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Il est urgent que l’étude du terrorisme progresse au Canada

Bien qu’elle gagne en importance, cette discipline se heurte à de plus en plus d’obstacles selon les universitaires.

par NATALIE SAMSON | 14 JAN 15

Au début du mois de décembre, une vidéo tournée en Syrie montrant un homme originaire d’Ottawa appelant les musulmans canadiens à joindre les rangs de l’État islamique, un groupe extrémiste, est apparue sur Internet. Lorne Dawson, professeur à l’Université de Waterloo, a alors dû passer la journée à répondre aux questions des médias. Cependant, il avait dû accorder davantage d’entrevues (plus de 25) à la suite de la fusillade survenue au Monument commémoratif de guerre et sur la Colline du Parlement en octobre. Cette attaque, qui suivait celle d’un djihadiste solitaire à Saint-Jean-sur-Richelieu, au Québec, a indubitablement suscité l’intérêt des médias pour l’expertise canadienne en matière de terrorisme, explique M. Dawson qui, en plus d’être professeur de sociologie, de droit et de théologie à l’Université de Waterloo, est codirecteur du Canadian Network for Research on Terrorism, Security and Society (TSAS). D’après lui, l’éveil de cet intérêt a permis de mettre en lumière qu’il y a peu d’experts canadiens dans ce domaine.

« Par rapport aux autres grands pays occidentaux, le Canada tarde à former des universitaires capables de se pencher sur les questions de terrorisme et de sécurité. C’est pourquoi je tente d’apporter mon aide », poursuit M. Dawson qui, jusqu’en 2008, a passé l’essentiel de sa carrière à étudier les mouvements et les cultes religieux émergents. Il explique avoir décidé de travailler sur l’extrémisme religieux, la radicalisation et le terrorisme après avoir observé que nombre des experts qui, à l’époque, s’exprimaient publiquement sur ces sujets étaient d’anciens convertis, policiers, militants antiterrorisme ou chercheurs étrangers qui ne s’intéressaient pas aux particularités du contexte canadien.

Selon M. Dawson, la priorité en matière d’étude du terrorisme consiste à compiler des données qualitatives de base sur la radicalisation. Pourquoi de nombreux jeunes Canadiens se convertissent-ils à l’islam? Pourquoi seuls certains d’entre eux sombrent-ils dans la violence radicale? En quoi les médias sociaux et la propagande en ligne contribuent-ils à cette radicalisation? Socioanthropologue et agrégé supérieur de recherche au Canadian Centre of Intelligence and Security Studies de l’Université Carleton, Marc Tyrrell estime qu’il faut également se pencher sur l’histoire du terrorisme. D’après lui, cela contribuerait grandement à la compréhension des conflits actuels.

C’est pour combler les besoins en matière de données que M. Dawson a cofondé le TSAS en 2012. Fruit d’un partenariat entre l’Université de Waterloo, l’Université de la Colombie-Britannique et l’Université Simon Fraser ainsi que la Balsillie School of Internal Affairs, ce réseau compte 130 associés dont un comité de direction formé de 10 membres, spécialistes de divers sujets : droit, criminologie, géographie, psychologie, sociologie, théologie, sciences politiques, immigration et mobilité géopolitique.

Selon M. Dawson, le TSAS reste à ce jour le seul réseau de recherche strictement axé sur l’étude du terrorisme que compte le Canada, et pourtant son financement est menacé. Bien que les chercheurs du TSAS aient obtenu à ce jour des subventions du projet Kanishka (un fonds fédéral pour la recherche liée au terrorisme), du Conseil de recherches en sciences humaines et du Programme canadien pour la sûreté et la sécurité, le financement à long terme de leurs travaux n’est toujours pas garanti, demeurant tributaire de contrats gouvernementaux (M. Dawson, par exemple, travaille actuellement en tant qu’expert à la fois pour Recherche et développement pour la défense Canada, pour le Service canadien du renseignement de sécurité et pour le département américain de la Sécurité intérieure).

C’est pour mettre fin à cette situation que la direction du TSAS tente de trouver un bailleur de fonds qui soit indépendant du gouvernement fédéral, afin de bien montrer qu’il s’agit d’un réseau d’étude indépendant et non partisan axé sur la compilation de données solides, et non pas d’une structure qui appuie la politique gouvernementale.

« L’étude du terrorisme est de toute première importance. L’existence du Canada en tant que nation en dépend, souligne M. Tyrrell. Ce type d’étude témoigne de l’indépendance des universités en matière de recherche et montre que les universitaires sont libres de se pencher sur ce que révèlent les données. »

L’étude du terrorisme a gagné en popularité auprès des étudiants et de certains universitaires canadiens. Selon M. Tyrrell, le nombre d’universitaires qui s’y adonnent est passé de 20 en 2001 à quelque 200 aujourd’hui, mais ceux-ci continuent de se heurter à de nombreux obstacles. M. Dawson cite en exemple le cas d’un projet du TSAS étalé sur deux ans. Souhaitant interviewer des Canadiens partis se battre en Syrie et en Irak ou, par le passé, en Bosnie, en Tchétchénie, en Somalie et au Sri Lanka, l’équipe de chercheurs a dû patienter près de 10 mois avant d’obtenir les autorisations ministérielles nécessaires (le projet est financé en partie par Sécurité publique Canada) ainsi que le feu vert des comités d’éthique en recherche de l’Université de Waterloo, de l’Université de la Colombie-Britannique et de l’Université Dalhousie.

Selon M. Dawson, en plus de craindre pour la sécurité des chercheurs, les comités doutaient de leur capacité à garantir l’anonymat des personnes interviewées impliquées dans des activités criminelles susceptibles de mettre en péril la sécurité nationale, ou au courant de telles activités. « L’étude du terrorisme fait l’objet de toutes sortes de restrictions qui ne reposent que sur des craintes théoriques, déplore M. Dawson. Un criminologue qui s’intéresserait aux falsificateurs de chèques ne se heurterait pas à de telles restrictions, pourtant, l’ampleur des risques encourus est identique ou comparable. »

En décembre, lors d’une réunion du Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense, divers témoins ont été interrogés au sujet de la radicalisation des étudiants sur les campus. Parmi ces témoins figuraient Jeremy Littlewood, professeur adjoint à la Norman Paterson School of International Affairs de l’Université Carleton, et Craig Forcese, professeur agrégé de droit à l’Université d’Ottawa. Le président du comité, Daniel Lang, sénateur conservateur du Yukon, a demandé aux deux hommes si, selon eux, on assistait à une radicalisation au sein des universités et, dans l’affirmative, comment faire pour surveiller l’évolution de la situation.

Aucun des deux professeurs ne s’est dit convaincu que la radicalisation sur les campus est un problème. M. Littlewood a indiqué que même si les universités doivent contribuer à la lutte contre l’extrémisme violent, « ce n’est pas à elles qu’incombe la tâche de régenter la société canadienne ».

Appuyant son collègue, M. Forcese abonde dans le même sens : « En tant qu’ancien administrateur universitaire, je me garderais de présumer trop vite que les universités disposent de l’expertise et des ressources qu’exige la mise en place d’une stratégie antiradicalisation. Les universités sont censées favoriser le débat et le dialogue. Tout ce qui va à l’encontre de cela heurte les sensibilités. Il importe d’assurer un juste équilibre entre la tenue d’enquêtes potentiellement intrusives et le mandat des universités. »

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