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Faudrait-il interdire les relations sexuelles entre professeurs et étudiants?

Au Québec, ces relations devront désormais être encadrées par un code de conduite dans les universités.

par JEAN-FRANÇOIS VENNE | 22 DÉC 17

Le 8 décembre dernier, le gouvernement du Québec a adopté le projet de loi 151, qui vise à prévenir et à lutter contre la violence à caractère sexuel sur les campus des universités et des collèges de la province. La nouvelle loi exige entre autres des universités et des cégeps qu’ils se dotent d’une politique de lutte contre la violence sexuelle. Au cours de la dernière année, la Colombie-Britannique, le Manitoba et l’Ontario ont adopté des lois semblables.

Cette loi du Québec a toutefois suscité beaucoup de discussions, car elle comprend une disposition obligeant les établissements d’enseignement à adopter des politiques qui régissent les relations intimes entre les étudiants et le personnel universitaire, y compris les professeurs et les chargés de cours. Pendant les audiences publiques sur le projet de loi, la ministre québécoise responsable de l’Enseignement supérieur, Hélène David, a affirmé que le gouvernement ne pouvait interdire ce type de relations même s’il le voulait, mais elle a toutefois précisé que les universités et les cégeps auraient ce pouvoir.

La Loi exige que ces politiques soient adoptées d’ici le 1er septembre 2019. Jean-François Huppé, directeur des communications de l’Université Laval, affirmait avant l’adoption du projet de loi que son établissement était prêt à collaborer. « L’Université Laval appuie le projet de loi. Ses propositions s’inscrivent […] dans la volonté des établissements d’enseignement de lutter plus efficacement contre les violences sexuelles. Plusieurs actions sont déjà en cours à l’Université Laval, d’autres restent à réaliser. Nous voulons assurer le bien-être des étudiantes et des étudiants, des membres du personnel et de l’ensemble de la communauté universitaire. »

D’autres intervenants sont plus dubitatifs. Malgré les explications fournies par la ministre, Sandrine Ricci, coordonnatrice scientifique du Réseau québécois en études féministes (RéQEF), déplore que celle-ci n’interdise pas tout bonnement les relations entre professeurs et étudiants. « Nous soutenons que les relations devraient être proscrites entre les étudiants et les personnes pouvant exercer une influence sur leur cheminement, qu’il s’agisse de leurs études ou de leur emploi en milieu d’études », explique Mme Ricci.

Des manifestants protestent contre la violence sexuelle à Montréal en 2016. Photo de Paul Chiasson/Canadian Press.

À l’heure actuelle, aucune université canadienne n’interdit les relations sexuelles entre professeurs et étudiants. Au printemps de 2016, la rectrice intérimaire de l’Université de la Colombie-Britannique, Martha Piper, a demandé aux représentants universitaires de déterminer s’il faudrait les interdire, mais aucune suite n’a été donnée à sa demande. Aux États-Unis, en 2015, la faculté des arts et des sciences de l’Université Harvard a finalement interdit « les relations sexuelles et amoureuses » entre professeurs et étudiants au premier cycle, après la révision d’une politique qui les qualifiait simplement « d’inappropriées ».

La plupart des universités canadiennes formulent tout de même quelques conseils sur cette question. Par exemple, le bureau des droits de la personne et de l’équité de l’Université McMaster propose « pour éviter tout conflit d’intérêts, que les instructeurs cessent d’exercer leurs fonctions d’autorité avant d’entamer une relation amoureuse ou sexuelle avec un étudiant », et les réfère au guide des professeurs de leur association pour obtenir des conseils.

Neil McArthur, professeur agrégé de philosophie et directeur du Centre d’éthique professionnelle et appliquée de l’Université du Manitoba, a écrit dans un article paru dans le Journal of Ethics and Education de février 2017 qu’il y a peu de données sur l’incidence des relations entre professeurs et étudiants. « Ce n’est pas étonnant, compte tenu du caractère délicat de la question et de la confidentialité dont bénéficie une enquête menée par des dirigeants universitaires. » S’il n’y a que quelques études sur le sujet, elles indiquent que de telles relations « ne sont pas rares ». Néanmoins, M. McArthur estime qu’elles ne devraient pas être interdites pour autant.

Une enquête sur les relations sexuelles sur les campus menée par une équipe de chercheurs de six universités du Québec alimente le débat. Publiée l’hiver dernier, lEnquête Sexualité, Sécurité et Interactions en Milieu Universitaire (ESSIMU) a révélé que plus du tiers des participants (36,6 pour cent) ont vécu une forme de violence sexuelle en milieu universitaire. De ce nombre, 30,3 pour cent des cas mettaient en cause une personne en position d’autorité, et plus d’un quart un membre du corps professoral.

Tant l’Union étudiante du Québec (UEQ) que l’Association pour la voix étudiante au Québec (AVEQ) souhaitent qu’on interdise ce type de relations lorsqu’il y a un lien d’autorité direct entre un professeur et un étudiant. C’est le cas, par exemple, lorsque le professeur agit comme enseignant, directeur de maîtrise ou de thèse, ou encore comme employeur. « Il est alors très ardu de savoir si le consentement est réel, avance Simon Telles, président de l’UEQ. Cela remet aussi en question la valeur de l’évaluation et l’équité des opportunités entre étudiants, par exemple du côté de l’octroi des contrats de recherche. »

L’UEQ craint que laisser chaque université adopter son propre code de conduite ne crée des disparités entre la protection et les recours accordés aux étudiants dans les établissements.

De son côté, Martine Delvaux, professeure de littérature à l’Université du Québec à Montréal, invite depuis déjà trois ans les gens à se questionner sur la justesse de tels rapports, tout en admettant comprendre qu’il soit difficile pour la ministre ou les administrations universitaires de trancher. Elle rappelle que même certaines féministes rejettent l’adoption d’un code de conduite, arguant que cela est paternaliste envers des étudiants adultes capables de prendre leurs propres décisions. L’argument des « adultes consentants » revient d’ailleurs souvent chez les opposants au code de conduite.

« Le consentement entre deux personnes vivant une relation de pouvoir aussi évidente est inexistant », croit pourtant Mme Delvaux. Elle rappelle que quand une relation de ce type tourne mal, la personne la plus vulnérable, l’étudiant, écope. Se brouiller avec son directeur de thèse, par exemple, peut nuire gravement à la réussite de ses études, mais aussi à la poursuite de sa carrière, puisque celui-ci peut se retrouver entre autres dans des comités de lecture de revues scientifiques ou des comités d’embauche.

L’application concrète d’un code de conduite inquiète la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU). « Y aura-t-il une police des moeurs sur les campus pour surveiller les professeurs? On risque de créer un climat de délation où tout le monde se sent épié », avance Jean-Marie Lafortune, président de la FQPPU.

Perrine Argiles et Häxan Bondu, respectivement responsable à la coordination générale et responsable aux affaires sociopolitiques de l’AVEQ, craignent plutôt que le débat sur les relations entre professeurs et étudiants occulte les violences sexuelles entre étudiants. Dans l’ESSIMU (PDF), 70 pour cent des personnes ayant subi une forme de violence sexuelle en milieu universitaire rapportaient des gestes impliquant un étudiant.

« Bien sûr qu’il faut parler des relations entre professeurs et étudiants, mais sans oublier que les violences sexuelles proviennent bien plus souvent des autres étudiants que des professeurs », prévient Mme Argiles.

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  1. Sylvain Marois / 22 décembre 2017 à 10:45

    Connaissez-vous la position de la FNEEQ, première fédération d’enseignants à avoir adopté une position pour proscrire les relations intimes, amoureuses et sexuelles entre les profs et les étudiants-es ?

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