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Le gouvernement de l’Alberta veut contrôler le financement fédéral de la recherche

Les opposantes et opposants au projet de loi estiment que ce dernier menace la liberté universitaire, l’autonomie institutionnelle et l’avenir du secteur de l’enseignement postsecondaire en Alberta.

par CAITLIN CRAWSHAW | 23 JUILLET 24

Le secteur de l’éducation postsecondaire albertain veut être exempté d’un nouveau projet de loi permettant au gouvernement provincial d’octroyer ou non du financement fédéral aux établissements publics, dont les universités.

Avec le Provincial Priorities Act (projet de loi 18), qui a été adopté à la fin mai pour une entrée en vigueur début de 2025, les équipes de recherche devront obtenir l’accordde la province pour conclure des ententes de financement avec le gouvernement fédéral, y compris les subventions des organismes subventionnaires, soit les Instituts de recherche en santé du Canada, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie et le Conseil de recherches en sciences humaines.

La première ministre Danielle Smith a présenté le projet de loi 18 comme une stratégie permettant d’affecter les fonds fédéraux aux priorités provinciales et ainsi permettre à l’Alberta de « tirer juste parti de l’argent des contribuables versé au fédéral ». Mme Smith, de même que le Parti conservateur uni, ont aussi déclaré que le projet de loi contrerait les biais idéologiques en recherche et le « contrôle fédéral » exercé par le gouvernement Trudeau.

Des voix opposées clament toutefois que le projet de loi représente une ingérence provinciale dans le secteur de l’enseignement supérieur. Elles soutiennent que le texte, tel qu’il est actuellement rédigé, menace la liberté universitaire et l’autonomie institutionnelle, et fera en sorte que moins de fonds pour la recherche seront attribués par Ottawa.

« Pas l’outil adéquat »

Le recteur de l’Université de l’Alberta, Bill Flanagan, redoute que le projet de loi 18, s’il est adopté tel quel, entraîne une réduction significative du financement fédéral pour son établissement et les autres universités de la province. « Aucune mesure prévue dans le projet de loi 18 ne nous aidera à aller chercher davantage de subventions fédérales pour la recherche, au contraire, indique-t-il. Son adoption risque certainement d’occasionner un déclin du financement fédéral de la recherche en Alberta. »

À ce chapitre, l’Université de l’Alberta a beaucoup à perdre. L’établissement, qui se classe au cinquième rang en matière de financement de la recherche au Canada, reçoit environ 500 millions de dollars annuellement. En 2023, ses chercheuses et chercheurs ont obtenu 215 millions de dollars en subventions fédérales par l’entremise de 1 800 ententes de financement distinctes.

Dans un article d’opinion qu’il a rédigé dernièrement, M. Flanagan soutient que le projet de loi 18 menace l’avantage concurrentiel de l’ensemble des universités de la province. Afin d’éviter l’ingérence provinciale dans les accords de financement conclus avec le gouvernement fédéral, les meilleurs talents en recherche opteront fort probablement pour des universités situées dans d’autres provinces. Sans oublier que les chercheuses et chercheurs pourraient quitter le navire pour saisir des occasions offertes ailleurs au Canada, leur permettant de conserver sans problème leur financement, programmes de recherche et brevets garantissant leur propriété intellectuelle.

Si le but du gouvernement provincial est d’affecter davantage de fonds fédéraux aux domaines qu’il juge prioritaires, comme le secteur de l’énergie, il y a des moyens plus efficaces d’y parvenir, insiste-t-il. « L’offre d’un financement équivalent aux fonds fédéraux représente toujours un intérêt pour Ottawa. Des outils sont disponibles, mais à notre avis, le projet de loi 18 n’est pas l’outil adéquat pour ce faire. »

Un fardeau administratif

Certaines personnes soutiennent qu’un nombre restreint d’universitaires de l’Alberta demanderont des subventions fédérales en raison du fardeau administratif accru, et de la possibilité que la province impose son droit de regard sur leurs demandes.

« Nous nous sentons de toute façon déjà submergés, car à l’heure actuelle, les demandes de financement en sciences sociales, humaines et pures sont des processus de longue haleine. La dernière chose que l’on souhaite, c’est de remplir d’autres formulaires pour le gouvernement provincial », affirme Trevor Harrison, spécialiste en sociologie politique et professeur émérite à l’Université de Lethbridge.

De plus, les organismes subventionnaires fédéraux imposent des échéances fermes que les équipes de recherche de l’Alberta pourront difficilement respecter si elles doivent en plus se heurter à un processus d’approbation provincial alourdi par la bureaucratie. « Ce gouvernement n’est pas exactement le plus efficace », indique Dan O’Donnell, professeur d’anglais à l’Université de Lethbridge et président de la Confédération des associations de professeures et professeurs de l’Alberta.

Dans une déclaration adressée à Affaires universitaires, une personne porte-parole du ministère de l’Enseignement supérieur de l’Alberta a précisé que « le ministère considère toutes les options possibles pour mettre en place un processus d’approbation simple n’ajoutant pas de fardeau administratif supplémentaire aux organisations touchées ». Le ministère a également affirmé que le processus d’approbation sera « défini en concertation continue avec les parties prenantes concernées, et en tenant compte du processus d’élaboration réglementaire ».

Une méconnaissance du processus d’octroi de subventions

Selon les opposantes et opposants au projet de loi, tant la rédaction de ce dernier que les commentaires formulés par le gouvernement traduisent une méconnaissance du processus d’octroi de subventions.

« D’abord, il est faux de croire que le financement fédéral de la recherche repose sur l’idéologie », avance M. O’Donnell. Ce n’est pas le gouvernement fédéral lui-même qui octroie les fonds de recherche, mais des comités universitaires chapeautés par les organismes subventionnaires, lesquels sont indépendants du gouvernement. M. O’Donnell, qui a siégé à une dizaine de ces comités, observe que les chercheuses et chercheurs de l’Alberta y sont habituellement surreprésentés.

Gordon Swaters, président de l’Association du personnel universitaire de l’Université de l’Alberta, croit que les commentaires du gouvernement « démontrent une méconnaissance alarmante du système canadien d’octroi de subventions et de sélection des titulaires ». Il va sans dire que la possibilité que le gouvernement politise la recherche universitaire pour en tirer des avantages politiques est tout aussi alarmante.

La liberté universitaire menacée

M. Swaters fait remarquer que les explications fournies par la première ministre portent à croire que le gouvernement soumettra la recherche universitaire à « une sorte d’épreuve idéologique ». « Le tout est reçu comme une sérieuse menace à la liberté universitaire », poursuit-il.

Nombreuses sont les personnes qui craignent une forme de censure gouvernementale. « Il y a une réelle menace de tentative de contrôle de la recherche », évoque M. Harrison, qui a copublié en 2023 un ouvrage sur le Parti conservateur uni intitulé Anger and Angst: Jason Kenney’s Legacy and Alberta’s Right. Il mentionne que les commentaires de la première ministre suggèrent « que ce qui est financé, et le type de recherche financé, sont infâmes ». Selon lui, ces propos cadrent avec l’opinion de la base populiste de droite du parti, qui ne connaît pas le milieu universitaire, et qui va parfois jusqu’à s’en méfier.

Même si le projet de loi est présenté comme « une démonstration de pouvoir envers les autorités fédérales », plusieurs le perçoivent aussi comme une tentative de mainmise peu subtile. « Il s’agit d’un gouvernement très contrôlant et centralisateur », précise M. Harrison. Malgré ses promesses d’allègement du fardeau administratif, le Parti conservateur uni « souhaite s’impliquer dans la vie des gens et centraliser l’autorité non seulement au sein du gouvernement, mais particulièrement au sein du conseil exécutif et du cabinet de la première ministre ».

Outre une potentielle censure gouvernementale, M. O’Donnell soutient que « les universités se montreront très méfiantes et commenceront à s’autocensurer, car comme nous l’avons vu durant la crise du financement, les administrations universitaires avaient si peur du gouvernement qu’elles ont accepté sans broncher des coupes budgétaires de l’ordre de 40 pour cent ».

Le gouvernement a promis de mener des consultations auprès de parties prenantes au cours de l’été, lesquelles auraient commencé au début de juin selon le ministère de l’Enseignement supérieur. Affaires universitaires a communiqué avec des porte-parole du gouvernement pour obtenir des précisions au sujet du processus, mais aucune information supplémentaire ne lui a été fournie.

Le gouvernement a déclaré qu’il envisagerait d’exclure le financement des organismes subventionnaires du projet de loi, mais pas le financement de la recherche. Même si cela contribuait grandement à atténuer les conséquences néfastes du projet de loi, M. Flanagan espère toujours une exemption complète.

« Ce projet de loi est une préoccupation fondamentale, soutient-il. Il remet en question le principe même de la liberté universitaire et le rôle des universités au sein d’une société libre et démocratique, qui se doivent d’être des lieux où tenir des débats et mener des activités de recherche tout en étant à l’abri des priorités changeantes des différents gouvernements au pouvoir. »

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