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Le Centre de journalologie d’Ottawa tente de contrer le fléau des revues prédatrices

L’année dernière, le Centre a organisé une réunion historique des intervenants du milieu de la recherche qui a permis d’établir une définition consensuelle de la revue prédatrice, mais ce n’est qu’un début.

par ALEX GILLIS | 20 MAR 20

Il y a quelques années, un professeur a dit à Kelly Cobey, chercheuse au Centre de journalologie d’Ottawa, qu’il n’avait jamais lui-même publié dans une revue prédatrice, mais qu’il s’agissait d’un bon point de départ pour les étudiants aux cycles supérieurs. Cette affirmation a sonné l’alarme.

« Les étudiants peuvent trouver des revues crédibles en libre accès, et peuvent aussi recourir à la prépublication », a-t-elle rétorqué, ajoutant que les revues prédatrices pouvaient nuire à la carrière d’un chercheur.

Les revues prédatrices ne respectent pas les procédures de rédaction acceptables (comme l’évaluation par les pairs) et leurs pratiques ne sont pas toujours éthiques (par exemple, elles n’archivent pas nécessairement les rapports d’étude). Pour attirer l’attention sur le problème, Mme Cobey et ses collègues ont récemment publié une définition de la revue prédatrice et lancé une série d’initiatives pour accroître la transparence, l’éthique et l’ouverture des éditeurs et des publications faites par les universitaires. À l’heure où le nombre de revues prédatrices ou trompeuses surpassent probablement celui des publications fiables, les chercheurs ont besoin de tout le soutien possible : à l’échelle mondiale, on en compte environ 13 000 – et ce nombre continue de croître.

Faisant partie du programme d’épidémiologie clinique de l’Institut de recherche de l’hôpital d’Ottawa (IRHO), le Centre de journalologie a été fondé en 2014 par David Moher, son directeur actuel. « J’étais conscient des problèmes substantiels qui nuisaient à la qualité de la recherche biomédicale », explique M. Moher, professeur agrégé à l’École d’épidémiologie et de santé publique de l’Université d’Ottawa, où il détient une chaire de recherche universitaire. « Je me suis demandé comment certains chercheurs réussissent à faire avancer leur carrière alors qu’ils n’adoptent clairement pas les meilleures pratiques de publication et que leur établissement n’exige pas qu’ils le fassent. J’ai pensé que cela avait peut-être à voir avec les mesures incitatives perverses utilisées par les universités pour promouvoir leur carrière. »

La journalologie, un champ de recherche relativement nouveau, est l’étude savante des pratiques de publication scientifique – elle examine les « mesures incitatives perverses », y compris la culture qui oblige les universitaires à publier des articles. « Publier dans des revues “à facteur d’impact élevé” est l’un des principaux paramètres utilisés pour l’avancement professionnel, explique M. Moher. Toutefois, la quantité des publications ne dit rien de la qualité et des retombées de la recherche. De plus, le facteur d’impact de la publication ne garantit certainement pas la qualité de l’article publié. »

Grâce à des fonds de démarrage de l’IRHO, le Centre peut étudier ce type de problème. Ses chercheurs envisagent aussi de concevoir une formation et un programme éducatif sur le fonctionnement des revues prédatrices, et de mettre en œuvre un vaste programme de recherche en journalologie.

Comment se protéger d’un prédateur

Dès sa fondation en 2014, le Centre s’est intéressé aux revues prédatrices en examinant les courriels non sollicités reçus de présumées revues prédatrices. En 2018, il a publié une revue des grandes études portant sur ce problème et a réalisé un sondage de type Delphi pour élaborer une définition consensuelle de la revue prédatrice. L’été dernier, 43 personnes de dix pays se sont réunies à Ottawa pour parachever la définition et discuter des problèmes non résolus émanant du sondage, comme le manque de transparence apparent qui règne autour de l’éthique et les pratiques de publication des revues fiables.

« Ce processus important était fondé sur des données probantes et rassemblait divers intervenants du milieu », explique Mme Cobey. Elle précise que des représentants d’établissements postsecondaires et d’organismes de financement de la recherche (comme les Instituts de recherche en santé du Canada), des décideurs, des rédacteurs en chef, des éditeurs de revues savantes, des bibliothécaires universitaires, des représentants d’associations professionnelles et des patients y ont participé.

« Nous avons pensé que, sans la participation de ces intervenants, notre définition ne serait pas utilisée par les gens du milieu dans l’élaboration des interventions pour contrer le fléau », précise-t-elle. (Cabells International, une entreprise qui crée et vend une analyse poussée des revues prédatrices, brillait par son absence. Mme Cobey explique que Cabells n’a pas été invitée parce que l’accès à ses listes noire et blanche est hors de prix pour de nombreux chercheurs et que son groupe préfère soutenir le libre accès.)

Le Centre travaille maintenant à « opérationnaliser la définition pour créer une politique et des ressources [gratuites] qui aideront les intervenants à éviter les revues prédatrices », souligne Mme Cobey. Il aide aussi les revues involontairement prédatrices dont les pratiques d’évaluation et de publication manquent de transparence et de rigueur. Par ailleurs, il veut appuyer les bailleurs de fonds et les établissements qui souhaitent pénaliser les chercheurs qui envoient des manuscrits aux revues prédatrices ou qui citent ces publications dans leurs curriculum vitae.

Parallèlement, en 2019, le Centre a publié les principes de Hong Kong, une liste de pratiques pour accroître la rigueur et la transparence chez les chercheurs et dans les établissements. Ces principes définissent et récompensent explicitement les comportements qui favorisent l’intégrité en recherche. Mme Cobey donne pour exemple l’Institut-hôpital neurologique de Montréal à l’Université McGill, qui pratique la science ouverte en rendant accessible aux équipes de recherche du monde entier les échantillons biologiques, l’information clinique et les données génétiques et d’imagerie qu’il recueille auprès de patients atteints d’une maladie neurologique.

L’intelligence artificielle au service de l’intelligence universitaire

Le Centre de journalologie travaille aussi à créer un portail pour les ressources éducatives en diverses langues, à surveiller le nombre de publications dans les revues prédatrices par discipline et lieu géographique, et à créer un outil numérique pour déterminer la probabilité qu’une revue soit prédatrice.

L’outil pourrait avoir des retombées particulièrement importantes. Grâce à une subvention de près de 100 000 dollars, le Centre collabore avec des experts en intelligence artificielle et en interfaces de programmation d’application afin de créer une page Web ou un module d’extension capable d’analyser les données logicielles et numériques, comme le contenu des sites Web des revues, pour mesurer la probabilité que celles-ci soient prédatrices.

« Nous voulons axer la conception sur l’utilisateur afin qu’il nous aide à déterminer comment fonctionnera l’outil, explique Mme Cobey en indiquant que des versions différentes seront créées pour les patients, les chercheurs, les éditeurs et les autres intervenants. Nous voulons offrir un moyen de noter rapidement une revue, puis, au besoin, d’obtenir des précisions sur la façon dont la note a été obtenue », dit-elle. Elle ajoute que non seulement l’outil sera gratuit et facile à utiliser, mais sa conception, y compris ses mises à jour, seront entièrement transparentes.

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