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La fonte des glaces et des neiges détruit le patrimoine historique

Le changement climatique menace les sites archéologiques autochtones du Nord canadien.

par KERRY BANKS | 29 JUIN 20

« Un pan de l’histoire est en train de disparaître », souligne Max Friesen, professeur d’archéologie à l’Université de Toronto, à propos de l’effet destructeur du changement climatique sur les sites archéologiques du Nord canadien. Selon M. Friesen, qui a réalisé de nombreux travaux sur le terrain près du delta du fleuve Mackenzie dans les Territoires du Nord-Ouest, la rapidité à laquelle le pergélisol fond et la côte s’érode prend une dimension catastrophique.

À mesure que fondent les couches superficielles du pergélisol, des trésors ensevelis sont mis au jour. « Nous trouvons des artéfacts parfaitement intacts créés à partir de matériaux organiques comme des peaux, des os et des tendons d’animaux qui remontent à des milliers d’années, explique M. Friesen. Le genre d’artéfacts que l’on ne trouve nulle part ailleurs. »

Bien que providentielle pour les archéologues, cette manne est soumise à un lourd tribut : le réchauffement climatique révèle plus d’artéfacts qu’ils ne peuvent en traiter. « C’est à la fois une bénédiction et une malédiction, admet M. Friesen. Aussitôt exposés aux éléments, ces sites encore inaltérés commencent à se détériorer. Les répercussions sont désastreuses. »

Des plaques de glace comme celle-ci au Yukon, autrefois stables, fondent maintenant, révélant de nombreux artefacts. Photo du gouvernment du Yukon.

Parallèlement, l’érosion côtière s’accentue en raison de l’élévation du niveau de la mer, de l’intensification de l’activité orageuse et de la diminution de la glace de mer protectrice. Elle mine le travail des archéologues, sachant que la plupart des zones de peuplement autochtones sont situées sur la côte. « Désormais, on voit d’immenses sites littéralement basculer dans l’eau. Par exemple, le village inuit de Nuvugaq près du delta du Mackenzie qui datait d’avant l’arrivée des Européens et comptait 17 grosses huttes de terre et une structure communautaire a été entièrement emporté par les eaux », poursuit M. Friesen.

Les travaux de M. Friesen dans la région du delta du Mackenzie sont réalisés en partenariat avec des groupes autochtones qui conseillent les archéologues quant aux endroits susceptibles de receler des sites historiques intéressants. « Le changement climatique préoccupe grandement les collectivités autochtones, car elles doivent composer chaque jour avec ses répercussions », conclut M. Friesen.

Les champs de glace disparaissent aussi

En raison du changement climatique, on découvre également des trésors archéologiques dans les champs de glace en haute altitude où les matières organiques se préservent exceptionnellement bien. Contrairement aux glaciers qui bougent et broient lentement tous les artéfacts qu’ils dissimulent, les bancs de glace alpine ont tendance à demeurer stables, ou avaient cette tendance, jusqu’à ce que l’effet du réchauffement graduel se fasse sentir.

Depuis 1997, plus de 200 artéfacts bien conservés ont été retrouvés : la plupart dans le sud du Yukon, mais certains dans les Territoires du Nord-Ouest. Parmi les trouvailles figurent un dard en bois pour la chasse (9 300 ans), des flèches à la pointe en cuivre et aux plumes intactes (850 ans), un collet à écureuil (1 000 ans) et un mocassin (1 400 ans).

Un assortiment de pointes en bois de cerf de chasse au gros gibier qui comprend une flèche barbelée de 900 ans avec une lame d’extrémité en cuivre (en haut), recueilli dans les plaques de glace fondantes au Yukon. Photo: Gouvernement du Yukon.

« Les bancs de glace renferment souvent des armes, puisque les caribous et les rennes s’y réfugiaient pour fuir la chaleur estivale et les insectes et que les peuples autochtones suivaient et chassaient ces animaux, explique Christian Thomas, archéologue responsable des projets spéciaux auprès du gouvernement du Yukon. Ces découvertes nous permettent de mieux comprendre l’ancienne technologie utilisée pour la chasse », précise-t-il, ajoutant que les travaux réalisés au Yukon sont menés en partenariat avec six Premières Nations différentes.

« Ces artéfacts dénotent un incroyable savoir-faire, indique Glen MacKay, archéologue territorial et gestionnaire du Programme des sites culturels auprès du Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Ils sont fabriqués avec soin et bien conçus, et ressemblent même à un goujon acheté en quincaillerie. »

Bien que certains bancs de glace fassent désormais l’objet d’une surveillance, les archéologues ne peuvent mesurer tous les éléments qui leur échappent à mesure que les glaces fondent. La dimension écologique soulève également des préoccupations. « Les bancs de glace font partie intégrante d’un écosystème qui se détériore. Il est de plus en plus difficile pour les caribous de demeurer en santé et d’assurer leur thermorégulation. Même les bancs de glace qui datent de 10 000 ans commencent à disparaître. C’est très alarmant », souligne M. Thomas.

Gros plan d’une pointe Clovis attachée au bout d’une flèche de 6000 ans récupérée après la fonte d’une plaque de glace près du lac Alligator sur le territoire traditionnel des Premières nations de Carcross/Tagish et de Kwanlin Dun. Photo: Gouvernement du Yukon.

Selon Robert Park, archéoanthropologue de l’Université de Waterloo dont la carrière est principalement axée sur l’étude du mode de vie des collectivités exposées aux rigueurs du climat arctique, les artéfacts sont si nombreux à émerger des glaces qu’ils entraînent un grave problème d’entreposage. « Tous les matériaux excavés doivent être conservés, organisés et entreposés adéquatement dans un musée. Nous n’avons ni le personnel spécialisé ni l’espace pour traiter le tout. Les 140 000 éléments d’archive du Nunavut sont désormais entreposés au Musée canadien de l’histoire à Gatineau, au Québec. »

Les travaux en région arctique soulèvent d’énormes défis en raison de contraintes logistiques et des distances, des coûts associés au carburant et aux activités sur le terrain, et de la brièveté de la saison des fouilles. De l’avis de M. Friesen, seule la mise en place de mesures d’intervention nationales de concert avec des groupes autochtones pourra peut-être améliorer la situation.

« Il est compliqué de classer les zones de fouille par ordre d’importance et de définir les zones les plus à risque. J’avais repéré plusieurs sites prometteurs où mener des fouilles au cours des prochaines années, mais quand j’y suis retourné pour un examen approfondi, plus rien ne justifiait les travaux. Les zones les plus riches ont disparu. C’est une vraie catastrophe. Nous ne pouvons désormais que tenter de préserver les artéfacts les mieux conservés. »

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