Dans la foulée des débats qui se poursuivent au Québec sur la place des symboles religieux dans le domaine public, une vingtaine de chercheurs en sciences humaines ainsi que des intervenants sur le terrain se sont réunis en janvier à l’Université du Québec à Montréal pour faire le point sur l’interculturalisme comme modèle d’intégration des immigrants et de cohésion sociale au Québec. C’était un avant-goût de certaines questions qui seront débattues lors du Symposium international sur l’interculturalisme, qui réunira une panoplie de chercheurs québécois et européens, à Montréal du 25 au 27 mai 2011.
L’historien et sociologue Gérard Bouchard, président du comité organisateur du Symposium, donnait le ton des débats en parlant de ses in-quié-tudes pour l’avenir du Québec. « Comment le Québec peut-il sortir de la dualité « eux et nous », alors que d’ici 20 ans l’immigration atteindra 30 pour cent à Montréal et 20 pour cent au Québec? Comment doit-on mettre l’accent sur l’intégration des immigrants, tout en reconnaissant à la culture majoritaire québécoise des éléments de préséance ad hoc et ponctuels pour définir la culture commune? », demandait-il.
La sociologue Micheline Labelle faisait remarquer « qu’il faut en finir avec cette opposition binaire majorité-minorités. Si des théories et des politiques d’intégration s’imposent actuellement, elles doivent se comprendre dans un contexte plus large comme la lutte anti-raciste et la participation citoyenne de tous ».
Certains participants ont préconisé l’actualisation du contrat moral, présent dans l’Énoncé de politique en matière de diversité, adopté au Québec en 1990, pour ne pas mettre dans un même panier nouveaux arrivants, immigrants et communautés ethnoculturelles. Leur réalité socio-économique et le rapport identitaire au Québec semblent loin d’être uniformes. Si la majorité des participants était d’accord sur les principes de citoyenneté participative, de laïcité ouverte, de lutte à la discrimination systémique des immigrants et des communautés ethnoculturelles, la diversité serait vécue autrement.
Certains groupes invités, comme la Fondation de la tolérance et la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, ont précisé à quel point il est difficile de trouver un juste équilibre entre la légitimation des différences et la valeur accordée aux traits communs dans la société québécoise. Ces conférenciers ont pointé du doigt le profilage racial et la discrimination systémique, notamment en emploi. Pour Robert Vyncke du groupe Conseil continuum qui travaille sur la diversité en entreprise, il est encore nécessaire d’offrir des formations à l’interculturel aux gestionnaires d’entreprise pour enrayer les zones de tension. « De grandes entreprises québécoises restent encore très frileuses vis-à-vis des programmes d’accès à l’égalité, même si certains progrès ont été réalisés dans la pratique d’accommodements, qui sont souvent perçus comme des privilèges accordés aux minorités par la majorité québécoise », a-t-il dit.
Marie-Josée Duplessis de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, a réitéré « la nécessité de consolider des programmes qui fonctionnent bien, comme le jumelage et l’accompagnement des immigrants … Il s’agit de mettre à la disposition des organismes sur le terrain des moyens financiers adéquats et non plus de faire du saupoudrage à la petite semaine ».
Ces deux journées de débats et de discussion sur l’interculturalisme se sont terminées par une démonstration de François Rocher, directeur de l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, sur les multiples interventions de l’État pour la diversité québécoise. « Des ponts restent à créer entre les dimensions instrumentaliste, humaniste et d’appartenance au Québec, sans chercher à aplanir les angles morts sur un héritage historique commun et en trouvant les moyens de maintenir la paix sociale dans une société néolibérale, démocratique et laïque », a-t-il conclu.
Une question fondamentale demeure : Faut-il finalement créer une loi sur l’interculturalisme qui mettra en valeur un modèle différent du multiculturalisme canadien, que les Québécois considèrent comme un modèle communautariste, et différent du modèle républicain français qu’ils trouvent trop assimilationniste? Le débat reste ouvert et devrait apporter un éclairage intéressant où d’autres sujets comme les formes de laïcité préconisées au Québec, l’éducation et l’interculturalisme seront également abordés à l’occasion du Symposium en mai dans une perspective comparative avec l’Europe.
Mme Yamani est chercheuse indépendante en relations ethniques et médias.