Ombudsman de l’Ontario, Paul Dubé privilégie le « jeu de la persuasion ». Selon lui, qu’il s’agisse de plaintes à l’encontre de ministères provinciaux, de municipalités ou d’universités, son modus operandi reste le même. « En tant qu’ombudsman, j’ai toujours expliqué aux parties intéressées ce qui les attend et en quoi la mise en œuvre des recommandations formulées leur sera bénéfique. »
À titre de fonctionnaire indépendant du pouvoir législatif ontarien, l’ombudsman provincial a pour tâche d’étudier les plaintes à l’encontre des organismes gouvernementaux ou des établissements qui relèvent de sa compétence, en vue de favoriser la responsabilisation. Ombudsman de l’Ontario depuis avril 2016, M. Dubé a accédé à ce poste peu après l’élargissement, le 1er janvier, des compétences du Bureau de l’ombudsman – désormais habilité à étudier les plaintes à l’encontre de 21 des universités publiques de la province. Deux ans plus tard, les parties intéressées se félicitent de la mise en place de ce mécanisme de surveillance. M. Dubé se dit ravi du travail accompli à ce jour par son Bureau, qui fait une percée dans le milieu universitaire.
« Je pense que la qualité de nos relations avec le milieu universitaire nous permettra d’offrir une valeur ajoutée et d’être un agent de changement positif, comme nous le faisons dans le secteur public », souligne M. Dubé.
Selon Nora Farrell, ombudsman à l’Université Ryerson depuis 2000, « il était naturel et pertinent que le gouvernement ontarien souhaite élargir les compétences de l’ombudsman provincial ».
Carolyn Brendon, ombudsman à l’Université McMaster, abonde en ce sens, parlant d’une « évolution très positive ».
D’après Mme Brendon, qui traite chaque année de 350 à 400 dossiers, cette avancée « permet aux plaignants de voir leur situation étudiée à un autre niveau ou revue, même si leur université a un ombudsman ».
Les chiffres
En deux ans, le Bureau de M. Dubé a reçu 422 plaintes contre les universités, au total plus de 500 au début de février 2018.
« Ces chiffres montrent que le recours à l’ombudsman provincial est encouragé au sein du milieu universitaire ontarien », affirme Colin Aitchison, analyste, Recherche et politiques, pour l’Alliance des étudiants du premier cycle de l’Ontario (OUSA) qui représente les étudiants au premier cycle ou dans un programme professionnel dans huit universités ontariennes.
L’ombudsman de l’Ontario estime qu’environ 85 pour cent des plaintes reçues par son Bureau émanent d’étudiants, 10 pour cent de membres du corps professoral et du personnel, et 5 pour cent du public (qui comprend des plaintes relatives à des questions comme le stationnement).
M. Dubé assure ne pas crouler sous les plaintes, même si leur nombre n’a cessé d’augmenter (passant de 92 lors des trois premiers mois de 2016 à 267 au 31 mars 2017). C’est selon lui « relativement peu » comparativement aux milliers de plaintes adressées à certains ministères. L’an dernier, le Bureau de M. Dubé a ainsi reçu 2 667 plaintes contre les municipalités (qui relèvent aussi de ses compétences élargies depuis 2016).
Selon le rapport annuel du Bureau de l’ombudsman de l’Ontario pour 2016-2017, des 175 plaintes reçues contre les universités pendant cette période, les plus nombreuses, soit 27, concernaient le rejet de demandes d’appel. M. Dubé cite à titre d’exemple une plainte formulée à la suite du refus d’une université d’accorder à un candidat au doctorat le droit d’en appeler de sa note d’échec à un examen. Après avoir conclu que l’université en question avait mal appliqué sa propre politique, M. Dubé a accordé à l’étudiant la permission de faire appel de sa note.
Le deuxième type de plaintes les plus courantes en 2016-2017 concernait les frais de scolarité et l’aide financière (21 sur 175). Les établissements ayant fait l’objet du plus grand nombre de plaintes pendant cette période sont l’Université de Toronto (28), l’Université McMaster (15) et l’Université York (12).
Les ombudsmans universitaires
M. Dubé précise qu’il n’a à ce jour lancé aucune enquête officielle à la suite d’une plainte contre une université. Son Bureau tente plutôt de régler les différends « à l’échelon le plus bas possible » – par exemple, en demandant des précisions aux dirigeants de l’université concernée ou en orientant les plaignants vers un bureau universitaire ou une procédure d’appel en particulier. Si une plainte a déjà fait l’objet d’un recours aux procédures d’appel ou de résolution des différends de l’université visée et que le plaignant juge le processus ou son résultat inéquitable, l’ombudsman provincial peut examiner les politiques et procédures de l’établissement et proposer les améliorations nécessaires. L’ombudsman ne peut toutefois infirmer les décisions des organismes gouvernementaux ou des universités. Il ne peut pas non plus imposer des pénalités pour le non-respect de ses recommandations, ces dernières étant non contraignantes.
Selon Mme Farrell, de l’Université Ryerson, les ombudsmans universitaires fonctionnent de la même manière. Dans la plupart des cas, ils discutent avec les plaignants des options qui s’offrent à eux ou les guident vers le meilleur moyen de résoudre le différend.
Parmi les universités relevant de la compétence de M. Dubé, 11 disposent d’ombudsmans (dont le titre varie selon les établissements). Normalement, le Bureau de l’ombudsman provincial et les ombudsmans universitaires ne travaillent pas ensemble sur un même dossier, explique M. Dubé : « Tant que l’ombudsman d’une université s’occupe d’un dossier, nous n’intervenons pas – ce serait prématuré. »
Le Bureau de M. Dubé devant faire office de dernier recours, il détermine d’abord si l’université visée par une plainte a un ombudsman. Si c’est le cas et que le plaignant ne s’est pas encore adressé à lui, l’équipe de M. Dubé l’oriente d’abord vers cet ombudsman.
« Les différends internes gagnent à être traités à l’interne », dit-il, précisant que le fait que l’ombudsman d’une université connaisse bien l’établissement peut accélérer le règlement d’un dossier. « Nous demandons au plaignant de s’adresser d’abord à lui, puis de faire appel à nous s’il n’est pas satisfait au terme du processus. »
Selon Mme Farrell, le fait qu’une plainte puisse être étudiée par un ombudsman universitaire et par l’ombudsman provincial assure un certain équilibre, et le fait que les uns connaissent bien le fonctionnement complexe des universités est un atout. L’existence d’un Bureau de l’ombudsman provincial est elle aussi bénéfique : doté de davantage de ressources et d’un effectif important, un tel Bureau possède une expertise en matière de traitement de divers types de plaintes. Selon Mme Brendon, de l’Université McMaster, l’ombudsman provincial a en outre une portée plus large, qui lui permet de cerner les problèmes systémiques touchant plus d’une université.
L’OUSA souhaite pour sa part qu’il y ait un lien officiel entre le Bureau de l’ombudsman provincial et celui des universités. Selon M. Aitchison, l’OUSA aspire aussi à des normes de responsabilisation pour les ombudsmans universitaires, ainsi qu’à un financement provincial de leurs Bureaux. Le financement varie en effet d’un établissement à l’autre : certains sont financés par l’université, d’autres par des associations étudiantes ou des cotisations, et d’autres enfin par les trois.
Pour sa part, M. Dubé souhaite que plus d’universités se dotent d’un Bureau de l’ombudsman et surtout qu’elles mettent en place « des processus d’appel solides, équitables et systématiques pour protéger les gens ».
Comparaison entre provinces
Deux autres provinces, Terre-Neuve-et-Labrador et la Colombie-Britannique, comptent un ombudsman qui a le pouvoir de traiter les plaintes contre les universités.
Celui de Terre-Neuve-et-Labrador, appelé « représentant des citoyens », a le pouvoir de traiter les plaintes contre l’Université Memorial, unique université publique de la province.
Depuis 2013, son Bureau a reçu 13 plaintes concernant cet établissement, où il n’y a pas d’ombudsman. L’ombudsman provincial adjoint, Bradley J. Moss, précise que ces plaintes émanaient d’étudiants et de professeurs, comme en Ontario. Deux plaintes ont par la suite été reçues en 2015 et en 2016, puis une en 2017. Selon M. Moss, le Bureau n’a pas mené de campagne de sensibilisation ciblée sur le campus de l’Université Memorial depuis des années. Il compte toutefois le faire à nouveau pour attirer l’attention du milieu universitaire sur ses services, ce qui pourrait entraîner une augmentation des plaintes.
Par comparaison, l’ombudsman de la Colombie-Britannique, Jay Chalke, a reçu 29 plaintes contre les universités en 2016-2017. Parmi les 11 universités à propos desquelles le site Web de son Bureau propose des statistiques, neuf ont fait l’objet de plaintes pendant cette période.
Selon M. Chalke, les écarts entre provinces en ce qui concerne le nombre de plaintes peuvent être liés à l’ampleur de leurs populations étudiantes respectives. Il n’est en outre pas inhabituel, d’après lui, qu’un Bureau de l’ombudsman reçoive un grand nombre de plaintes après l’élargissement de ses compétences, le temps que les gens comprennent en quoi consiste son rôle.