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Les universités ne s’attaquent pas au racisme, selon les chercheurs

Les universitaires et administrateurs refusent de reconnaître le racisme systémique qui sévit dans leurs rangs

par DANIEL DROLET | 23 MAR 09

Malgré leurs politiques officielles d’intégration, les universités canadiennes demeurent structurellement racistes, si l’on se fie aux propos tenus lors de la récente assemblée annuelle de la Fédération canadienne des sciences humaines (FCSH). Cette triste réalité tient à leur refus de reconnaître le racisme systémique, par opposition au racisme individuel, ainsi qu’aux barrières et à la discrimination insidieuses auxquelles se heurtent les universitaires issus des minorités visibles.

Lors de l’assemblée précitée, qui s’est tenue en mars dernier à Ottawa, Carol Tator, une chercheuse dans le domaine de la lutte contre le racisme à l’Université York, Dolana Mogadime, professeure d’éducation à l’Université Brock, et Joanne St. Lewis, professeure de droit à l’Université d’Ottawa, ont participé à une table ronde animée par la vice-présidente (questions d’équité) à la FCSH, Malinda Smith de l’Université de l’Alberta.

Les participants ont convenu qu’un trop grand nombre d’universitaires et d’administrateurs blancs ne comprennent pas les enjeux liés au racisme et aux problèmes raciaux. « La culture blanche reste dominante et systémique », a déclaré Mme Tator, corédactrice avec Frances Henry de l’ouvrage Racism in the Canadian University: Demanding Social Justice, Inclusion, and Equity, dont la parution est prévue ce printemps aux Presses de l’Université de Toronto.

Mme Tator a, par exemple, déploré que les politiques d’égalité des droits de nombreuses universités canadiennes et leurs énoncés de vision sur l’égalité raciale restent lettre morte.

Collaboratrice à l’ouvrage précité, Enaski Dua a interviewé divers responsables des droits de la personne ou de l’équité au sein des universités canadiennes pour finalement constater que les politiques d’égalité des droits ont peu d’effet dans la lutte contre le racisme. Selon 13 des 14 personnes interrogées, le principal obstacle à la mise en œuvre de ces politiques tient au refus des hauts dirigeants d’universités d’aborder la question du racisme systémique et structurel.

« Le racisme est la dernière forme d’oppression dont ils se soucient, a-t-elle précisé. Leur préoccupation s’arrête aux crimes haineux contre les individus. Ce qui touche les groupes ne les concerne pas. »

Selon Mme Tator, les universités doivent reconnaître l’existence de la discrimination systémique, plus grave qu’elle n’y paraît, dont sont victimes les universitaires. Par exemple, a-t-elle expliqué, les recherches sur le racisme et les autres formes d’oppression sont souvent sous-évaluées, ce qui nuit considérablement à la titularisation et à la promotion de leurs auteurs. Parallèlement cependant, les administrateurs universitaires tiennent à ce que les professeurs issus des minorités visibles siègent à des comités ou s’adonnent au mentorat, histoire de les mettre à l’avant-plan pour renforcer l’image d’équité des établissements.

« Ma réussite en tant que Noire n’est pas une preuve du bon fonctionnement du système », a surenchéri Mme St. Lewis, directrice du Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne de l’Université d’Ottawa, se disant contrariée chaque fois que sa réussite est utilisée pour démontrer qu’aucune mesure supplémentaire ne s’impose au profit des minorités visibles.

« Le nombre de Noirs présents ici ou là n’est pas le seul critère qui compte, a-t-elle souligné. Il faut que les membres des minorités visibles aient la possibilité d’exercer un travail intellectuel et de générer de nouvelles formes de savoir. »

Toujours selon Mme St. Lewis, les administrateurs universitaires auxquels on demande pourquoi ils embauchent si peu de personnes issues des minorités visibles évoquent souvent le manque de candidats à la hauteur. Pour Mme St. Lewis, cet argument ne tient pas : ils ne cherchent tout simplement pas là où il faut.

Mme St. Lewis a rappelé une anecdote. Récemment, lorsque cinq postes se sont libérés à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, elle a demandé à l’établissement s’il accepterait qu’elle présente son propre groupe de candidats issus des minorités visibles. Ayant eu le feu vert, elle a constitué ce groupe, en demandant aux membres de ses réseaux de l’orienter vers leurs étudiants les plus prometteurs, puis s’est entretenue avec des professeurs influents de la Faculté pour s’assurer qu’ils seraient présents aux réunions d’embauche. Résulat : les cinq postes ont finalement été pourvus par des candidats du groupe constitué par Mme St. Lewis, tous issus des minorités visibles.

Pour Malinda Smith, une partie du problème vient du fait que jamais personne n’admettra qu’elle est raciste. « On baigne dans le déni le plus complet, a-t-elle souligné. Tant que les gens n’admettront pas qu’il y a un problème, on ne pourra passer du discours à l’action. »

Mme St. Lewis a enfin tenu à souligner combien il importe que les universités se soucient d’intégration et transmettent à leurs étudiants les bons types de savoir.

« La société compte sur les universités, a-t-elle ajouté, mais celles-ci appauvrissent la société en raison de leur incapacité à exploiter le potentiel intellectuel de tous. » Pour Mme St. Lewis, il existe incontestablement un parallèle entre les barrières raciales et celles auxquelles les femmes se sont heurtées il n’y a pas si longtemps : « Il a fallu que des femmes deviennent avocates et que le féminisme prenne son essor pour que les femmes obtiennent enfin le droit de vote. »

COMMENTAIRES
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  1. Ayi Ayayi / 31 mars 2009 à 00:35

    Excellent article. Si cela pourrait faire réveiller les universités et surtout les comité de sélection des short list se sera une bonne chose. Espérons. Comment peut guérir un malade qui ni sa maladie? c’est ce que j’ai compris de l’article.

    Félicitations aux auteurs

  2. Ronald Milfort / 10 avril 2009 à 12:42

    Mis à part l’avancement de certains cadres au sein de ce milieu, il y a aussi le racisme dont sont victimes les étudiants issus de l’immigration qui sont souvent sous-évalués parce que le prof a tout simplement des préjugés envers les immigrants.

  3. samba / 6 octobre 2009 à 22:20

    Il y’a plus grave encore : c’est quand la discrimination est instituée en véritable système avec comme monnaie d’échange la perversion obligatoire des personnes de couleurs. Ce que j’ai vu m’a blessé au plus profond de mon être et je n’aurais jamais assez de mots pour dénoncer cet odieux chantage qui se fait dans le silence.Je dénonce aussi l’emprise de certains mouvements religieux (sectes ?) ainsi que « des castes de fils de » qui constituent les fils conducteurs entreprise-universités ( y compris pour certains dons ).

    je précise que tout ce que j’ai dit ne concerne que ce que j’ai vu et par conséquent ne saurait bien entendu pas être généralisée……du moins je l’espère.

    Très déçu par ces marchandages au coeur de ce qui est sensé être le Temple du Savoir.

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