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La nouvelle loi canadienne anti-pourriel risque de poser problème aux universités

La loi n’accorde qu’une exemption limitée aux universités et aux autres organisations de bienfaisance.

par ROSANNA TAMBURRI | 12 FEV 14

Les universités se penchent présentement sur ce qu’elles doivent faire pour se conformer à la nouvelle loi canadienne anti-pourriel, qui interdira l’envoi de messages électroniques non sollicités (courriels, textos, etc.). Adoptée en 2010 par le Parlement, cette loi, qui doit entrer en vigueur le 1er juillet 2014, vise à interdire l’envoi de pourriels et à protéger le consommateur du harcèlement, de l’usurpation d’identité, des logiciels-espions et de la fraude. C’est ce qu’a déclaré en décembre dernier le ministre de l’Industrie, James Moore, lors de l’annonce de la réglementation définitive associée à la loi.

Une fois en vigueur, la loi interdira aux entreprises et autres organisations tout envoi de « messages électroniques commerciaux » (courriels, textos, etc.) sans le consentement préalable du destinataire. Même en présence d’un tel consentement, les expéditeurs devront procurer au destinataire un moyen d’indiquer s’il ne souhaite plus recevoir de tels messages. La loi prévoit des pénalités de taille pouvant atteindre un million de dollars pour les particuliers et 10 millions pour les entreprises.

Les universités avaient demandé à bénéficier d’une exemption générale, soutenant que l’interdiction de l’envoi des messages électroniques mettrait en péril leur activité de base, de nature éducative. Or, la réglementation annoncée en décembre n’accorde aux organismes de bienfaisance enregistrés et aux organisations à but non lucratif, universités comprises, qu’une exemption limitée touchant l’envoi de messages électroniques destinés à recueillir des fonds. Selon Bill Schaper, directeur des politiques publiques et de l’engagement communautaire d’Imagine Canada – organisation chargée de représenter ces organismes –, cette exemption constitue « une avancée considérable » qui rendra la loi « beaucoup moins contraignante » pour les organisations et organismes en question.

Il semble toutefois que les universités voient les choses un peu différemment. « C’est une avancée positive, mais qui ne résout pas tous nos problèmes », estime Christine Silversides, directrice des Services juridiques de l’Université York. La collecte de fonds ne représente que l’une des fins qui motivent le recours aux messages électroniques. Les universités utilisent en effet également le courriel pour communiquer avec les anciens, informer sur leurs programmes d’études et recruter des étudiants. On ignore encore si d’autres exemptions ou dispositions autoriseront l’envoi de messages électroniques à de telles fins.

« Cette loi apparaît vraiment comme une des législations anti-pourriel les plus sévères au monde, ajoute Mme Silversides. Son champ d’application est très large, et elle prévoit des pénalités colossales », déplore-t-elle, ajoutant qu’elle pourrait avoir une « incidence considérable » sur les pratiques de communication des universités. Mme Silversides signale en outre qu’à compter de 2017, la loi permettra aux consommateurs d’engager des poursuites judiciaires à l’encontre des organisations coupables de l’envoi de messages électroniques non sollicités, ce qui risque d’ouvrir la porte à des recours collectifs visant les universités et d’autres organisations.

Elle précise toutefois que la loi vise avant tout les entreprises expéditrices de messages électroniques commerciaux. Or, les universités estiment que leurs activités sont avant tout de nature éducative, non commerciale. Selon Mme Silversides, « on peut donc s’interroger sur la nature commerciale des messages électroniques qu’elles envoient ». Un groupe de conseillers juridiques d’universités devait se réunir au début de 2014 pour se pencher sur la réglementation annoncée et son application ou non aux établissements d’enseignement.

La loi, dont l’élaboration a demandé presque 10 ans, est très attendue par les associations de consommateurs. Le gouvernement fédéral a créé un site Web qui permettra à ces associations de signaler les manquements à la loi et de porter plainte. L’application de la loi sera assurée conjointement par le CRTC, le Bureau de la concurrence et le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique à l’Université d’Ottawa, a récemment affirmé sur son blogue que la loi constitue une « victoire pour le consommateur », tout en déplorant que le Canada soit le dernier des grands pays développés à se doter d’une législation anti-pourriel. Il avait auparavant précisé, sur ce même blogue, que les établissements d’enseignement et les autres organisations à but non lucratif ne risquent nullement d’être paralysés par la loi, les exceptions prévues par celle-ci leur garantissant toute la souplesse nécessaire.

Une disposition de la loi autorise en effet une organisation à se fonder dans certains cas sur le « consentement tacite » du destinataire pour lui faire parvenir des messages électroniques, notamment en présence d’une « relation d’affaires en cours » – à savoir dans la mesure où une transaction commerciale est intervenue entre les parties dans les deux ans précédant l’envoi du message concerné, ou si le consommateur a adressé une demande de renseignements à l’expéditeur dans les six mois précédant l’envoi. M. Geist précise que les étudiants qui acquittent leurs frais de scolarité sont réputés entretenir une telle relation.

« Certaines zones grises persistent », signale Christine Tausig Ford, vice-présidente de l’Association des universités et collèges du Canada qui, depuis un an, s’est employée avec Imagine Canada à faire part de ses inquiétudes touchant les conséquences involontaires de la législation anti-pourriel. « Les règlements annoncés par le gouvernement en décembre constituent une victoire importante pour les universités et pour le secteur à but non lucratif, souligne-t-elle. Avec les fonctionnaires fédéraux et nos collègues d’Imagine Canada, nous tentons d’obtenir certains éclaircissements, notamment en ce qui concerne l’envoi de courriels visant le recrutement des étudiants – un volet important de la mission des universités. »

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