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Le bal des recteurs se poursuit au Québec

La rotation des dirigeants à la tête des universités québécoises s’est récemment accentuée, mais la quête de successeurs n’est pas aisée.

par JEAN-FRANÇOIS VENNE | 05 JUILLET 17

Pas moins de neuf institutions universitaires québécoises ont vu leur recteur quitter ses fonctions depuis 2015. Plusieurs sont partis après un seul mandat ou en cours de mandat et il semble ardu de les remplacer. Le poste de recteur fait-il peur ?

Les recteurs de l’École nationale d’administration publique (ENAP), de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) ont renoncé à solliciter un second mandat. L’ex-rectrice de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), Nadia Ghazzali, a démissionné en plein mandat en 2015, écorchée par un rapport de la Vérificatrice générale.

La situation n’étonne guère Marc-Urbain Proulx, professeur en économie régionale à l’UQAC et ex-candidat au poste de recteur. « Le recteur doit être populaire dans l’université pour obtenir un second mandat, dit-il. Or, les recteurs gèrent des compressions depuis plusieurs années et doivent souvent dire non aux professeurs, aux étudiants, voire à la collectivité. »

Pour la même raison, les universités recherchent des recteurs dotés d’un profil différent. « On ne demande plus au recteur d’être visionnaire, mais plutôt gestionnaire, pour éviter les déficits, poursuit le professeur. De plus en plus, le travail du recteur se concentre sur la gestion au quotidien. Le sous-financement change la nature de l’emploi. »

Trouver la perle rare

Est-ce ce qui explique que plusieurs établissements peinent à dénicher un nouveau recteur ? L’ENAP et l’INRS, par exemple, restent menés par un dirigeant intérimaire. « Les processus de sélection se poursuivent, explique Valérie Reuillard, directrice des communications du réseau UQ. Les comités de sélection reçoivent les candidatures et font une pré-sélection, avant de sonder la communauté de l’institution. Pour l’instant, aucun candidat présenté n’a obtenu l’aval de cette dernière. »

À l’UQÀM, aucun gagnant n’a émergé d’un vote tenu en mai 2017 faute d’avoir le degré de ralliement nécessaire à une nomination au rectorat. Le processus d’appel à candidatures sera relancé dès cet automne. À l’UQAC, la recherche d’un nouveau recteur a donné lieu à une lutte âpre, le syndicat des professeurs réclamant même, en février 2017, la recomposition d’un comité de sélection auquel il ne faisait plus confiance. Choisie par le comité de sélection, la docteure en théologie pratique Nicole Bouchard  a officiellement été nommée rectrice de l’UQAC par le gouvernement du Québec le 21 juin dernier.

En soi, le processus de sélection des recteurs, très ouvert à la communauté universitaire au Québec, pourrait compliquer le renouvellement, selon Yvan Allaire, président exécutif du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), une initiative de HEC Montréal et l’Université Concordia-École de gestion John-Molson. La perspective d’être battu dans un vote très public découragerait de nombreux candidats provenant de l’extérieur de l’université.

M. Allaire croit aussi que cette façon de faire renforce le statu quo. « Il est difficile pour un candidat de proposer de vastes remises en question, puisque ceux qui le choisissent, comme les professeurs, les étudiants ou les cadres, défendent leurs intérêts », dit-il.

En 2007, L’IGOPP proposait que syndicats et étudiants soient consultés en amont pour définir le profil du candidat idéal, mais que le nouveau recteur soit nommé, confidentiellement, par un conseil d’administration principalement composé de membres indépendants. « Les syndicats de professeurs ont refusé net, craignant une perte de contrôle et le noyautage du conseil d’administration par l’entreprise privée », admet M. Allaire.

Des recteurs mal payés ?

Daniel McMahon.

Les salaires des recteurs dans le réseau UQ nuiraient aussi. Si les recteurs de McGill ou Concordia touchent une rémunération globale de plus de 400 000 $, dans le réseau UQ elle n’atteint pas 200 000 $. À peine plus que certains professeurs. « Devenir recteur de l’UQTR a représenté une baisse de salaire assez substantielle, admet Daniel McMahon, ex-président et chef de la direction de l’Ordre des CPA du Québec, nommé recteur en janvier 2016. Je le fais par passion. Cependant, il y a beaucoup de compétition pour attirer les meilleurs candidats et le salaire reste un argument de taille. »

Et ce, sans compterque les universités et recteurs accusent un déficit de sympathie dans la population québécoise. Le printemps érable a bien montré que beaucoup perçoivent ces établissements comme des repaires de privilégiés.

« Les gens ignorent ce que fait un recteur, lance M. McMahon. À l’UQTR, je gère le troisième plus gros employeur de la région, avec 1 800 employés. Je dirige une institution qui forme les étudiants, fait de la recherche et est un moteur pour la collectivité régionale, dans un contexte où je peux difficilement faire des prévisions budgétaires à moyen terme. Ce n’est pas simple. Il faut mieux expliquer ce qu’on fait. »

La passion du missionnaire

Malgré tout, il déborde d’enthousiasme envers son travail, tout comme la nouvelle rectrice de l’Université Laval, Sophie D’Amours, en poste depuis le 1er juin dernier. « J’ai un profond attachement envers l’Université Laval, où j’ai étudié et que mes fils fréquentent aussi, confie-t-elle. J’avais le sentiment de bien comprendre les enjeux et les défis de cette institution et surtout d’avoir l’appui du campus. »

Sophie D’Amours.

À l’Université Laval, le recteur est élu par un collège électoral composé des 145 personnes formant les commissions de la recherche, des études et des affaires étudiantes, le conseil d’administration et le conseil universitaire. « Il faut faire campagne, débattre avec les autres candidats, discuter avec les membres de la communauté universitaire, raconte-t-elle. C’est exigeant, mais cela permet d’identifier les enjeux importants, les éléments consensuels et ceux qui causent des frictions. »

Son grand projet, ce sont les Chantiers d’avenir, un exercice de réflexion visant à développer un cadre plus interdisciplinaire pour les étudiants et à stimuler leur désir d’entreprendre et d’œuvrer à résoudre les défis sociaux. Mme D’Amours rêve de programmes où certaines problématiques spécifiques définiraient les contenus, plutôt que la discipline. Elle donne l’exemple de la mobilité durable. Y travailler exige des compétences en urbanisme, en transport, en économie, en mode de vie, en démographie, etc. Les leaders dans ce domaine auront une formation interdisciplinaire.

« Nous partons d’une feuille blanche pour imaginer les formations du futur, en tenant compte de défis comme le virage numérique, l’internationalisation et les attentes des collectivités », conclut celle qui ne semble pas du tout effrayée par ce poste parfois ingrat et toujours exigeant.

NDLR : Le 12 juillet 2017, Guy Laforest a été nommé directeur général de l’École nationale d’administration publique (ENAP). Son mandat de cinq ans débutera le 14 août prochain.

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  1. Denis Archambault / 13 juillet 2017 à 13:27

    La raison est assez simple. La rémunération, à cause du système du réseau des Universités du Québec et autres organisations du réseau (INRS, ENAP, etc..) n’est tout simplement pas compétitive.

    Et comment voulez-vous attirer des personnes compétentes et reconnues de l’extérieur de ce réseau quand le salaire d’un recteur de l’Université du Québec à Montréal est nettement moindre qu’un simple vice – recteur aux Universités de Montréal, McGill ou Concordia ?? Ou encore de certains doyens ? Poser la question est y répondre.