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Les classements gagnent en popularité, malgré d’indéniables inconvénients

De nombreux établissements consacrent maintenant temps et argent à hausser leur cote dans les divers classements universitaires.

par ROSANNA TAMBURRI | 11 SEP 13

Dans un récent affichage de poste pour son centre mondial d’excellence de Vancouver à l’intention des diplômés en informatique, Twitter exigeait que les candidats détiennent un diplôme de l’une des 100 meilleures universités au monde selon le classement du Times Higher Education (THE), du Quacquarelli Symonds (QS) ou d’autres organismes similaires. D’après Phil Baty, rédacteur du classement du THE basé à Londres, cela démontre que les classements des universités sont devenus dangereusement puissants.

Depuis le premier classement des universités canadiennes du magazine Maclean’s en 1991, inspiré par la publication U.S. News and World Report, qui a commencé à classer les établissements américains en 1983, rien n’a fait couler plus d’encre ni n’a autant irrité les dirigeants des établissements d’enseignement supérieur, même les mieux classés. David Naylor, recteur sortant de l’Université de Toronto et auparavant fervent opposant aux classements, a tenu ce discours lors d’une conférence il y a quelques années : « J’ai fait la paix avec les classements, tout comme avec le fait que je doive passer une colonoscopie tous les cinq ans. »

Depuis, se sont ajouté des dizaines de systèmes de classement différents comme le THE, le QS et le Shanghai Ranking Consultancy, créés il y a 10 ans et qui demeurent les plus réputés et les plus mondialement connus. Leur offre s’est étendue au cours des ans et de nouveaux organismes ont établi des classements par région ou discipline et selon la réputation universitaire. Leurs données et méthodologies sont décriées à différents niveaux. Même M. Baty a affirmé lors de la conférence de Worldviews sur les tendances mondiales dans les médias et l’enseignement supérieur, tenue à Toronto en juin dernier, que tout classement présente de « graves lacunes ».

Philip Altbach, directeur du centre pour l’enseignement supérieur international du collège de Boston a ajouté, lors de la même conférence, que le principal désavantage des classements réside habituellement dans le fait qu’ils évaluent principalement les résultats de recherche et la réputation sans tenir compte des missions propres à chaque établissement. L’enseignement et l’apprentissage n’y sont pas évalués puisqu’il est difficile de les mesurer à l’échelle internationale. De plus, les classements n’englobent qu’une fraction des établissements mondiaux, soit entre un et trois pour cent de quelque 17 500 universités, selon un rapport de l’Association des universités européennes, basée à Bruxelles. Sciences humaines, beaux-arts et sciences sociales sont des disciplines sous-représentées puisque, dans ces domaines, les recherches sont publiées sous forme de livres plutôt que dans les revues utilisées comme indicateurs bibliométriques. Les revues non anglophones sont également exclues en raison d’une recension moins importante de leurs citations.

Indira Samarasekera, rectrice de l’Université de l’Alberta, a mentionné que trop de mesures, particulièrement celles qui sont utilisées pour le classement des réputations, se basent sur des opinions subjectives recueillies par voie de sondage auprès des étudiants et du corps professoral. Elle explique que les classements ne tiennent également pas compte des investissements gouvernementaux et privés en recherche-développement ainsi que des transferts technologiques des universités, au détriment des établissements de puissances économiques et technologiques, comme Israël et l’Allemagne.

De tels arguments n’ont toutefois pas affaibli la popularité des classements. De nombreux observateurs constatent que leur influence a des retombées sur le comportement des établissements et les politiques publiques. « Les classements sont devenus une industrie, en partie parce qu’ils font vendre des journaux et des magazines, mais aussi parce que de nombreuses universités consacrent beaucoup d’énergie à obtenir une meilleure note au classement », explique Glen Jones, titulaire de la Chaire de recherche de l’Ontario en politiques et mesure de l’éducation postsecondaire à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario (IEPO) de l’Université de Toronto.

Le rapport de l’Association des universités européennes cite une recherche exposant que les politiques d’immigration des Pays-Bas favorisent les demandeurs qui possèdent un diplôme d’études supérieures des 200 écoles les mieux classées au monde. Le Brésil offre à ses étudiants des bourses pour étudier à l’étranger dans des établissements bien cotés selon les classements du THE et du QS. L’Inde est allée encore plus loin en annonçant que seuls les établissements étrangers qui figurent dans les trois plus importants systèmes de classement pourront ouvrir un campus satellite dans ce pays.

Comme l’a mentionné M. Jones en entrevue, les gouvernements chinois et japonais ont entrepris de faire figurer leurs propres universités au classement en finançant la recherche de quelques établissements seulement. Au Canada toutefois, tout porte à croire que les classements n’ont pas eu beaucoup d’influence sur les politiques publiques. Ce n’est pourtant pas par manque d’efforts de la part des universités : le groupe U15, représentant les 15 universités canadiennes les plus axées sur la recherche, a été constitué en partie pour faire pression auprès du gouvernement et obtenir un financement plus important pour la recherche, note M. Jones.

Alex Usher, président du cabinet torontois Higher Education Strategy Associates, explique que « le monde universitaire mise sur le prestige. Ce que le classement nous a permis de faire, c’est de quantifier nos préjugés sur le prestige en matière d’enseignement supérieur. » Il ajoute que les classements internationaux n’influencent pas vraiment le comportement des établissements, ils ne font qu’en rendre compte. M. Usher, membre du conseil consultatif du classement de Shanghai, qui a produit son propre classement des établissements canadiens par l’entremise de son cabinet, indique que, classement ou pas, les universités recherchent irrémédiablement du financement pour la recherche. Il ajoute toutefois que les classements influencent sur les choix des étudiants, particulièrement ceux qui étudient à l’étranger.

Il est vrai que les classements accordent certains avantages aux établissements les mieux cotés qui utilisent leur statut pour attirer des étudiants étrangers et des donateurs et peuvent obtenir plus de collaborations en matière de recherche, explique M. Jones. Les classements fournissent également aux universités et aux étudiants des données comparatives, très difficiles à trouver autrement.

Selon lui, les universités canadiennes se classent généralement avantageusement dans les classements mondiaux parce que le système d’enseignement supérieur canadien est limité par rapport à ceux d’autres pays. Il constate que les établissements les mieux cotés au Canada diffèrent de ceux des États-Unis et de l’Angleterre. Les établissements canadiens sont axés sur la recherche, mais possèdent aussi des programmes de premier cycle accessibles. M. Jones a calculé que l’Université de Toronto, habituellement classée parmi les 25 meilleurs établissements selon l’indice de Shanghai, accueille plus d’étudiants au premier cycle que l’ensemble des cinq établissements les mieux classés. « Nos établissements ont un profil très différent d’Oxford ou de Harvard », conclut-il.

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