coordination entre établissements d’enseignement, gouvernements et éditeurs, il y a un plan sur lequel les universités peuvent agir dès maintenant : celui des documents distribués en classe et autres contenus créés par les professeurs, en particulier ceux qui comportent des éléments tirés de revues, de présentations ou de la presse dans son ensemble.

« Les étudiants aveugles sont ceux auxquels les contenus fournis ou créés par les professeurs sont les plus utiles, affirme Jeff Buhse, technologue au sein des services d’accessibilité de l’Université du Manitoba. Il est généralement facile pour les établissements de rendre ces contenus accessibles. »

Les professeurs peuvent faire des choses toutes simples, comme veiller à ce que les documents qu’ils distribuent soient exempts de notes en marge, qui peuvent aisément perturber les logiciels de lecture d’écran, et à ce que les photocopies d’articles de quotidiens, de revues ou de magazines soient exemptes de bribes d’articles adjacents. Les documents PDF doivent être parfaitement lisibles par les logiciels de reconnaissance optique de caractères, et donc être soigneusement numérisés.

Mme Pottie convient que la plupart de ses professeurs se sont montrés sensibles à son handicap et désireux de l’aider, mais ajoute que rien n’est jamais parfait : « On peut se plaindre si les accommodements sont insuffisants, mais c’est un long processus qui donne au plaignant l’impression d’être l’accusé. »

Selon M. Buhse, une législation plus stricte est nécessaire. Or, au Canada, comme dans la plupart des domaines, la législation sur l’accessibilité varie d’une province à l’autre. Le gouvernement fédéral a récemment adopté la Loi canadienne sur l’accessibilité, mais ses dispositions ne s’appliquent qu’au Parlement, aux sociétés d’État, au gouvernement fédéral et aux entreprises privées régies par les lois fédérales.

Pour le moment, la responsabilité de fournir du matériel didactique accessible incombe à une foule d’intervenants : professeurs, administrateurs universitaires, éditeurs, organisations à but non lucratif. De plus, les capacités varient grandement d’une province et même d’une université à l’autre, ce qui engendre inégalités et défis pour les étudiants.

« L’INCA tente d’améliorer les perspectives d’emploi des Canadiens aveugles ou malvoyants, affirme M. Rafferty. Cela passe en grande partie par la création d’un système d’éducation qui leur permet de participer à l’économie pendant toute leur vie. »

Diplômée depuis mai dernier, Mme Pottie se confie : « J’ai souvent voulu abandonner, mais je suis heureuse d’avoir tenu bon. Même les pires moments que j’ai traversés m’ont appris comment défendre mes intérêts. Ça me sera utile toute ma vie. »

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