Dès le début de son allocution d’ouverture, Robert Campbell s’est montré incisif. Le recteur de l’Université Mount Allison s’exprimait au sujet de l’enseignement au premier cycle au Canada : « Un grand nombre de recteurs et de cadres supérieurs ont vécu une expérience frustrante au cours de la dernière décennie. […] À mon avis, la mission collective des universités a été ébranlée au cours de cette période. »
M. Campbell a formulé ces remarques franches et directes lors de l’atelier Transformer l’enseignement au premier cycle dans les universités canadiennes, organisé par l’Association des universités et collèges du Canada (AUCC) à Halifax au début du mois de mars dernier. L’atelier rassemblait 65 participants, dont 13 recteurs, 25 vice-recteurs à l’enseignement et hauts dirigeants, ainsi que 15 représentants du corps étudiant.
Dans son discours, M. Campbell a insisté sur la kyrielle de pressions et de politiques publiques ayant forcé les universités à concentrer leurs activités sur les résultats de la recherche de pointe et les cycles supérieurs, tout en soulignant qu’elles ont failli à la mission même de l’université, soit offrir un enseignement au premier cycle efficace et de qualité.
« Nous savons tous que l’expérience universitaire au premier cycle s’est détériorée au fil du temps, particulièrement au cours des dernières décennies. Au plus profond de nos cœurs, nous savons que cette expérience peut et doit être sensiblement améliorée », a-t-il déclaré.
Patrick Deane, recteur de l’Université McMaster, a parlé au nom de nombreux participants à l’atelier lorsqu’il a salué l’initiative de l’AUCC visant à examiner le parcours universitaire au premier cycle. Il a toutefois lancé une mise en garde à l’auditoire : « Depuis longtemps, nous prenons sporadiquement conscience de l’enjeu de l’enseignement au premier cycle et en discutons un certain temps, puis, nous le mettons de côté jusqu’à la prochaine fois. »
M. Deane a exhorté les participants à « débattre de tous les éléments. On accorde souvent la priorité uniquement à la qualité de l’enseignement. Cependant, il faut modifier le système dans lequel l’enseignement est offert en s’attardant à la conception globale du processus d’apprentissage, et non seulement aux modalités qui l’encadrent, a-t-il affirmé. Le fait que nous n’ayons pas réussi à nous affranchir du modèle établi me déçoit au plus haut point. »
L’enseignement au premier cycle traverse-t-il une crise? David Marshall, recteur de l’Université Mount Royal, ne le croit pas. Il a toutefois fait valoir que la situation actuelle n’est plus tenable et que le système doit absolument trouver une issue, sans quoi les universités canadiennes « risquent de voir leur image se ternir ».
Lors des discussions en table ronde et des exposés qui se sont déroulés sur deux jours, de nombreux participants ont attribué cet état de fait à l’importance excessive accordée à la recherche. D’autres l’ont plutôt attribué à une série de facteurs, comme la charge de travail des professeurs, le système de reconnaissance, le recours accru aux chargés de cours, l’augmen-tation des effectifs, ainsi que le problème du financement et des recettes qui n’ont pas augmenté au même rythme que les coûts. Les participants ont également discuté des résultats attendus d’une formation au premier cycle, de la façon d’évaluer ces résultats et des obstacles au changement.
De nombreux participants ont affirmé la nécessité de stimuler l’innovation en matière d’enseignement et de conception des cours. « Le problème vient en partie du fait que les étudiants ont peur de prendre des risques. Ils sont obnubilés par la tyrannie des notes », explique Ramona Lumpkin, rectrice de l’Université Mount Saint Vincent. Parallèlement, « nous devrions, dans une certaine mesure, permettre aux professeurs de sortir du cadre habituel afin qu’ils puissent aussi prendre des risques », affirme-t-elle.
Arshad Ahmad, professeur d’administration à l’Université Concordia et président de la Société pour l’avancement de la pédagogie dans l’enseignement supérieur (SAPES), a accueilli ces commentaires avec une joie immense. Pour lui, il s’agit d’une « étape déterminante » qui l’inspire et l’encourage.
« Les recteurs devraient être les premiers à dire que l’activité principale des universités est d’enseigner aux étudiants au premier cycle », explique M. Ahmad. Ses collègues de la SAPES « sont très heureux d’apprendre que de tels propos sont tenus et sont pris au sérieux, ajoute-t-il. Les recteurs ont de nombreux alliés. Leurs points de vue trouveront ainsi un écho auprès de nombreuses personnes qui souhaitent les appuyer. »
Deanna Rogers, une étudiante qui obtiendra sous peu un diplôme en sociologie et anthropologie de l’Université Simon Fraser, a également trouvé que sa participation à l’atelier a été une expérience formidable. « J’ai parfois l’impression que la présence des étudiants à de tels événements est symbolique, mais cette fois ci, j’ai senti qu’on accordait de l’importance à nos propos. »
Ray Ivany, recteur de l’Université Acadia, a bien résumé le sentiment général à la fin de l’atelier : « Ces derniers jours ont été une réussite sur plusieurs plans, d’abord et avant tout parce qu’ils ont permis de rassembler les intervenants du milieu universitaire autour de la question de l’enseignement au premier cycle et déclenché des discussions animées. Je doute toutefois que ce soit suffisant », a-t-il ajouté.
Le président-directeur général de l’AUCC, Paul Davidson, a invité les participants à envisager comment le changement peut se réaliser « dans le cadre du rôle de chacun, au sein de chaque établissement ». Il a souligné que l’AUCC a formé un comité de 10 recteurs pour élaborer, en consultation avec tous les membres, un nouveau message pour l’AUCC pour la prochaine décennie et que les résultats de l’atelier serviront à orienter ce nouveau message. Par ailleurs, le Comité consultatif permanent des questions d’éducation et du financement de l’AUCC traite de ces enjeux.
M. Davidson a conclu l’atelier sur ces paroles : « Il ne s’agit pas d’un simple exercice de rhétorique. Nous recherchons sans cesse de nouveaux outils et de nouvelles idées stratégiques […] afin de veiller à ce que les universités canadiennes soient en mesure d’éduquer la prochaine génération d’étudiants et les préparer le mieux possible à relever les défis auxquels fait face le pays. »