Plus de six mois après que le gouvernement provincial a annoncé des directives visant à renforcer la présence des professeur.e.s et du personnel de l’Université Athabasca dans la ville éponyme du nord de l’Alberta, le conflit au sujet de l’avenir de l’établissement s’étire, au grand dam du personnel et des étudiant.e.s.
« La situation crée du stress et de l’incertitude, et elle pousse les étudiant.e.s à considérer d’autres options », explique Karen Fletcher, présidente de l’Association étudiante de l’Université Athabasca, qui représente quelque 38 000 étudiant.e.s de premier cycle partout au pays.
Le personnel de l’Université doit aussi composer avec un stress important selon Rhiannon Rutherford, présidente de l’Association des professeurs de l’Université Athabasca (AUFA). L’association défend les intérêts de plus de 400 membres du corps professoral et professionnel.le.s employé.e.s par l’Université, dont les activités se tiennent principalement en ligne.
« On dirait que les intervenant.e.s d’envergure se livrent à des démonstrations de force, tandis que le reste d’entre nous, directement touché.e.s par l’issue du conflit, sommes tenu.e.s à l’écart tels des figurant.e.s », explique Mme Rutherford.
Une longue saga
L’Université a été déplacée d’Edmonton à Athabasca en 1984 par le gouvernement provincial de l’époque. Même si elle n’a jamais eu de campus traditionnel en ville, elle y compte des bureaux administratifs, une bibliothèque, des laboratoires et un centre autochtone. Selon l’Université, 295 employés – soit 24 % de son personnel – vivent et travaillent actuellement à proximité d’Athabasca. En 2016, il y en avait plutôt 415 selon l’AUFA. (L’Université soutient que les employé.e.s occupant ces postes n’habitaient pas nécessairement la région et que certain.e.s voyageaient d’aussi loin que d’Edmonton pour leur travail. L’administration affirme que ce sont 336 employé.e.s qui vivaient dans la région cette année-là.)
Les efforts visant à freiner cet exode ont pris encore plus d’ampleur en mai 2021, quand un groupe communautaire appelé Keep Athabasca in Athabasca University a lancé une campagne ayant pour but le maintien des emplois universitaires dans cette localité d’environ 2 800 résident.e.s. Le conseil municipal a également prêté main-forte, en sensibilisant la population au problème et en embauchant un lobbyiste.
Le recteur, Peter Scott, qui s’est joint à l’Université Athabasca plus tôt cette année, maintient le cap sur la stratégie établie avant sa nomination visant à adopter le télétravail pour les activités administratives de l’établissement, dans une optique « quasi virtuelle » permanente. Si l’Université estime que le télétravail lui permettra d’attirer les meilleurs talents, les résident.e.s avancent que cette stratégie entraînera des conséquences désastreuses pour la région.
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La tension a monté d’un cran à la fin mars, quand le premier ministre d’alors, Jason Kenney, et le ministre de l’Enseignement supérieur, Demetrios Nicolaides, se sont rendus à Athabasca pour annoncer des directives dont l’objectif est de renforcer la présence de l’établissement dans la ville. Ils ont notamment demandé à l’Université de présenter un plan avant le 30 juin pour maintenir, et même augmenter, le nombre d’employé.e.s vivant à Athabasca et ses environs.
Dans une longue déclaration vidéo diffusée au début août, M. Scott a affirmé que l’Université a remis au ministre un plan dans les délais prescrits, mais le conflit a repris de plus belle à la fin juillet. Le gouvernement a présenté au conseil d’administration un « accord de gestion des investissements » qui, selon le recteur, obligeait l’Université à augmenter le nombre d’employés travaillant à Athabasca jusqu’à atteindre 65 % (soit environ 500 emplois supplémentaires), à défaut de quoi elle perdrait une partie de sa subvention d’exploitation annuelle de 41 millions de dollars.
« Le déplacement de 500 employé.e.s et de leur famille entraînerait des coûts et des perturbations considérables, qui auraient une incidence énorme sur l’expérience de nos apprenant.e.s et, bien entendu, sur la vie des membres de notre équipe. L’Université n’y gagnerait absolument rien », a expliqué M. Scott dans sa déclaration. Le syndicat des professeur.e.s s’oppose aussi à ce déplacement forcé.
M. Nicolaides a par la suite assoupli sa position, affirmant au quotidien The Globe and Mail que l’objectif d’augmentation jusqu’à 65 % était flexible.
Remaniement du conseil par le gouvernement
Un nouveau rebondissement attendait l’Université le 5 octobre : le gouvernement a remanié le conseil d’administration. Quatre membres du public sont forcés de partir, et sept nouveaux membres du public les remplacent.
« Bon nombre de ces nouveaux membres ont déjà une relation avec l’Université et la région. Ces personnes sont donc bien placées pour aider l’administration à établir une stratégie de création d’emplois à l’échelle locale », a fait savoir M. Nicolaides dans une déclaration fournie à Affaires universitaires.
Avec ce récent changement, le gouvernement intervenait pour la deuxième fois dans la composition du conseil d’administration depuis qu’il en a replacé la présidente, Nancy Laird, par Byron Nelson à la fin mai.
M. Scott a refusé de nous accorder une entrevue, mais Kristine Williamson, vice-présidente des affaires universitaires, a précisé dans une déclaration que : « L’Université Athabasca continue de travailler avec son conseil d’administration, le gouvernement de l’Alberta, la région d’Athabasca et d’autres parties prenantes pour trouver une solution. »
Idées du personnel et des étudiant.e.s
Selon Mme Rutherford, de l’association des professeur.e.s de l’Université, et Mme Fletcher, de l’association étudiante, certaines parties prenantes importantes n’ont pas eu voix au chapitre. Les deux estiment que les étudiant.e.s, les professeur.e.s et le personnel ont été écarté.e.s de la prise de décisions qui les touchaient directement. Si l’association des professeur.e.s s’oppose à un déplacement forcé, ses membres s’inquiètent encore de devoir déménager.
« On nous laisse dans l’ignorance; pourtant, 70 % du financement de l’Université provient des droits de scolarité. Les étudiant.e.s devraient donc faire partie intégrante de la conversation, précise Mme Fletcher. Je crois que ni l’Université, ni la ville, ni le ministère n’ont intérêt à les exclure de la discussion. »
Mme Fletcher a entendu dire que des étudiant.e.s s’inquiétaient au sujet de leurs diplômes (ils resteront valides, a-t-elle précisé) et de l’avenir de l’Université. « Les étudiant.e.s se demandent : “Devrais-je rester ou partir? Que faire?” »
Le modèle ouvert et flexible de l’Université Athabasca représente un attrait pour bien des étudiant.e.s, y compris Mme Fletcher, une étudiante de quatrième année en mathématiques appliquées qui vit à Ottawa et qui est la mère de trois enfants. Grâce aux cours en ligne de l’Université Athabasca, elle a eu accès à des études postsecondaires, puisqu’elle a pu les concilier à ses obligations parentales. Bon nombre d’étudiant.e.s de l’Université pourraient raconter une histoire similaire : leurs circonstances personnelles compliquent l’accès à l’éducation traditionnelle.
Tandis que se poursuivent les discussions entre l’Université et le gouvernement – menées par la nouvelle première ministre Danielle Smith, qui a succédé à M. Kenney à la tête du Parti conservateur uni au début octobre – le personnel et les étudiant.e.s lancent aussi des idées pour renforcer la présence de l’Université dans la région d’Athabasca sans obliger des centaines de personnes à déménager. Mme Fletcher imagine l’établissement comme un lieu de retraite pour la rédaction universitaire, alors que Mme Rutherford mentionne que l’AUFA a énoncé plusieurs « idées constructives » dans une lettre ouverte envoyée au conseil d’administration de l’Université et au ministère de l’Enseignement supérieur, à la suite d’une consultation avec ses membres.
« Ce qui est triste, conclut Mme Fletcher, c’est qu’en se souciant seulement du lieu de résidence des membres du personnel, on passe à côté de bien des avancées qu’on pourrait réaliser ensemble. »