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L’enseignement supérieur occulté des élections québécoises

Malgré leurs divers enjeux, l’éducation postsecondaire et la recherche universitaire passent sous le radar depuis le début de la campagne électorale au Québec.

par JEAN-FRANÇOIS VENNE | 29 SEP 22

Il y a 10 ans, l’éducation supérieure se trouvait au centre des élections provinciales au Québec. La province se remettait à peine du Printemps érable, un mouvement étudiant contre la hausse des droits de scolarité qui s’était muté en large contestation sociale. Dans ce contexte, les partis politiques pouvaient difficilement se passer d’engagements clairs au sujet de l’accessibilité aux études supérieures et de leur financement.

Rien de tel cette année. La santé, l’inflation, l’environnement, l’immigration, la sécurité, le transport et la fiscalité ont damé le pion à l’enseignement supérieur et à la recherche universitaire. Les plateformes des formations politiques comprennent peu de promesses sur ces sujets. Une semaine avant les élections, le Parti Québécois n’en avait même dévoilé aucun.

Pierre Cossette, président du conseil d’administration du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) et recteur de l’Université de Sherbrooke, s’en désole sans s’en surprendre. « L’enseignement supérieur constitue un levier puissant de prospérité et de développement social, mais son effet se fait sentir sur le long terme; c’est donc rarement un sujet sur lequel les partis gagnent ou perdent beaucoup de votes dans une élection », admet-il.

Les enjeux en éducation universitaire ne manquent pourtant pas au Québec. Malgré les réinjections de fonds des dernières années, l’écart de financement avec les établissements canadiens hors Québec s’élève à plus d’un milliard de dollars par année, selon le BCI.

« Nous comprenons que nous ne recevrons pas un milliard de dollars supplémentaires d’un coup, mais les universités ont besoin d’un réinvestissement significatif et récurrent pour réussir leurs missions, poursuivre un virage numérique qui s’accélère, s’adapter aux nouvelles clientèles et servir les nombreux étudiants étrangers », énumère M. Cossette.

Une éducation de qualité

 Les quatre autres principaux partis en lice ont égrené quelques promesses. Le Parti libéral du Québec (PLQ) entend établir une formule plus consensuelle pour le controversé programme de bourses Perspective Québec, qui propose des bourses de 2 500 dollars par session aux étudiant.e.s inscrit.e.s dans certains programmes spécifiques.

L’augmentation du nombre de bourses disponibles dans les Fonds de recherche du Québec et l’offre de produits menstruels gratuits sur tous les campus ont aussi été mises de l’avant par cette formation.

Le PLQ s’est surtout engagé à mettre à niveau les infrastructures d’enseignement supérieur afin de répondre à l’augmentation prévue du nombre d’étudiant.e.s. Selon le ministère de l’Enseignement supérieur, l’effectif étudiant en équivalence à temps plein comptera au moins 10 000 personnes de plus en 2028 par rapport à 2018.

Le président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), Jean Portugais, souligne que le nombre de professeur.e.s ne suit pas la même courbe de croissance que celle des étudiant.e.s. « Donc nous nous retrouvons avec de plus en plus de grands groupes, ce qui nuit à la qualité de l’enseignement et de la formation », juge-t-il.

La FQPPU souhaite par ailleurs que l’on assure l’accès des étudiant.e.s à une éducation de qualité et en personne, plutôt qu’en ligne. « On assiste à un glissement vers le virtuel pour plusieurs raisons, mais l’éducation à distance avec de vastes groupes dont les membres restent très anonymes n’est pas optimale sur le plan pédagogique », estime M. Portugais.

Gratuité scolaire

Le parti de gauche Québec solidaire (QS) reste le seul à promettre l’atteinte progressive de la gratuité scolaire à tous les niveaux. Elle s’accompagnerait d’une bonification du financement des cégeps et des universités francophones visant à les rendre plus attractifs. En août dernier, des chercheurs de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) évaluaient que la gratuité scolaire à l’université coûterait environ 1,2 milliard de dollars par année à l’État.

Une position qui plaît à l’Union étudiante du Québec (UEQ). « Nous demandons qu’il n’y ait pas de hausse ni de modulation des droits de scolarité et qu’une éventuelle révision du financement des universités ne passe pas par une augmentation des droits de scolarité », avance Samy-Jane Tremblay, présidente de l’UEQ.

QS souhaite aussi mettre en place une politique nationale des stages afin d’encadrer le statut de stagiaire et d’assurer la rémunération de tous les stages. Chaque année au Québec des milliers d’étudiant.e.s inscrit.e.s dans des programmes de technique des cégeps et dans plusieurs formations universitaires travaillent sans recevoir de salaire. « C’est surtout le cas dans les domaines où les femmes sont traditionnellement majoritaires, comme l’enseignement et le travail social », souligne Elisabeth Sauvageau, porte-parole du collectif Un salaire pour toustes les stagiaires.

Ainsi, à l’heure actuelle, un.e étudiant.e de l’École de technologie supérieure sera payé.e en moyenne 14 000 dollars pour un premier stage de quatre mois et 15 500 dollars pour un second. Au terme de sa formation, l’étudiant.e pourrait avoir touché environ 46 000 dollars en salaire pour des stages. Les étudiant.e.s en enseignement ou en travail social devront réaliser entre 700 et 800 heures de stage non rémunérées.

« Nous demandons que tous les stages soient salariés, explique Mme Sauvageau. Nous voulons des salaires, plutôt que des bourses ou d’autres compensations, car cela donne droit à des protections et permet de s’organiser et de se syndiquer. »

Du soutien aux étudiant.e.s

Le Parti conservateur du Québec (PCQ, aucun lien direct avec le Parti conservateur du Canada) entend pour sa part s’attaquer aux associations étudiantes. Cette incarnation québécoise de la droite populiste souhaite mettre fin à la pratique traditionnelle selon laquelle les étudiant.e.s deviennent automatiquement membres de leur association étudiante et paient leur cotisation à même leurs droits de scolarité. Rappelons que le gouvernement Ford, en Ontario, avait tenté de faire la même chose, mais que la mesure avait été jugée « illégale » par la Cour divisionnaire de l’Ontario. Le PCQ veut aussi placer les associations étudiantes sous la surveillance de comités indépendants chargés d’évaluer leur conduite en regard de la liberté d’expression.

« Nous considérons cet engagement comme un grand danger pour l’ensemble des étudiant.e.s et une atteinte à leur droit, proteste Samy-Jane Tremblay. C’est également une menace directe pour toutes les personnes syndiquées au Québec [les syndicats fonctionnent sur la base du même principe d’accréditation automatique — NDLR]. »

Le PCQ promet aussi d’éliminer les pénalités qui réduisent le montant des prêts et bourses pour les étudiant.e.s qui travaillent pendant leurs études, en plus de bonifier des bourses et d’offrir des remboursements de prêts aux personnes œuvrant dans certains secteurs essentiels.

Plusieurs revendications étudiantes portent justement sur le programme d’Aide financière aux études (AFE). L’UEQ s’inquiète des effets sur les étudiant.e.s de la pénurie de logements, de la hausse du coût des loyers et de l’inflation. « Plusieurs étudiant.e.s ont peiné pour se loger à temps pour la session d’automne, confie Mme Tremblay. Tous et toutes semblent y être arrivé.e.s, mais les deux tiers des étudiant.e.s consacrent maintenant plus de 30 % de leurs revenus à leur logement, ce qui les place en situation de précarité financière. »

L’UEQ demande que l’AFE prenne en considération le coût réel des loyers dans ses calculs et non le prix moyen des marchés compilé par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). L’UEQ rappelle aussi que les bonifications de l’AFE liées à la pandémie de COVID-19 se terminent en 2022-2023. Comme l’inflation au Québec a bondi de 8,1 % de juin 2021 à juin 2022 et ne semble pas ralentir, cette perte de revenu fera mal. « L’Aide financière aux études doit être ajustée pour tenir compte de l’inflation », soutient Mme Tremblay.

La fédération étudiante revendique par ailleurs l’élimination des clauses d’amnistie pour les cas de violences sexuelles à l’université. Un grand nombre de conventions collectives prévoient que les dossiers disciplinaires concernant ce type de faute doivent être effacés après 12 ou 24 mois. Selon l’UEQ, cela ne respecte pas l’esprit de la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur, adoptée en 2017.

Aide à la recherche

La Coalition avenir Québec (CAQ) a pour sa part promis la création de 20 nouvelles chaires de recherches en études québécoises dotées chacune d’un maximum de 1,5 million de dollars sur 3 ans, avec une possibilité de renouvellement. Ces chaires devraient se concentrer sur des enjeux liés à la langue, la culture, l’histoire, la géographie et la politique québécoise.

« C’est une autre tentative par le politique d’imposer des thèmes de recherche aux universitaires, ce qui va à l’encontre de notre vision de la liberté académique », déplore le président de la FQPPU. Il rappelle que le financement de la recherche a subi plusieurs épisodes de réduction budgétaire depuis 30 ans. Même les récents réinvestissements dans les universités ne sont pas accompagnés de grosses augmentations des budgets des Fonds de recherche du Québec.

Ce syndicat défend l’octroi d’une subvention de recherche annuelle de base pour l’ensemble des professeur.e.s, afin de leur permettre d’amorcer leurs projets de recherche. « On ne sait pas d’où viendra la prochaine découverte révolutionnaire ou la prochaine grande idée, donc l’autonomie des chercheurs est cruciale », ajoute M. Portugais.

Partisan d’une protection législative de la liberté académique à l’université, la FQPPU s’est réjouie de l’adoption de la Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire en juin dernier. Elle aurait toutefois aimé que celle-ci défende mieux les personnes faisant de la recherche contre les poursuites-bâillons.

« Ça fait longtemps que nous nous battons contre la marchandisation de l’éducation et pour un encadrement plus strict du rôle du privé dans la recherche, rappelle le syndicaliste. La liberté académique ne se résume pas à pouvoir nommer le titre d’un livre qui comprend un mot controversé. Ça concerne l’indépendance intellectuelle et scientifique et l’autonomie réelle des professeur.e.s, des chercheurs et chercheuses et des universités. »

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  1. Sylvain Marois / 29 septembre 2022 à 14:39

    Il y a un énorme absent dans votre article : le corps enseignant qui donne 50-60% des cours de premier cycle. En effet, pas un mot sur les personnes chargées de cours.

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