En mars dernier, l’Université de Calgary a fait savoir par communiqué de presse que 45 pour cent des diplômés de son école de médecine avaient choisi le programme de résidence en médecine familiale. C’est là une évolution majeure : en 2008, ils n’étaient que 18 pour cent.
Et il y a d’autres bonnes nouvelles. Dans le cadre du premier cycle de « jumelage » des résidents géré par le Service canadien de jumelage, les programmes de résidence en médecine familiale de l’Université de Calgary ont atteint leur pleine capacité, tout comme ceux de l’Université Queen’s, de l’Université Toronto et de l’Université de la Colombie-Britannique. Une première depuis des décennies.
« La plupart des étudiants des écoles de médecine pensent qu’être médecin de famille se résume à renouveler des ordonnances et à accompagner les patients », déplore David Keegan, directeur des études au premier cycle au département de médecine familiale de l’Université de Calgary. Depuis plusieurs années, son département s’emploie, comme bien d’autres au pays, à changer cette perception et à améliorer l’enseignement de la médecine familiale, au premier cycle comme au stade de la résidence. Leurs efforts commencent à porter leurs fruits.
L’école de médecine de l’Université de Calgary bénéficie aujourd’hui d’un financement provincial annuel de 14 millions de dollars pour les initiatives axées sur la médecine familiale, en particulier le programme de résidence. Dès leur arrivée, les étudiants prennent part à une activité intitulée Med.Zero. Proposée depuis 2011, celle-ci vise à transformer leur perception de la médecine familiale en leur expliquant que cette discipline permet de vivre chaque jour une expérience différente : ils ont l’occasion de travailler dans le Grand Nord ou encore aux urgences, de pratiquer des accouchements, voire de sauver des vies par le dépistage précoce des cancers ou des maladies cardiaques. Les étudiants apprennent également à cette occasion à mettre un plâtre et à réaliser des points de suture.
Les bureaux de médecine familiale de l’Université de Calgary, jadis situés dans un centre commercial voisin de sa clinique, ont été déplacés dans le bâtiment principal de l’école de médecine pour que les étudiants passent devant chaque jour. L’établissement a de plus commencé à envoyer ses étudiants de première année sur le terrain pour qu’ils voient les médecins de famille à l’œuvre. Davantage de généralistes ont aussi été embauchés comme chargés de cours.
À l’Université de l’Alberta, 41 pour cent des étudiants en médecine au premier cycle ont opté cette année pour la médecine familiale comme premier choix; c’est 20 pour cent de plus qu’il y a quelques années. Selon le chef du département de médecine familiale de l’établissement, Lee Green, l’embauche d’un nombre accru de médecins de famille comme professeurs et chargés de cours contribue non seulement à promouvoir la profession, mais également à améliorer la formation.
« Les étudiants de première et deuxième année apprennent les bases de la médecine. Il n’est pas nécessaire qu’elles leur soient inculquées par un spécialiste », explique le Dr Green. Après tout, qui en sait plus sur les fractures osseuses, la grippe ou encore les problèmes ophtalmiques ou cardiaques qu’un médecin de famille?
La volonté de promouvoir la médecine familiale ne se cantonne pas à l’Alberta. Au Québec, les hôpitaux universitaires accueillent cette année 424 résidents en médecine familiale, soit près de 16 pour cent de plus que l’an dernier. Les six écoles de médecine de l’Ontario participent pour leur part au Family Medicine Expansion Project. Mis sur pied il y a 10 ans, ce projet de collaboration sur divers plans avec le gouvernement provincial a déjà conduit à la hausse des honoraires des généralistes, à la mise sur pied d’équipes de santé familiale et à l’utilisation des dossiers de santé électroniques.
« Le sort des médecins de famille s’est nettement amélioré en Ontario », affirme Stephen Wetmore, chef du département de médecine familiale de la Schulich School of Medicine & Dentistry de l’Université Western. Le nombre de postes de résidents s’est accru, et un financement a permis de recruter et de former des médecins pour qu’ils intègrent des résidents à leurs cabinets.
Comme l’Université de Calgary, l’Université Western organise depuis 2008 une journée d’accueil axée sur la médecine familiale et les compétences cliniques associées. Cette initiative et d’autres visant à promouvoir la discipline ont conduit cette année 43 pour cent de ses étudiants en médecine au premier cycle à choisir de faire leur résidence en médecine familiale.
À l’Université Queen’s, le projet a permis de porter en 10 ans le nombre de postes de résidents de 18 à 30. L’établissement a multiplié les sites de formation au sein de la collectivité, surtout en zone rurale. Un directeur supervise chaque site pour s’assurer que tout se passe au mieux. La formation en classe comprend de nouveaux cours, dont l’un intitulé Nightmares, qui apprend aux étudiants comment s’occuper des patients très malades. « Nous offrons de nouveaux programmes stimulants et la nouvelle se répand rapidement », se réjouit Karen Schultz, directrice du programme de médecine familiale de l’établissement.
Les écoles de médecine familiale canadiennes ont de bonnes raisons de déployer autant d’efforts pour cette discipline : idéalement, la moitié du corps médical devrait être constituée de généralistes. « Un bon équilibre entre médecins de famille et spécialistes engendre un meilleur fonctionnement du système de santé », soutient le Dr Keegan. En outre, un nombre excessif de spécialistes peut mener à une augmentation du taux de chômage. L’Association canadienne d’orthopédie indique, par exemple, que 50 pour cent des nouveaux diplômés en chirurgie orthopédique au Canada ne trouvent pas d’emploi.
Ainsi, malgré l’augmentation des médecins de famille formés, la pénurie de généralistes subsiste. Selon une récente enquête du Conseil canadien de la santé, sept pour cent des Canadiens, soit deux millions et demi de personnes, n’ont toujours pas de médecin de famille.
Même si la situation devrait s’améliorer d’ici environ deux ans, lorsque l’importante cohorte de futurs généralistes actuellement résidents arrivera au terme de sa formation, ceux qui ont plaidé pour ce nouveau modèle craignent qu’une fois l’équilibre atteint et la formation médicale améliorée, la dynamique et le financement commencent à s’épuiser. « Le maintien de ce nouveau modèle est pourtant essentiel, affirme le Dr Keegan, sans quoi un retour en arrière sera inévitable. »