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La théologie est-elle mise au rancart?

La théologie a-t-elle encore sa place au sein des universités? Plus que jamais, insistent les doyens et professeurs qui l’enseignent au quotidien.

par FLORENCE SARA G. FERRARIS | 24 JAN 19

Louise Melançon, professeure retraitée de l’Université de Sherbrooke, ne sait pas si elle se remettra vraiment un jour de la disparition de la Faculté de théologie de son alma mater. « Ç’a été très dur pour moi, confie celle qui y a non seulement enseigné pendant près de 30 ans, mais qui était aussi de la première cohorte à y étudier à plein temps. Nous étions tous conscients que les choses avaient changé avec les années; que les étudiants n’étaient plus autant au rendez-vous et que l’appétit pour les questions théologiques n’était plus tout à fait le même. Mais, on pensait quand même qu’on arriverait à préserver la Faculté, que la théologie avait encore sa place. »

Survenue au printemps 2015, cette fermeture, qui a tout de même mené à la création d’un Centre d’études du religieux contemporain, n’est pas un cas isolé. Bien au contraire. L’Université de Sherbrooke a ainsi été suivie, un an plus tard, par l’Université McGill, puis par l’Université de Montréal en 2017, dont les facultés de théologie ont, respectivement, cédé leur place à une École et un Institut d’études religieuses. « Pour notre part, nous avons été intégrés à la Faculté des arts et des sciences, au même titre que les départements de sociologie ou d’histoire, indique Alain Gignac, anciennement professeure à la Faculté de théologie de Montréal et, aujourd’hui, directeur de l’Institut qui a pris sa place. Ç’a été un deuil, c’est certain, mais je pense quand même que c’était dans l’ordre des choses. Nous avons un biais religieux, mais nous faisons d’abord et avant tout partie des sciences humaines. »

Ces nouvelles entités disposent toutefois de beaucoup moins d’autonomie et de poids décisionnel au sein des établissements d’enseignement supérieur. Un changement qui pourrait, sur le long terme, mené à la disparition de certains champs d’études théologiques — tout particulièrement dans les universités, comme à Sherbrooke, où les professeurs ont été dispersés dans les différents départements. « Là-bas, contrairement à Montréal, il n’y a rien, dans la formule adoptée, qui oblige, par exemple, le remplacement des théologiens qui partiront à la retraite dans les prochaines années, déplore M. Gignac. Qui sait alors combien de temps ça va durer? »  Une inquiétude qui préoccupe également Mme Melançon. « Dans dix ans, on ne sera peut-être pas plus avancée avec le nouveau Centre, renchérit-elle. Au final, il n’y a que l’Université Laval, à Québec, qui a réellement réussi à s’en sauver. »

Air du temps

Ultime survivante, la Faculté de théologie et de sciences religieuses basée dans la capitale provinciale fait, en effet, figure d’exception aujourd’hui au Québec. « Notre discipline a été particulièrement malmenée au cours des dernières années, souligne le doyen de celle-ci, Gilles Routhier. Et ce serait vous mentir de dire qu’on n’a pas senti la terre trembler un peu chez nous : ça nous a forcés à faire d’importants ajustements. » À titre d’exemple, l’an passé, un professeur de confession protestante évangélique a été embauché, une première dans l’histoire de la Faculté.

En rompant ainsi avec la tradition, celui qui occupe son poste depuis 2013, estime avoir fait, pour le moment, ce qu’il fallait pour assurer la pérennité de la faculté sous sa responsabilité. « Ces changements étaient inévitables, expose-t-il. Après tout, nous sommes dans une université publique, c’est donc tout à fait normal — et sain —, qu’on tende la main aux autres religions. »

Un avis que partage Yvan Mathieu, doyen de la Faculté de théologie de l’Université Saint-Paul à Ottawa. « C’est certain que la situation en Ontario est un peu différente, affirme celui qui est originaire du Québec en rappelant que, de son côté de la frontière, la religion a toujours une place au sein du système d’éducation. Le défi n’est pas le même, mais on doit tout de même revoir nos manières de faire pour être au diapason avec notre époque. » À cet égard, M. Routhier souffle que l’Université Laval est sur le point de lancer un cours d’éthique religieuse de l’environnement. « Ce n’est pas quelque chose qu’on aurait cru faire il y a 25 ans, mais aujourd’hui, si on veut demeurer pertinent, il faut accepter que certaines choses changent et, plus encore, il faut changer avec elles. Il faut élargir nos horizons sans pour autant renier ce que nous sommes. »

Nécessaire représentation

Chose certaine, peu importe la forme qu’il prend, l’enseignement de la théologie doit — et devra — conserver une place entre les murs des universités, estime le doyen de l’Université Laval. « On a beau dire, la religion n’a sans doute jamais été aussi présente dans les débats publics, lance-t-il sans ambages. On en parle presque tous les jours! Il est donc primordial qu’il continue à y avoir des espaces pour réfléchir au fait religieux dans ces lieux de savoir. » Même son de cloche de la part de Denise Couture, théologienne et professeure à l’Université de Montréal depuis une trentaine d’années. « À une époque où on assiste à une montée du fondamentalisme, il est plus que jamais essentiel que les religions soient étudiées par des gens qui sont compétents et formés dans le domaine, ajoute-t-elle. On ne peut pas laisser ça, tout simplement, entre les seules mains des églises. Car plus qu’un acte de foi, c’est une manière unique de voir le monde. »

COMMENTAIRES
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  1. Yves Gingras / 24 janvier 2019 à 15:59

    On retrouve dans ce texte la confusion habituelle (et surprenante de la part d’universitaires) entre « théologie » et « études des religions ». Dire que « la religion n’a sans doute jamais été aussi présente dans les débats publics » (ce qui est vrai) et en déduire qu’il « est donc primordial qu’il continue à y avoir des espaces pour réfléchir au fait religieux dans ces lieux de savoir » ( ce qui est aussi vrai) n’implique nullement que cela doive être fait par la théologie et encore moins dans une « Faculté » de théologie! Cela pourrait évidemment se faire tout aussi bien (sinon même mieux…) par l’histoire, la sociologie et l’anthropologie des religions! Lesquelles ne relèvent pas de la théologie qui, rappelons-le, est la réflexion (logos) sur Dieu (théos)… et son action (ou inaction) dans le monde.

  2. Alexandre Perreault / 25 janvier 2019 à 13:11

    Contrairement à ce confirme M. Gingras, il n’y a pas de confusion dans ce texte entre l’approche théologique et l’approche scientifique des religions La réaction des théologiens interrogés montre bien qu’ils se situent différemment dans la sphère des sciences humaines. Alain Gignac le dit même explicitement. C’est plutôt la religiophobie courante qui s’irrite et préjuge des efforts entrepris par des croyants et des croyantes qui développent le savoir dans une rationalité différente. Les théologiens et théologiennes acceptent de vérifier et de développer l’épistémologie de leurs croyances à l’intérieur d’une tradition particulière, avec les outils critiques de notre époque. Ce que dit justement Mme Couture, c’est que cet effort permet justement de dépasser le communautarisme et les tentations irrationnelles qui peuvent contaminer les communautés de foi. Les facultés de théologie sont spécialisées en « débunkage » religieux depuis fort longtemps. Les croyants et croyantes ont et doivent conserver le droit de réfléchir leur foi avec les outils des sciences actuelles et de participer ainsi aux débats de notre temps. Notre société n’est pas une société monolithique et scientiste; celles et ceux qui veulent penser critiquement doivent pouvoir le faire à l’intérieur des universités. Malgré la marchandisation progressive des connaissances, l’université reste encore l’un des haut-lieu des débats intellectuels et démocratiques. À moins que l’on ne souhaite imposer une ligne de pensée unique, comme la psychanalyse sur la psychologie ou le marxisme en politique, qui naguère excommuniaient, au nom d’un « horizon indépassable » (Sartre) ceux qui voulaient réfléchir autrement ? L’idéologie la plus insidieuse est celle qui s’ignore.

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