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Actualités

L’art de gérer une université en temps de pandémie

Cinq dirigeants universitaires du Québec échangent sur leurs expériences de gouvernance en mode COVID-19.

par PASCALE CASTONGUAY | 06 JUILLET 21

Que ce soit l’accélération de la prise de décision, la densification de l’agenda ou la prédominance de la communication, impossible de nier que la pandémie a fortement teinté le travail des hauts dirigeants universitaires. Virtuellement réunis pour une table ronde lors du dernier congrès de l’Acfas, cinq d’entre eux ont mis en commun leurs observations et ont évoqué les changements qui pourraient perdurer.

La rectrice de l’Université Laval, Sophie D’Amours, n’y est pas allée par quatre chemins : « Cette crise a mis au défi les universités d’une façon extraordinaire. » Forte de ses expériences passées, l’Université Laval « a eu une certaine chance » au dire de la rectrice. Derrière cette chance se cache le modèle de gestion de crise que l’établissement a développé après avoir dû gérer les remous causés par les agressions sexuelles ayant eu lieu dans ses résidences il y a environ cinq ans. Dans les faits, les instances universitaires ont délégué la prise de décision à un centre de gestion de crise divisé en deux composantes, soit une cellule stratégique et une tactique, et ce, pour la durée de la crise. « Le travail avait été fait et on s’était approprié nos nouvelles mesures. Ça nous a beaucoup aidé dans les premières semaines », précise Mme D’Amours.

Un scénario à l’opposé attendait Daniel Jutras quand il a amorcé son mandat à titre de recteur de l’Université de Montréal (U de M) en juin 2020. Arrivant d’un autre établissement, il a d’abord dû s’approprier les rouages de l’U de M pour ensuite se rendre compte que les structures de gestion de crise « étaient liées à des hypothèses de crises de courte durée et de grande intensité ». Ainsi, en plus de faire face aux aléas de la pandémie, le recteur a entrepris de réformer ces structures afin qu’elles puissent permettre « une performance sur la plus longue durée ». Pour celui qui en est à sa première expérience d’administration centrale, la modification du mode de fonctionnement alors qu’il servait à gérer rien de moins que les effets d’une pandémie a certainement été un défi. Dans ce contexte, pas surprenant qu’il ait aussi cité la densification de l’agenda comme étant l’un des enjeux avec lesquels il a dû jongler au cours de la dernière année.

Un sujet qui interpelle également la rectrice de l’Université du Québec à Montréal, Magda Fusaro, qui a fait le « constat surprenant » que nous avons aboli le temps et les frontières professionnelles/personnelles. « On a enfin atteint ce que dans les années 1980, plusieurs chercheurs nommaient l’ubiquité, nous sommes en mesure aujourd’hui de faire trois choses en même temps, bien – j’ose l’espérer ou assez bien ou pas trop mal, ce qui était absolument impensable il y a à peine 18 mois. » Une transformation qui n’est pas sans conséquence. Bien consciente de l’essoufflement généralisé, Mme Fusaro dit désormais attendre l’automne pour lancer toute nouvelle initiative. « Il n’y a plus personne qui veut faire quoi que ce soit cet été à part prendre des vacances bien méritées », mentionne-t-elle en souriant.

La force de l’adaptation

Pour Denyse Rémillard, vice-rectrice à l’administration et au développement durable de l’Université de Sherbrooke, un établissement qui a choisi d’optimiser l’offre de cours en présentiel tout en respectant les consignes sanitaires, la dernière année n’a pas été de tout repos. « Cette orientation a été déterminante. C’est un pari qui a été assez audacieux et qui comportait un certain nombre de risques : sanitaires, financiers et de réputation. On a été finalement la seule université à prendre cette orientation, il ne fallait pas se tromper », remarque-t-elle. L’établissement devait aménager ses lieux pour accueillir les étudiants, pour bien saisir la complexité de cette opération, Mme Rémillard invite à se remémorer qu’il y a un an « les consignes étaient plus ou moins claires, il a fallu les définir ».

D’ailleurs, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les hauts dirigeants sont loin de jeter la pierre au gouvernement en ce qui concerne le manque de précision des consignes. Cet élément aurait même plutôt eu l’effet l’inverse et aurait soudé les universités québécoises. « Ces allers-retours, aussi étonnant que cela puisse être, ont été bénéfiques. On pourrait faire une autre lecture peut-être à la lumière de chacune des décisions, nous étions en attente, on nous demandait d’agir sans trop agir, mais globalement, ce dialogue constant a eu un effet bénéfique sur la collaboration interuniversitaire », soutient Mme Fusaro.

Ces allers-retours ne sont pas étrangers au fait que les administrateurs aient tenu à communiquer davantage au cours de cette période. « On était dans une grande incertitude, dans un environnement où les gens voulaient des balises assez claires quant à leur comportement », explique M. Jutras. À son avis, on oublie souvent à quel point les auditoires sont diversifiés dans un contexte universitaire. Celui-ci a dressé une liste de pas moins d’une quinzaine d’auditoires différents avec lesquels l’U de M communique régulièrement pendant la crise sanitaire.

Ce qu’il en restera

Si, à un moment ou à un autre, tous ont identifié la rapidité imposée pour la prise de décisions comme l’un des facteurs marquants de la gouvernance universitaire en temps de pandémie, ils n’anticipent pas pour autant que ce soit un changement permanent. Au contraire, Mme Fusaro formule clairement le souhait de « redevenir ces organisations qui prennent un peu de temps, car les universités ont cela de fabuleux, c’est qu’elles ont un temps plus long peut-être que d’autres organisations. Donc de retrouver une approche réflexive sur nous-mêmes va nous faire du bien ».

Quoiqu’un certain retour au fonctionnement d’antan fasse rêver, pas question de jeter le bébé avec l’eau du bain. La directrice de la recherche et du transfert de HEC Montréal, Caroline Aubé, estime que « c’est un énorme pas qu’on a fait au niveau de la recherche pour le mouvement de la science ouverte durant les 13 derniers mois et pour la recherche multidisciplinaire et sur ce point-là, on en ressortira beaucoup plus fort ».

Un peu dans la même veine, M. Jutras espère conserver « l’intérêt accru pour la pédagogie sur les campus ». Même si cette réalité était « inattendue », pour lui, elle représente l’élément le plus bénéfique de l’exercice. « On n’était pas là avant la pandémie, dans la plupart des universités, on n’avait pas de momentum derrière la réflexion sur la pédagogie universitaire, sur la manière dont on enseigne et ça va rester parce que tout le monde a mis une énergie extraordinaire pour y parvenir. »

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