L’hypothèse voulant que le bénévolat de courte durée dans les pays en développement permette aux jeunes Canadiens d’acquérir des connaissances sur le monde et de devenir de meilleurs citoyens du monde est populaire et omniprésente. Toutefois, une étude révélatrice fondée sur une série d’entrevues qualitatives approfondies avec des bénévoles à l’étranger suggère que cette hypothèse ne tient pas compte de tous les facteurs liés à cette réalité.
« Les universités et les collèges encouragent aveuglément les stages de courte durée dans les pays en développement sans vraiment comprendre leur efficacité sur le plan de l’apprentissage, leurs répercussions éthiques ou leur impact réel », affirme Rebecca Tiessen, professeure agrégée en développement international au Collège militaire royal du Canada et titulaire d’une Chaire de recherche du Canada en études internationales et en leadership.
Entre 2007 et 2011, Mme Tiessen et sa partenaire de recherche, Barbara Heron, professeure agrégée et directrice de l’école de travail social de l’Université York, ont effectué une série d’entrevues avec 133 étudiants ou stagiaires bénévoles à l’étranger. Un petit groupe de 30 jeunes a participé à trois entrevues pour une étude longitudinale : une avant leur départ, une de trois à six mois après leur retour, puis une deux ans après. Le Centre de recherches pour le développement international a versé 242 000 $ pour le financement de cette étude.
La première analyse, reposant sur les entrevues réalisées de trois à six mois après le retour des bénévoles, a permis de mettre en lumière le lien entre les stages de bénévolat et la manière dont les jeunes Canadiens perçoivent leur rôle dans le monde, expliquent Mmes Tiessen et Heron. Les participants rapportent plusieurs changements d’attitudes et de comportements favorables, y compris une meilleure compréhension de la collectivité qui les a reçus, un désir de comprendre l’autre culture et un engagement à l’égard du concept de citoyenneté mondiale. Cependant, les chercheuses ont découvert qu’en fin de compte, des motivations « égoïstes », comme le perfectionnement professionnel et la recherche d’emploi, l’emportaient sur l’altruisme.
« Ma plus grande surprise a été de découvrir que le désir d’aider les autres comptait pour très peu, déclare Mme Tiessen. Il s’agit probablement d’une des motivations les plus faibles comparativement aux facteurs de développement personnel comme le développement des compétences, l’acquisition d’expériences de travail, l’aventure et le voyage. »
C’est une « découverte intéressante », poursuit-elle, car plusieurs de ces étudiants ont bénéficié du financement d’ONG et de l’ACDI, dont la mission est « d’aider les personnes défavorisées ».
« La notion “d’aide” est une caractéristique fondamentale de la plupart des ONG, indique-t-elle. Cependant, les motivations des bénévoles ne correspondent pas aux missions des organisations qui les envoient, ni aux attentes des organisations hôtes qui les accueillent. Les organisations du Sud s’attendent à recevoir des bénévoles qui viennent combattre la pauvreté et les inégalités. »
Mme Heron a remarqué que les bénévoles qui vont à l’étranger sont de plus en plus motivés par la possibilité d’apprendre plutôt que par le désir d’aider.
« Le discours sur le bénévolat de courte durée a complètement changé, explique-t-elle. L’idée est de créer des citoyens du monde pour pouvoir affronter la concurrence mondiale. Je crois que la société fait comprendre aux jeunes qu’il est correct de vivre cette expérience pour leur propre bénéfice. »
Mme Tiessen ajoute que « ce qui est positif, c’est que [la plupart] des participants interrogés ont dit que leur compréhension de la collectivité qui les a reçus a changé; ils comprennent maintenant mieux la complexité culturelle, essaient de ne pas généraliser et tentent de briser les stéréotypes ».
Toutefois, poursuit-elle, nous avons découvert un manque d’engagement profond des bénévoles par rapport à leurs expériences, un résultat capital qui suggère une compréhension limitée de la complexité des inégalités mondiales et de la façon dont nous les perpétuons chaque jour. Par exemple, la plupart des participants se considèrent comme des citoyens du monde simplement parce qu’ils ont passé du temps à l’étranger. Toutefois, selon Mme Tiessen, cette définition limitée de la citoyenneté mondiale soulève plusieurs questions socioéconomiques et laisse entendre que seules les personnes disposant de l’argent pour voyager peuvent devenir citoyens du monde.
Près des deux tiers des participants ont changé leurs habitudes de vie, par exemple en recyclant davantage et en achetant des produits équitables. Cependant, la majorité a affirmé que sa motivation à maintenir ces changements s’affaiblissait avec le temps.
« Cela signifie que la perception qu’ont les gens de leur propre citoyenneté mondiale est liée à un ensemble de gestes superficiels et à courte vue […] qui ne promeuvent pas les relations internationales significatives et qui font peu pour combattre la pauvreté et les inégalités, explique Mme Tiessen. Toutefois, pour ne pas blâmer les participants, je dois préciser qu’il est très difficile de réfléchir à cette question. Nos questions peuvent entraîner des réponses extrêmement nuancées et difficiles à interpréter. »
Les chercheuses, qui amorcent l’analyse des données longitudinales, continuent d’essayer de déterminer si le bénévolat de courte durée à l’étranger favorise la citoyenneté mondiale. Leur rapport final sera publié sur leur site Web en 2012.