À l’entrée du camp barricadé sur le campus de l’Université McGill du centre-ville de Montréal, une affiche énumère des suggestions de dons : sacs de couchage, couvertures, décongestionnant, bottes, chaussettes, gazes, ou encore lingettes humides. Plus de 40 abris sont maintenant dispersés sur le terrain inférieur de l’établissement, et les protestataires reçoivent régulièrement des dons depuis que les premières tentes ont été plantées le 27 avril.
Les activistes, qui, notamment, étudient ou travaillent dans des universités montréalaises, ou appartiennent à la communauté juive ou arabe de la ville, souhaitent montrer leur solidarité avec le peuple palestinien depuis l’éclatement du conflit israélo-palestinien le 7 octobre dernier. Leurs exigences : que les universités McGill et Concordia se détachent des entreprises liées à Israël.
Plus de 34 000 personnes sont décédées et 1,5 million ont été déplacées depuis l’offensive de l’armée israélienne, en riposte à l’attaque dirigée par le Hamas qui a tué 1 200 personnes et mené à la prise en otage de 250 personnes, selon les autorités militaires israéliennes.
Depuis onze jours, l’Université McGill demande le démantèlement du camp. Le 27 avril, dans de multiples courriels au personnel et à la communauté étudiante, l’administration a répété qu’elle est pour la liberté d’expression et le droit au rassemblement, mais que le campement va à l’encontre de ses politiques et de la loi. Le recteur et vice-chancelier Deep Saini indique que l’administration a été témoin de vidéos aux propos antisémites et d’intimidation sur le site. « Voulez-vous être associés à un événement qui bafoue les valeurs fondamentales de l’Université? a-t-il demandé. Si ce n’est pas le cas, je vous demande de quitter les lieux immédiatement. »
Les étudiantes et étudiants du campement nient tout incident du genre, en soulignant que les consignes de vivre-ensemble du groupe dénoncent l’antisémitisme, le racisme, l’homophobie ou quelque autre forme de discrimination. Le 30 avril, l’Université a annoncé que devant l’absence d’entente pour le démantèlement du campement selon les protocoles universitaires, elle avait demandé le soutien des services policiers. Le recteur a affirmé qu’il s’agissait d’une décision « extrêmement difficile », mais selon lui nécessaire.
Le démantèlement du campement n’est pas justifiée, selon la justice
Le 15 mai, la Cour supérieure du Québec a rejeté la demande d’injonction de l’Université McGill, qui soutenait que le campement posait des risques pour la sécurité, la sûreté et la santé, et qu’il avait entraîné une escalade des tensions sur le campus.
Ceci intervient après que la même Cour ait déjà refusé une demande d’injonction similaire, provenant cette fois-ci d’une étudiante et d’un étudiant de l’Université McGill qui voulaient faire interdire aux protestataires de manifester à moins de 100 mètres des bâtiments du campus pendant dix jours. Quelques heures plus tard, M. Saini a écrit aux membres du camp propalestinien en leur promettant de « convier la communauté mcgilloise à un forum pour discuter de leurs diverses demandes, et des opinions divergentes, de manière pacifique, respectueuse et civilisée » en échange d’un abandon immédiat et permanent du campement, à quoi on lui a répondu que le campement resterait sur place tant et aussi longtemps que l’Université ne prouverait pas avoir rompu ses liens avec des entreprises rattachées à Israël.
Les manifestations et les campements se répandent sur les campus en Amérique du Nord, se soldant parfois par des renvois, des arrestations ou des incidents violents. Le campement de l’Université McGill s’est attiré des sympathisantes et sympathisants à travers la communauté universitaire québécoise. Dyala Hamzah enseigne l’histoire à l’Université de Montréal. Après trois jours sur le site, elle constate que, selon ses observations, rien ne mérite une injonction ou l’intervention des forces policières. « En quoi y a-t-il agressivité ou quelconque danger? Quelconque menace? demande-t-elle. On parle du respect des lois internationales et des nombreuses résolutions des Nations Unies qui défendent le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et au retour. »
Pour Mme Hamzah, d’origine palestinienne, les événements à l’Université McGill démontrent à quel point les universités occidentales craignent les conflits politiques et la liberté d’expression. « De nos jours, le seuil de tolérance devant la dissidence, la résistance et l’expression politiques est vraiment faible, ce qui entièrement en opposition avec la mission universitaire. »
Le 2 mai, une contre-manifestation pro-Israël d’environ 200 personnes a eu lieu sur place devant le portail Roddick, qui était fermé. Un front d’une douzaine de policières et de policiers – notamment à cheval et en équipement d’intervention – se dressait entre les deux camps et faisait des rondes sur le campus. Dans le camp pro-israélien, on s’enveloppait de drapeaux d’Israël et on dressait des pancartes avec des photos des otages qui sont toujours en captivité, sept mois après l’attaque du Hamas.
Sur une petite scène, plusieurs ont pris le micro pour aborder les répercussions de l’attaque et leur déception quant à l’absence de démantèlement du site par l’Université McGill. Omer Maor, un Israélien qui vit à Montréal, affirme que les demandes de boycottage sont mal avisées et que le campement ne fait que creuser le fossé entre les deux camps. « Si ça se passait dans le respect de la loi et qu’on essayait de convaincre McGill d’investir dans les universités palestiniennes, je serais peut-être d’un autre avis, lâche-t-il. Mais le mouvement de boycottage est ancré dans une violence qui n’est pas axée sur le dialogue, mais sur la division. »
Le 2 mai dernier, le premier ministre Legault a prôné en conférence de presse le démantèlement du site. « C’est un campement qui est illégal, a-t-il affirmé. La loi doit être respectée. Je m’attends à ce que les forces policières défassent ces campements-là. » Dans une publication sur X, le Service de police de la Ville de Montréal a toutefois indiqué avoir pris connaissance du refus de la demande d’injonction et suivre la situation de près.
À la fin de cette semaine éprouvante, M. Saini a écrit à la communauté mcgilloise qu’il s’agit toujours d’une situation complexe et difficile, et que l’établissement collabore de près avec les services policiers, « dans le respect des valeurs qui forgent l’établissement ».