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La réforme des Fonds de recherche du Québec inquiète le milieu universitaire

La récente refonte de la gouvernance des fonds de recherche québécois inquiète une partie de la communauté scientifique, qui y voit une menace à la recherche libre. Le gouvernement la pré-sente plutôt comme une simple réforme administrative.

par JEAN-FRANÇOIS VENNE | 19 JUIN 24

Le projet de loi 44, déposé le 7 février dernier, a été adopté le 9 mai et est en vigueur depuis le 1er juin. Il place de manière définitive la recherche sous la responsabilité du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MEIE). Depuis plus de dix ans, le gouvernement québécois votait des décrets successifs pour garder les Fonds de recherche du Québec (FRQ) sous l’égide de ce ministère, bien qu’ils relevaient en théorie de celui de l’Enseignement supérieur.

Les demandes répétées des syndicats de professeures et professeurs pour rapatrier la recherche dans le giron de l’enseignement supérieur ont échoué. Le gouvernement n’a consenti qu’à ajouter la présence d’une personne observatrice (sans droit de vote) de ce ministère sur le conseil d’administration du FRQ.

Préserver la recherche libre

« La recherche et l’enseignement supérieur sont intrinsèquement liés dans le fonctionnement des universités et dans le travail des professeurs, donc les séparer dans deux ministères différents pose des problèmes de cohérence », estime Madeleine Pastinelli, présidente de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU).

Elle ajoute que la mission du MEIE n’est pas l’avancement des connaissances, mais le développement économique. Elle craint l’inféodation des orientations de la recherche à des objectifs économiques. Son syndicat a publié une analyse qui soutient que la part relative des subventions avec modalité, qu’il associe à de la recherche ciblée, est passée de 15 % à 45 % de l’ensemble du financement depuis que la recherche a été déplacée sous ce ministère en 2015.

Les FRQ contestent cette affirmation. Selon eux, les financements avec modalité ne sont pas réservés à de la recherche ciblée, et peuvent aussi appuyer de la recherche libre. Les fameuses « modalités » référeraient plutôt à la définition des sommes et de la durée des versements dans les ententes entre un fonds et le gouvernement. Ils affirment qu’en 2022-2023, seulement 20 % de leur budget a été consacré à de la recherche orientée.

« Pour la première fois, la nouvelle loi garantit des budgets protégés pour chaque secteur de recherche, ajoute le scientifique en chef du Québec et PDG du FRQ, Rémi Quirion. Auparavant, le gouvernement pouvait répartir les augmentations de financement entre les trois fonds selon son bon vouloir, bien qu’il ne nous ait jamais rien imposé. »

Trois dans un

La nouvelle loi introduit également de profonds changements de gouvernance, notamment la fusion des trois fonds disciplinaires (Nature et technologies, Santé, Société et culture) en un seul.

« La création de trois fonds distincts découlait de pressions du monde de la recherche, qui constatait que les besoins et la manière dont se structure la recherche étaient trop différents entre les trois secteurs de recherche pour les rassembler au sein d’un seul fond », rappelle Mme Pastinelli, qui regrette ce retour en arrière. La FQPPU soutient notamment que la différence du ratio entre financement public et privé, de la taille des équipes de recherche, de la langue de publication, du public cible et bien sûr des caractéristiques de leurs objets d’études sont incompatibles avec une centralisation des trois secteurs. C’est d’ailleurs ce qui avait mené à la création de trois fonds distincts en 2001.

Le conseil d’administration du FRQ sera composé de 15 à 19 personnes nommées par le gouvernement, dont au moins trois proviennent de chacun des secteurs de recherche du fonds. C’est donc dire que les membres de la communauté scientifique pourraient se retrouver en minorité au conseil.

Cette modification découlerait de l’adoption, en 2022, de la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État. Celle-ci stipule notamment que le PDG d’une société ne peut pas présider son conseil d’administration (CA), et que les deux tiers des membres de ce conseil doivent être indépendants, c’est-à-dire sans lien direct avec la société. « Dans le cas du FRQ, cela élimine tous ceux qui pourraient être financés par le Fonds, donc une immense partie de la communauté de la recherche », admet M. Quirion.

Le gouvernement a accepté d’amender son projet de loi pour surmonter ce problème en créant un comité scientifique consultatif pour chacun des trois secteurs du fonds. « Mais ces comités ne seront pas décisionnels et devront compter sur la collaboration du CA, qui gardera le pouvoir de trancher par rapport à leurs suggestions », souligne le sociologue et historien des sciences de l’Université du Québec à Montréal, Yves Gingras.

Un rôle plus important

La nouvelle loi étend par ailleurs les responsabilités du scientifique en chef. Ce dernier doit conseiller l’ensemble du gouvernement sur toutes les questions scientifiques qui pourraient éclairer les politiques publiques, tout en agissant comme PDG du FRQ.

« Cela ouvre la voie à des conflits d’intérêts évidents », estime M. Gingras. Il rappelle qu’un texte publié en 2022 et cosigné par les dirigeants de l’International Network for Government Science Advice, dont le scientifique en chef du Québec est membre, défendait l’importance de scinder les rôles de conseiller scientifique du gouvernement et de dirigeant des organismes de financement de la recherche.

« Le conseiller scientifique doit pouvoir donner des avis qui ne plaisent pas au gouvernement, sans craindre de subir un ressac de la part de ceux qui financent la recherche », avance M. Gingras.

Sophie Montreuil, directrice générale de l’Acfas, estime que l’indépendance du scientifique en chef du Québec est « protégée par le conseil d’administration du FRQ, ses trois comités scientifiques et la communauté scientifique elle-même, qui pourra s’exprimer en cas de problème ».

L’Acfas aurait aimé que le rôle du FRQ dans le soutien et le rehaussement de la recherche et de la science en français soit mieux défini dans la loi. « Nous aurions voulu que le gouvernement ajoute la dimension de la diffusion de la recherche en français et qu’il prévoit des mesures incitatives à cet égard dans les programmes de financement », précise Mme Montreuil.

L’Union étudiante du Québec (UEQ) s’inquiète elle aussi des risques de voir la recherche de plus en plus asservie aux objectifs économiques du gouvernement. Elle déplore en outre que le projet de loi omette l’indexation automatique des bourses de recherche étudiantes décernées par le FRQ. Dans le budget 2023-2024, le gouvernement québécois a augmenté le niveau des bourses d’excellence, une première depuis 2018-2019. Les étudiantes et étudiants craignent de devoir attendre encore plusieurs années avant de voir une nouvelle augmentation.

« Au Québec, l’aide financière aux études et les droits de scolarité sont indexés, mais pas les bourses d’excellence, donc ces chercheurs risquent de s’appauvrir au cours des prochaines années », explique le président de l’UEQ, Étienne Paré.

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