Le Canada décerne-t-il trop de doctorats? C’est l’une des questions qu’ont dû aborder les membres d’un groupe d’experts qui participaient à une séance sur la formation des scientifiques organisée dans le cadre de la troisième Conférence annuelle sur les politiques scientifiques canadiennes, qui avait lieu à Ottawa à la mi-novembre.
Aucun d’entre eux n’a répondu par un « oui » franc, mais la plupart ont reconnu que les titulaires de doctorat et les chercheurs postdoctoraux du pays avaient raison de s’inquiéter. En effet, ceux-ci croient de plus en plus qu’il leur sera difficile de trouver un emploi, et ce, même si le Canada génère moins de doctorats que bon nombre d’autres pays.
Le pourcentage de titulaires de doctorat qui obtiennent un poste universitaire, ce qui constitue généralement leur objectif principal, diminue; on estime qu’il se situe actuellement sous la barre des 20 pour cent, affirment les experts de la séance. On dit aux titulaires de doctorat et aux chercheurs postdoctoraux qu’« il existe au Canada des emplois pertinents en abondance hors du milieu universitaire. Peut-être, mais où sont-ils? » se demande Angela Crawley, coprésidente intérimaire de l’Association canadienne des stagiaires postdoctoraux.
Au Canada, entre 1986 et 2006, le nombre de titulaires de doctorat a augmenté de 13 pour cent, explique Olga Stachova, directrice de l’exploitation du réseau de recherche MITACS. Or, pendant ce temps, l’augmentation moyenne, parmi les pays de l’OCDE, s’élevait à 40 pour cent. « Par conséquent, malgré la croissance observée au Canada, nous sommes passés du 20e au 23e rang » pour le nombre de titulaires de doctorat par habitant, affirme-t-elle. Le débat ne s’arrête pas là : selon Statistique Canada, un titulaire de doctorat sur cinq songe à quitter le Canada après avoir obtenu son diplôme.
Dans ce contexte, il semble beaucoup plus sensé de se demander si le Canada ne génère pas trop peu de doctorats. « Si nous voulons réellement bâtir une économie du savoir, nous devons absolument compter sur une masse critique de travailleurs titulaires d’une maîtrise ou d’un doctorat qui stimuleront l’innovation et remueront des idées », affirme Mme Stachova.
La vraie question, juge-t-elle, vise à savoir pourquoi les titulaires de doctorat n’obtiennent pas d’emploi et comment nous pouvons améliorer la situation. Le Canada, selon Mme Stachova, « fait piètre figure lorsqu’il s’agit de démontrer la valeur de ces travailleurs ».
Tous les invités s’entendent cependant pour dire qu’une partie de la solution consiste à modifier la formation des doctorants. Mme Stachova croit qu’il faut offrir davantage d’occasions de stage pratique aux étudiants pouvant s’effectuer dans le secteur privé, certes, mais également dans les hôpitaux, les organisations à but non lucratif et les organismes gouvernementaux.
Mme Stachova a fait mention d’Accélération, un programme du MITACS qui permet à des étudiants de deuxième et troisième cycles de mener des recherches en collaboration avec un partenaire de l’industrie. Le MITACS offre actuellement environ 1 300 stages de ce type partout au Canada. « Ce nombre est important, mais comparé à celui des étudiants aux deuxième et troisième cycles au Canada, qui se situe entre 40 000 et 50 000, c’est un infime pourcentage, surtout si nous nous comparons à d’autres pays. »
Aux Pays-Bas, plus des deux tiers des doctorants effectuent un stage au cours de leur formation aux cycles supérieurs, explique Mme Stachova. En Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni, cette statistique s’établit à 55, 30 et 23 pour cent respectivement.
Le MITACS offre également un programme postdoctoral, Élévation, destiné aux nouveaux titulaires de doctorat qui cherchent à faire la « transition » entre les postes de professeurs universitaires et les emplois de gestion scientifique dans l’industrie. Établi en 2010, le programme offre actuellement 120 bourses de recherche en Colombie-Britannique et en Ontario et devrait s’étendre aux provinces de l’Atlantique et des Prairies en 2012.
Le président fondateur des Instituts de recherche en santé du Canada, Alan Bernstein, qui a occupé le poste de 2000 à 2007, ainsi que la présidente du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, Suzanne Fortier, étaient au nombre des experts lors de la conférence.
Interrogé sur le nombre de doctorats générés au Canada, M. Bernstein a contourné la question, expliquant qu’il « [ne savait] pas comment prédire nos besoins futurs », mais il a affirmé que du point de vue des politiques, « à [son] avis, c’est parce que les besoins ont diminué que nous en générons trop ». Pour ce qui est des problèmes comme l’économie fragile, les maladies et les changements climatiques qui menacent le monde, il juge que « d’ici à ce que nous réglions ces problèmes, nous aurons encore plus besoin de nouveaux scientifiques jeunes et brillants ».
Mme Fortier a pour sa part interprété la question différemment : « Si vous m’aviez demandé si nous formions trop de professeurs d’université, j’aurais répondu par l’affirmative. Mais formons-nous trop de personnes hautement scolarisées appelées à faire preuve de créativité et à contribuer à l’avancement du savoir? Absolument pas. »
M. Bernstein affirme demeurer optimiste quant aux autres judicieux choix de carrière extérieurs au milieu universitaire s’offrant aux titulaires de doctorat. « Si vous détenez un doctorat ou que vous effectuez des études postdoctorales, vous disposez de nombreuses options. Mais vous devez demeurer ouvert à ces éventualités et prendre des initiatives. »
Mme Fortier ajoute que de nombreux postes parmi ceux qui devront être comblés dans 10 ans n’existent même pas pour le moment. « Bon nombre d’entre vous devront créer les emplois de demain, prédit-elle. Voilà un défi de taille. »
Ces commentaires n’ont semblé rassurer que partiellement Mme Crawley, qui a récemment gagné un prix de développement destiné aux chercheurs postdoctoraux et qui tente d’obtenir une nomination conjointe comme professeure adjointe. « J’en suis encore au point où je me demande bien ce que je vais faire si ça ne fonctionne pas dans le milieu universitaire. Ça me terrifie, mais je vais devoir réfléchir sérieusement aux autres compétences que je possède, faire preuve d’initiative et trouver une solution. Et je peux déjà vous dire que trouver sa place constitue un processus de longue haleine. »