En réaction à la crise des opioïdes, de nombreuses universités canadiennes stockent et distribuent désormais de la naloxone, un médicament qui bloque l’action des opioïdes. En plus de permettre de sauver des vies, le recours à ce médicament marque l’abandon de la « tolérance zéro » en matière de consommation de drogues, au profit d’une stratégie axée sur la réduction des méfaits et sur le soutien, l’information et la prévention.
Petra Schulz, formatrice au département de santé et d’études communautaires de l’Université MacEwan, est cofondatrice de l’organisation Moms Stop the Harm. En 2014, son plus jeune fils, Danny, est décédé d’une surdose accidentelle de fentanyl. Danny était en voie de guérison, explique Mme Schulz. Lui et sa famille se sont fiés aux conseils du groupe de soutien qu’ils fréquentaient alors, selon lequel « l’amour ferme » permettrait à Danny de s’en sortir. Personne ne leur a conseillé d’avoir toujours de la naloxone sous la main ni ne leur a parlé des risques de rechute.
« C’est traumatisant de se dire que la mort de votre enfant aurait pu être évitée par des outils dont vous auriez dû entendre parler », explique Mme Schulz. Depuis ce drame, elle a mis sur pied Moms Stop the Harm avec d’autres mères dont les enfants sont décédés des mêmes causes. Les 400 membres de l’organisation plaident tous pour une meilleure information et pour une réforme des politiques fédérales en matière de consommation de drogues.
Mme Schulz transmet aujourd’hui son message à l’Université MacEwan : elle raconte son histoire aux élèves infirmiers et coorganise des activités (tables rondes sur les opioïdes, séances d’information sur la naloxone) pour apporter aux étudiants, au personnel et aux professeurs les renseignements qu’elle et son fils n’ont pas eus.
« L’ancien message sur la drogue et la lutte contre la drogue est dépassé. Il faut plutôt prôner la consommation sécuritaire et faire prendre conscience aux gens que les drogues autres que la marijuana sont plus dangereuses qu’avant », souligne Paul Dagg, professeur d’études cliniques en neuropsychologie à l’Université de la Colombie-Britannique et directeur médical du programme Mental Health and Substance Abuse de l’Interior Health Authority de la Colombie-Britannique. Selon M. Dagg, les universités ne doivent plus se contenter de permettre d’acquérir des compétences; elles doivent aussi promouvoir le bien-être.
Christine Adam, doyenne des affaires étudiantes à l’Université Thompson Rivers, partage cet avis. Elle soutient que les universités doivent veiller « à offrir un environnement interne sein et à soutenir les efforts de la collectivité ». Mme Adam précise que des débats sur la consommation sécuritaire de drogues ont lieu à l’Université Thompson Rivers depuis le décès de plusieurs citoyens de Kamloops par surdose accidentelle.
Depuis l’automne 2017, le centre de bien-être de l’établissement distribue de la naloxone. Près de 200 trousses de ce médicament ont déjà été distribuées. La banalisation de ces trousses atténue la stigmatisation des consommateurs. Partout sur le campus de l’Université Thompson Rivers, on trouve désormais des bureaux dont la porte arbore un symbole indiquant que l’on peut y discuter sans crainte de la consommation de substances.
D’après M. Dagg, réduire la stigmatisation des consommateurs de drogues est essentiel pour qu’ils ne se sentent pas obligés de consommer dans la solitude, ce type de consommation étant l’un des principaux facteurs de l’augmentation des décès liés aux opioïdes.
La section de l’organisation nationale Canadian Students for Sensible Drug Policy (CSSDP) du campus Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique, dirigée par des étudiants, demande à l’administration de l’établissement d’adopter une politique du « bon samaritain » pour permettre aux étudiants victimes de surdose de demander de l’aide sans crainte d’être suspendus ou exclus.
« Ce n’est pas gagné, précise Michelle Thiessen, fondatrice de la section précitée. Certaines des mesures que nous préconisons pour informer les gens sur la consommation sécuritaire font peur aux administrateurs universitaires, qui craignent de donner l’impression d’approuver l’usage de substances en autorisant la diffusion d’information sur la question. »
Selon M. Dagg, « les études prouvent que l’information et les interventions visant à réduire les méfaits de la consommation de drogues ne la font pas augmenter ».
La section de la CSSDP du campus Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique a réussi à convaincre l’administration de l’établissement de faciliter l’accès de sa population à la naloxone, par des ateliers d’échange entre pairs. Elle a aussi organisé des séminaires d’essai de drogues, où les participants apprennent à tester de petits échantillons d’une drogue donnée pour déceler les impuretés grâce à un réactif.
Plus récemment, Mme Thiessen, aussi étudiante à la maîtrise en psychologie clinique sur le campus Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique, a plaidé pour que le cannabis thérapeutique soit remboursé par le régime de santé des étudiants. Un projet pilote de 20 000 $ doit démarrer cet automne. Il sera supervisé par Zach Walsh, professeur adjoint de psychologie et chercheur sur le cannabis sur le campus Okanagan à l’Université de la Colombie-Britannique.
« Nous contribuons tous au régime de santé des étudiants, souligne Mme Thiessen. Le non-remboursement du cannabis thérapeutique incite les gens à se tourner vers des drogues plus dangereuses. » Le campus Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique deviendra le deuxième campus canadien seulement à entreprendre un tel projet, après l’Université de Waterloo en 2015.
« Il y aura toujours des consommateurs de drogues. Nous devons les traiter avec respect et dignité et leur apporter l’information et les outils nécessaires pour les encadrer de la manière la plus sécuritaire possible », conclut Mme Thiessen.