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La dimension éthique en situation de pandémie : une question complexe

Entrevue avec Ross Upshur, expert en santé publique à l’Université de Toronto.

par WENDY GLAUSER | 13 FEV 20

C’est pendant la crise du SRAS de 2003, alors qu’il travaillait en santé publique, que Ross Upshur a décidé d’axer ses travaux de recherche sur l’éthique des interventions en situation de pandémie. Chef de la division de la santé clinique et publique de l’école de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto et directeur adjoint de l’institut de recherche Samuel-Lunenfeld du Sinai Health System, le docteur Upshur a publié de nombreux articles sur les enjeux éthiques en situation de pandémie. Il a aussi conseillé l’Organisation mondiale de la santé, Médecins sans frontières et l’Agence de la santé publique du Canada dans la rédaction de multiples documents de référence sur le virus Ebola, la grippe H1N1 et autres. Il aide les autorités à prendre des décisions difficiles en cas de pandémie, comme celle d’évacuer les ressortissants canadiens qui présentent les symptômes du nouveau coronavirus.

Nous avons interrogé le docteur Upshur sur son parcours et sur l’importance de consulter la population au sujet de l’éthique des interventions en situation de pandémie.

Affaires universitaires : Comment en êtes-vous venu à étudier l’éthique de la préparation aux pandémies? 

Ross Upshur : En 2003, lors de l’éclosion du SRAS, j’ai été nommé médecin-hygiéniste adjoint, responsable de la mise en quarantaine d’un grand nombre de personnes dans le secteur York, au nord de Toronto. Je devais tenir compte des risques pour la population ainsi que des conséquences de la quarantaine sur la vie des gens, à savoir leurs études, leur emploi, etc.

J’ai constaté des écarts entre les documents de référence qui traitent de droit et ceux qui traitent d’éthique. De nombreuses questions d’éthique auxquelles nous n’étions pas préparés ont surgi avec cette épidémie. Des professionnels de la santé ont refusé de se présenter au travail : avaient-ils l’obligation de fournir des soins en cas d’épidémie même si, selon eux, leur établissement de santé n’en faisait pas assez pour les protéger? Dans quels contextes les autorités de santé publique peuvent-elles divulguer les noms des personnes infectées?

Nous avions besoin d’être guidés sur la manière éthique d’aborder les différentes situations susceptibles de se produire pendant une pandémie. Mes collègues et moi avons donc rédigé un article sur les leçons d’éthique tirées de l’épidémie du SRAS dans le British Medical Journal. J’ai ensuite été invité à faire partie d’un groupe de travail chargé d’établir des règles d’éthique en vue de l’éventuelle pandémie grippale que tout le monde s’est mis à redouter après le SRAS.

AU : Parlons de quarantaine. De quels facteurs éthiques doit-on tenir compte pour décider qui mettre en quarantaine et sur quoi fonder la décision?

Dr Upshur : D’abord, il est important de distinguer l’isolement de la quarantaine. L’isolement s’applique aux personnes qui présentent déjà des symptômes de la maladie infectieuse, tandis que la quarantaine s’applique à celles qui pourraient y avoir été exposées, mais qui ne présentent encore aucun symptôme. La quarantaine est volontaire et se fait généralement à la maison, mais en cas de non-coopération, la loi permet aux autorités de santé publique de l’imposer.

On ne décide de mettre des personnes en quarantaine que s’il existe un risque de transmission infectieuse. Il faut aussi prendre en considération que, lorsqu’on demande à des personnes de renoncer à leurs droits constitutionnels de liberté de mouvement et d’association, on a aussi des obligations envers elles. On ne peut pas simplement placer une personne en quarantaine sans lui fournir les provisions et les médicaments dont elle a besoin, ou encore risquer de lui faire perdre son emploi. On doit établir clairement la durée de la quarantaine, les conséquences de sa violation et les responsabilités de l’employeur et des diverses parties concernées. Il y a donc une grande quantité d’information à transmettre.

AU : Vous soutenez que l’obligation de diligence devrait être inscrite dans les codes de déontologie du milieu de la santé. Pouvez-vous expliquer?

Dr Upshur : Lors de notre enquête auprès des travailleurs de la santé, une phrase est revenue souvent : « Je ne savais pas qu’en devenant un professionnel de la santé, je mettrais ma vie en jeu. » De tout temps, les cliniciens ont été conscients de cette réalité. En 1868, le premier code de déontologie de l’Association médicale canadienne contenait une clause stipulant qu’en temps d’épidémie, les médecins avaient le devoir de soigner leurs patients, même au péril de leur vie. Mais peu après la pandémie de grippe espagnole, pour une raison qui m’échappe, cette exigence a été rayée de nombreux codes de déontologie. (J’espère trouver le temps de fouiller pour éclaircir ce mystère.)

Je soutiens que les médecins et les infirmières ont une obligation de diligence en cas de pandémie, car s’ils ne s’occupent pas des malades, qui le fera? Il existe d’autres professions pour lesquelles le risque de mort est connu et accepté : soldat et pompier, par exemple. Mais le principe de réciprocité, que je défends depuis longtemps, est aussi important. En cas d’épidémie, le personnel de la santé ne doit pas être laissé à lui-même; on doit lui fournir tout le soutien et le matériel nécessaire pour réduire les risques le plus possible.

AU : Vous avez interrogé des Canadiens pour connaître leur position sur les questions d’éthique dans la gestion des pandémies. Pourquoi estimez-vous important de sonder la population plutôt que de laisser les décisions difficiles aux experts?

Dr Upshur : Dans les années qui ont suivi la crise du SRAS, nous avons mené deux enquêtes nationales et tenu des assemblées populaires partout au Canada. Un expert expliquait ce qu’était une pandémie grippale et parlait d’épidémiologie, puis les participants discutaient de cas possibles en situation de pandémie. Nous avions par exemple des scénarios de quarantaine, d’obligation de diligence et d’allocation de ressources. Ensuite nous avons demandé aux participants quels travailleurs de la santé devraient se retrouver aux premières lignes. Ils ont d’abord désigné ceux qui étaient jeunes, en santé et sans enfants, suivis des jeunes en santé avec enfants, pourvu que ces derniers soient adéquatement pris en charge. En dernier lieu, ils ont désigné les travailleurs âgés, souffrant possiblement de diabète ou de problèmes immunitaires susceptibles de les mettre en danger. Tout le monde n’était pas toujours d’accord, mais nos travaux ont démontré que les citoyens prenaient la question très au sérieux, et nous ont fourni des renseignements importants sur les valeurs qui doivent guider nos choix.

Bon nombre de ces décisions ne sont pas fondées sur des données probantes, car les données ne sont pas toujours disponibles. On doit alors trancher en fonction de certaines valeurs. C’est pourquoi nous devons discuter avec la population en période interpandémique. Pendant l’ouragan Katrina, alors que l’eau montait, un hôpital a été inondé et privé de courant, mais aucun ordre de priorité en cas d’évacuation n’avait été établi. La police, les pompiers et la garde côtière ne s’entendaient pas sur les personnes à évacuer. Il ne faut pas attendre que l’eau monte et que le courant soit coupé pour discuter des priorités.

J’ai connu six épidémies mondiales du genre au cours de ma carrière, et les mêmes questions reviennent toujours. Pour endiguer le flot de désinformation et gagner la confiance de la population quand vient le temps d’intervenir, un dialogue ouvert est essentiel, tout comme la communication d’un message clair par les autorités de la santé.

Cet entretien a été revu et condensé pour en améliorer la clarté.

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  1. Éric E. Van Blaeren / 13 février 2020 à 16:39

    « Quand vient le temps d’intervenir, un dialogue ouvert est essentiel. »
    On devrait ajouter qu’il est aussi essentiel d’informer la population en dehors des catastrophes pour les préparer à contrer ce qui pourrait se produire.

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