Un mois avant que l’Organisation mondiale de la Santé ne déclare la COVID-19 une pandémie mondiale en mars 2020, les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) lançaient un concours de financement d’urgence de 55 millions de dollars pour aider le milieu scientifique à en apprendre davantage sur le nouveau coronavirus. De nombreux chercheurs canadiens avaient alors suspendu leurs travaux de recherche pour se concentrer sur la nouvelle menace, au moment où la société et ses universités entraient en confinement.
Un deuxième cycle de financement rapide a suivi en avril. Au cours des 18 derniers mois, les IRSC ont investi plus de 236 millions de dollars dans 556 projets sélectionnés dans le cadre de 23 concours. Des partenaires comme le Conseil de recherches en sciences humaines et les fondations provinciales de recherche en santé ont versé plus de 20 millions de dollars. Aucune part du financement ne provenait d’autres programmes; il s’agissait de nouveaux investissements.
Bien que la première ronde de financement ait été effectuée en seulement quatre semaines par rapport au délai habituel de 12 à 18 mois pour un nouveau concours, et que le milieu de la recherche se soit rapidement adapté, certains universitaires canadiens se demandent si la création d’un nouveau programme spécifique à la COVID-19 était un choix judicieux.
Paola Marignani, biologiste moléculaire à l’Université Dalhousie, affirme que les fonds supplémentaires auraient été mieux utilisés s’ils avaient simplement été ajoutés aux concours courants. Selon Mme Marignani, cet ajout aurait pu faire grimper les taux de réussite des subventions jusqu’à leurs niveaux historiques de 30 %, ce qui aurait assurément mené à des découvertes pertinentes pour la pandémie, en plus d’aider à la lutte contre d’éventuelles maladies ou des maladies courantes comme le cancer et le diabète qui seront toujours là après la pandémie.
« Mes travaux portent sur les adénovirus, qui sont utilisés dans certains vaccins, mais je ne vais pas changer mes programmes de cancérologie et de biologie fondamentale juste pour courir après l’argent de la COVID [-19] », explique-t-elle.
Nathalie Grandvaux, virologue à l’Université de Montréal, affirme qu’il faut effectivement un financement accru dans la recherche fondamentale, mais qu’il aurait été très difficile pour les chercheurs canadiens de répondre aux questions sur le coronavirus sans subventions rapides et ciblées, car leurs laboratoires n’étaient pas suffisamment financés pour être en mesure de répondre à la pandémie par une simple réorientation de leurs travaux. « Nous avons payé le prix d’un financement antérieur insuffisant », dit-elle.
De nombreux universitaires reconnaissent que la pression politique pour répondre à la pandémie a fait en sorte que tout nouveau financement devait porter sur la COVID-19. « Le gouvernement pourrait difficilement dire qu’il va investir un milliard de dollars dans une stratégie à long terme au lieu de la pandémie », affirme Jim Woodgett, biologiste cellulaire à l’Institut de recherche Lunenfeld-Tanenbaum, un centre de soins, d’enseignement et de recherche affilié à l’Université de Toronto. « Il y a un niveau d’opportunisme nécessaire qui empêche la réflexion à long terme. »
Adrian Mota, vice-président associé, Programmes de recherche – Opérations, aux IRSC, affirme que l’équilibre entre la recherche fondamentale et les subventions appliquées et ciblées est toujours un sujet d’intenses discussions, mais que dans ce cas, l’approche ciblée était nécessaire. « Nous ne remettons pas en question l’importance d’investir dans la recherche libre, mais à mesure que la pandémie évoluait, il était plus logique d’investir dans des concours stratégiques », dit-il.
Dans le cadre de ces concours ciblés, les IRSC ont accepté les demandes pour la plupart des projets liés à la COVID-19, mais ont toutefois demandé aux évaluateurs d’accorder une attention particulière à ceux avec les meilleures chances d’apporter une aide rapide en réponse à la pandémie. « On ne sait pas toujours d’où proviendront les meilleurs résultats, alors il est logique de ratisser large », dit M. Mota.
Cela a cependant rendu difficile le travail d’évaluation par les pairs pour les évaluateurs, qui ont dû rejeter de nombreuses propositions de grande qualité pour des projets qui auraient pris plus de temps à se concrétiser. Ironiquement, de nombreux chercheurs auraient préféré davantage de consignes précises de la part des organismes responsables des concours. « Les évaluateurs n’étaient pas sûrs de ce qui était recherché », explique Shirin Kalyan, immunologiste à l’Université de la Colombie-Britannique, qui a évalué des demandes de subvention liées à la COVID-19. « Il aurait été utile que les IRSC établissent un échéancier selon les types de demandes qu’ils souhaitaient financer. »
Mme Grandvaux affirme que les premiers concours auraient dû porter davantage sur des sujets précis tels que le développement d’un modèle animal de transmission, la biologie de base du virus, la capacité de surveillance et le séquençage des variantes. « Le séquençage est arrivé très tard, il aurait pu être prioritaire dans les premiers concours de financement », dit-elle.
Alors que la phase d’urgence de la pandémie s’apaise, les chercheurs espèrent que l’expérience de la dernière année a démontré l’importance de la recherche fondamentale. Grâce à de nouveaux exemples révélant les avantages d’investissements à long terme dans la recherche, comme les travaux sur les nanoparticules lipidiques à l’Université de la Colombie-Britannique qui ont contribué au développement des vaccins à ARNm, les défenseurs de la science feront pression pour un plus grand investissement non seulement dans des projets sur la pandémie, mais aussi dans la recherche qui leur sert de fondements.
« La pandémie met de l’avant la nécessité d’investir dans la science canadienne », affirme M. Kalyan. « Beaucoup d’argent a été investi dans la COVID-19, maintenant les gens veulent reprendre leurs travaux habituels. »