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La science qui bouscule des mythes linguistiques bien enracinés

Les travaux de la sociolinguiste Shana Poplack sur le bilinguisme et la diversité des parlers canadiens ont été récompensés du Prix André-Laurendeau.

par ANDRÉANNE APABLAZA | 21 NOV 19

Reconnue pour l’originalité de ses recherches et pour sa contribution majeure à l’avancement des connaissances sur le bilinguisme et à l’étude des dialectes minoritaires, Shana Poplack figure parmi les neuf lauréats des prix en recherche de l’Acfas remis le 14 novembre dernier à Montréal. Elle est professeure au Département de linguistique de l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en linguistique.

Dès l’âge de neuf ans, Shana Poplack remarque que les accents et les parlers, lorsque différents, dérangent. Sa famille et elle, originaires de la Pennsylvanie, se retrouvent dans la ville multiculturelle de New York, où les accents sont nombreux, tout comme ceux qui les critiquent. Sa façon de parler n’est pas épargnée par les moqueries de ses camarades.

Plusieurs années plus tard, Shana Poplack s’établit à Ottawa, où elle remarque le même genre de discours, surtout envers les francophones. « J’entendais qu’il y avait des différences entre le français minoritaire et majoritaire, entre le français canadien et européen. Et je n’ai pas besoin de vous dire lesquels sont considérés meilleurs. Pourquoi? », s’est-elle demandé.

C’est à ce moment que la professeure fonde le Laboratoire de recherche en sociolinguistique de l’Université d’Ottawa, qui attire des chercheurs du monde entier. Elle commence à étudier la cohabitation de l’anglais et du français, et constate que plusieurs mythes y sont rattachés, et sont souvent sujets à controverse.

Shana Poplack. Photo d’Acfas.

La capitale fédérale, paradis des linguistes

La professeure Poplack estime que la région d’Ottawa-Gatineau est un « paradis terrestre pour un sociolinguiste ». « C’est une seule région urbaine mais elle est quand même divisée par une frontière géographique et linguistique. D’un côté, le français est majoritaire et la langue officielle, et de l’autre l’anglais est majoritaire et la langue officielle. »

Un des mythes sur lesquels Mme Poplack s’est penchée est celui de la mauvaise qualité du français de la capitale fédérale. « J’avais entendu que le français d’ici était plein d’anglicismes. »

Avec son équipe, elle parcourt une banque de données de millions de mots et en a relevé 20 000 d’origine anglaise. « Quand on les a mis en contexte, on a trouvé que ces anglicismes-là représentaient moins de un pour cent de toutes nos données. Tout le monde en parle, tout le monde en a peur, mais en réalité les anglicismes sont extrêmement rares », explique-t-elle.

La sociolinguiste estime que les grammairiens s’acharnent sur les anglicismes alors que ceux-ci sont inévitables et ne représentent pas une réelle menace pour la langue française.

« Si on veut faire quelque chose pour encourager la survie, la vitalité du français, il vaudrait mieux ne pas passer tellement de temps sur les anglicismes, qu’on ne peut aucunement arrêter de toute façon, dit-elle. Les gens ne vont pas arrêter de les utiliser, ça fait partie du répertoire communautaire. C’est comme demander qu’on arrête de dire le mot « chum ». C’est trop tard. C’est déjà un mot à part entière de la langue française parlée ici. »

Insécurité linguistique

À force d’étudier la dualité linguistique, le français ou l’anglais en situation minoritaire, Mme Poplack s’est forcément intéressée à l’insécurité linguistique. C’est en se rendant en France, pour ses études à la Sorbonne, et plus tard lors de visites, qu’elle en comprend le sens. « Quand j’ai revisité la France après avoir vécu longtemps au Canada, j’ai compris que les Français prétendaient souvent ne pas comprendre le français canadien, raconte-t-elle. Ici aussi, il y a des Canadiens qui avalent cette histoire que notre français est moins bon que d’autres français. »

La sociolinguiste s’est donc penchée sur les fondements de la dévalorisation de la langue. Est-ce qu’il y a une raison pour un francophone de se sentir vulnérable ou inférieur linguistiquement? « La réponse courte est évidemment « non », lâche Mme Poplack. Oui, il y a des différences régionales pour toutes les langues. Mais ce sont surtout des différences de vocabulaire et d’accents. »

Plusieurs de ses études sur les différents français canadiens lui ont permis de déconstruire la croyance populaire que dans certaines régions du pays, le français est mal parlé. « Très souvent, on trouve qu’il n’y a rien de linguistique qui cause ces opinions-là. Ce sont d’autres choses complètement, comme des enjeux politiques. C’est intéressant, mais en même temps triste, qu’on utilise la langue comme arme pour dévaloriser certains secteurs de la société. »

Mme Poplack conclut que ce genre de discours dévalorisant, parfois discriminatoire, représente la pire menace pour la langue française. « Au lieu d’investir tellement dans cette lutte contre les anglicismes, contre le bilinguisme, selon moi, ce serait mieux d’encourager l’utilisation du français « warts and all » parce qu’au moins les gens le parleraient. »

COMMENTAIRES
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  1. Bob L'Éponge / 26 novembre 2019 à 09:37

    Je pense qu’il y a un souci dans le champ de recherche de madame Poplack : par anglicisme elle entend un mot d’origine anglaise (selon ce qui est précisé dans cet article). Or un anglicisme est aussi une traduction littérale d’un mot/expression anglaise. Ex. peindre un mur « à grandeur » ou pratiquer une activité « à l’année longue ». Ce sont des anglicismes et ils sont problématiques car ils dénaturent la langue en ne respectant pas la syntaxe. Ce sont ces anglicismes qui contribuent à ce qu’une langue soit considérée de plus ou moins bonne qualité selon le lieu où elle est parlée.

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