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Actualités

L’énigme du processus de Bologne

Malgré les profonds effets qu’aura le processus sur l’enseignement supérieur 
en Europe, ses conséquences pour le Canada demeurent difficiles à comprendre

par LÉO CHARBONNEAU | 09 FEV 09

A l’heure où le processus de Bologne bouleverse l’enseignement supérieur en Europe, les observateurs tentent d’en évaluer les conséquences sur le système d’enseignement supérieur canadien. Il semble, sans que personne ne puisse encore l’affirmer avec certitude, que le processus pourrait nuire à la mobilité des étudiants entre le Canada et l’Europe ainsi qu’aux activités de recrutement à l’étranger des universités canadiennes.

Le processus de Bologne résulte du désir des pays d’Europe d’harmoniser leurs systèmes d’enseignement supérieur en créant, d’ici 2010, un Espace européen de l’enseignement supérieur. Les pays non européens suivent de près cette réforme ambitieuse.

La déclaration initiale a été signée à l’Université de Bologne, en 1999, par les ministres de l’Éducation de 29 pays européens. Quarante-six pays adhèrent aujourd’hui au processus dont les origines remontent à 1987, avec la création du programme Erasmus.

Le programme Erasmus apporte aux étudiants européens le soutien financier nécessaire pour leur permettre d’étudier dans d’autres universités du continent, le temps d’un trimestre ou deux. S’il a connu un grand succès, il a aussi montré à quel point les différences qui existent entre les systèmes universitaires des pays participants sont grandes et peuvent nuire à la mobilité des étudiants. Certains pays, par exemple, proposent des programmes de premier cycle de cinq ans, et d’autres de trois ou quatre ans seulement. De même, certains pays décernent des diplômes de maîtrise, et d’autres non. Les méthodes utilisées pour évaluer les résultats et établir la valeur accordée aux crédits sont également très variées.

Le processus de Bologne vise avant tout à accroître la mobilité des étudiants et des professeurs d’université en Europe. Il a aussi pour but de rendre l’enseignement supérieur européen plus attrayant et de conduire à des structures plus transparentes et cohérentes en matière, par exemple, de transfert des crédits, d’assurance de la qualité et d’évaluation des résultats.

Les acteurs du processus de Bologne précisent qu’il ne repose sur aucun traité intergouvernemental. Chaque pays est libre d’adhérer ou non aux principes du processus, mais subit beaucoup de pression en raison du risque important de se voir distancié s’il choisit de ne pas le faire.

La mise en œuvre du processus de Bologne s’est faite « de manière progressive », précise Lee Harvey, directeur du Centre for Research
and Evaluation de l’Université Sheffield Hallam au Royaume-Uni et spécialiste des politiques en matière d’enseignement supérieur. Essen-tiellement axé au départ sur la transparence et la mobilité, le processus est peu à peu devenu plus « global » 
avec l’intervention de la Commission européenne, du Conseil de l’Europe,
de l’UNESCO et d’autres acteurs.

Selon Fiona Hunter, ex-dirigeante de la European Association for International Education, le processus de Bologne a créé un « sentiment d’urgence » dans bien des pays hors de l’Europe. « Son évolution est si rapide que tout le monde tient à demeurer informé, à suivre de près les changements qu’il engendre en Europe et leurs effets sur les autres systèmes. »

Mme Hunter précise que, avec l’accroissement de la mobilité des étudiants partout dans le monde, ce type de remise en question planétaire était inévitable. « C’est la conséquence de la mondialisation sur l’enseignement supérieur », affirme-t-elle.

On évoque souvent que l’Australie est à l’avant-garde des pays non européens en ce qui concerne sa réaction au processus de Bologne. Avec plusieurs partenaires d’Asie, elle a mis sur pied en 2006 l’initia-tive de Brisbane, décrite par certains comme l’amorce d’un processus visant à harmoniser l’enseignement supérieur en Asie. D’autres régions, comme l’Amérique latine, travaillent par ailleurs à des projets conjoints avec l’Europe.

La réaction canadienne

L’Association des universités et collèges du Canada (AUCC) suit attentivement l’évolution du processus de Bologne et les réactions des autres pays non européens à celui-ci, souligne Robert White, analyste principal des politiques au sein de la Division des relations internationales de l’AUCC.

À la fin du mois de janvier dernier, l’Association a organisé pour ses membres un symposium avec des représentants européens, consacré aux défis et aux possibilités que présente le processus. L’exercice faisait suite à l’analyse des conséquences du processus préparée par le Comité consultatif permanent des relations internationales de l’AUCC et à la déclaration de l’Association publiée en juin 2008, dans laquelle elle précisait sa position par rapport au processus.

Selon M. White, le processus de Bologne devrait principalement toucher le Canada sur trois plans. D’abord parce qu’il fixe à trois le nombre d’années d’études nécessaires à l’obtention du baccalauréat, à deux pour l’obtention de la maîtrise et à trois pour l’obtention du doctorat. Dans l’immédiat, il convient donc d’établir si les universités canadiennes jugeront que ces diplômes permettent d’être admis aux cycles supérieurs.

Le processus de Bologne risque également d’influer sur le recrutement d’étudiants étrangers. M. White voit en lui « une campagne de promotion de l’enseignement supérieur européen très élaborée qui risque de nuire à la capacité des universités canadiennes d’attirer et de recruter les étudiants étrangers, plus enclins à privilégier les établissements européens ».

Enfin, le processus de Bologne est susceptible d’influer sur la mobilité des étudiants, dans une mesure qui reste toutefois difficile à prévoir. La modification des diplômes décernés par les pays adhérents risque en effet de mettre à mal les programmes d’échanges étudiants, mais pourrait aussi favoriser la mise en place de programmes d’échanges et d’études conjoints avec un plus grand nombre de partenaires européens.

Certaines organisations, comme le Conseil canadien sur l’apprentissage, voient dans le processus de Bologne une occasion pour le Canada de réformer son système de l’enseignement supérieur. Judith Maxwell, ancienne présidente du Conseil économique du Canada et des Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, écrivait ainsi en mai dernier que la « meilleure option » pour les universités et les collèges consiste à « inventer leur propre version du processus de Bologne en vue de mettre sur pied un système pancanadien ».

À peu près au même moment, Clifford Adelman, associé principal à l’Institute for Higher Education Policy des États-Unis, faisait grand bruit en affirmant dans un rapport que les établissements américains doivent emboîter le pas au processus de Bologne s’ils ne veulent pas rester à la traîne. Dans ses grandes lignes, « le processus de Bologne est porteur d’une dynamique telle qu’il pourrait devenir d’ici 20 ans le modèle dominant à l’échelle internationale », écrivait-il.

L’opinion des experts

Craig Klafter, vice-recteur associé aux relations internationales à l’Université de la Colombie-Britannique, met en doute le discours précité. Selon lui, 
« il faut se garder d’emboîter le pas à un processus qui ne va peut-être pas dans le sens qu’on croit ». M. Klafter juge le processus de Bologne positif à certains égards, mais préoccupant à d’autres.

Parmi les aspects positifs du processus, M. Klafter cite le système européen de transfert de crédits (ECTS), qui établit la valeur des crédits obtenus en fonction de la charge de travail des étudiants en classe et hors de celle-ci plutôt que, comme en Amérique du Nord, en fonction des heures qu’ils passent avec leurs professeurs.

Les universités canadiennes pourraient, selon M. Klafter, envisager l’idée d’offrir leurs cours en tenant compte des deux systèmes. L’Université de Victoria a été la première à le faire au Canada pour ses programmes d’été, dans l’espoir d’attirer les étudiants européens. L’Université de la Colombie-Britannique envisage également la pos-sibilité de le faire, à la fois dans ses relevés de notes et dans son calendrier de cours.

M. Klafter voit également d’un bon œil le supplément au diplôme introduit par le processus de Bologne. Ce document, qui explique avec précision les cours suivis par les étudiants, pourrait être utile aux employeurs et conduire à repen-ser le type de renseignements à intégrer aux relevés de notes.

Par contre, M. Klafter est fermement opposé à l’idée d’un registre européen centralisé des agréments, qui découra-gerait les établissements d’enseignement supérieur de se démarquer et d’innover.

Une des « caractéristiques distinc-tives » du système canadien tient à sa nature décentralisée, précise M. Klafter, ajoutant que « le fait que l’enseignement supérieur soit de compétence provinciale a grandement favorisé l’innovation ».

M. Klafter souligne enfin que, malgré le très vif intérêt qu’il suscite, le processus de Bologne « se heurte encore à une opposition considérable de la part non seulement des universités euro-péennes, mais aussi, et de plus en plus, du Parlement européen ».

Signalons en outre que les pays ne sont pas tous tenus de mettre le processus en œuvre au même rythme. Si la plupart des pays de l’ancien bloc de l’Est ont accueilli les réformes avec enthousiasme, certains pays aux systèmes plus anciens – comme l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne – mettent plus de temps à s’adapter.

M. Harvey, de l’Université Sheffield Hallam, admet que le processus de Bologne souffre encore de « toutes sortes d’anomalies ». Il estime, cela dit, que si on considère le nombre de pays adhérents et la diversité des systèmes qui existaient au départ, « le fait qu’on soit parvenu à une certaine forme d’harmonisation est en soi remarquable ».

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