Kathy Abusow travaille dans le secteur forestier depuis 30 ans. Présidente-directrice générale de la Sustainable Forestry Initiative (SFI), un organisme à but non lucratif qui fait la promotion de pratiques forestières durables, elle est reconnue à l’échelle internationale pour son expertise et est fréquemment invitée à des événements de l’Organisation des Nations Unies, à des présentations internationales, à des groupes de discussion et à des consultations intergouvernementales.
Elle souligne toutefois qu’il est vraiment rare que les médias lui demandent son avis sur des enjeux comme l’exploitation forestière illicite, la déforestation ou la foresterie durable. « Peut-être ignorent-ils qui je suis », lance-t-elle. Pourtant, Mme Abusow est très active sur les réseaux sociaux, elle a donné une conférence TEDx et elle occupe une place prépondérante sur le site Web de la SFI. « J’aimerais bien savoir qui les médias consultent pour leurs reportages sur la foresterie », ajoute-t-elle.
Même si la proportion de femmes en foresterie a considérablement augmenté depuis l’époque où Mme Abusow était une exception, les sources des médias seraient principalement des hommes, si on en croit l’outil Gender Gap Tracker.
Cet outil utilise une méthode poussée d’analyse de données pour repérer et classer les noms d’hommes et de femmes cités dans les principaux médias canadiens. Élaboré en partenariat avec Informed Opinions, une organisation de représentation à but non lucratif, et des chercheurs de l’Université Simon Fraser, l’outil montre que les hommes sont près de trois fois plus cités dans les médias que les femmes.
« C’est ridicule, affirme Shari Graydon, fondatrice d’Informed Opinions et responsable du projet. La démocratie repose sur la représentation de tous les citoyens. Si la moitié de votre public visé est composé de femmes, mais que celles-ci ne sont jamais représentées dans votre émission ou journal, vous ne décrivez pas la situation sous tous ses angles. »
Passer à côté de points de vue importants
Professeure de linguistique et directrice du laboratoire de traitement de la parole à l’Université Simon Fraser, Maite Taboada est aussi chercheuse principale pour le projet. Elle a sauté sur l’occasion de travailler sur cet outil, car elle le croit capable de changer les choses. « Quand certaines personnes ne sont pas entendues, des points de vue importants sont perdus. Si notre étude avait porté sur les minorités ou les personnes handicapées, je crois qu’on aurait encore une fois constaté que ces groupes sont peu cités dans les médias. »
Mme Taboada explique que l’outil compile les données en survolant les articles des principaux médias canadiens, comme la CBC, CTV, Global, le Globe and Mail, le National Post et le Toronto Star. Ces articles sont ensuite téléchargés dans une base de données, puis les chercheurs effectuent une analyse de la langue en cherchant des guillemets, des noms et des pronoms comme « il » ou « elle ». Mme Taboada précise que les données recueillies sont mises à la disposition d’autres chercheurs au pays.
Le système analyse actuellement les médias de langue anglaise, mais l’équipe collabore avec des linguistes informaticiens francophones pour mettre au point une version de l’outil qui examinerait les médias de langue française. Mme Taboada espère lancer cette version cette année.
Les utilisateurs peuvent analyser des articles d’octobre 2018 (début de la collecte des données) à aujourd’hui, pour une période donnée qui peut aller d’une journée à plusieurs mois. Par exemple, pendant les 28 jours de février 2019, 26 pour cent des personnes citées étaient des femmes, 73 pour cent étaient des hommes et un pour cent étaient de sexe inconnu. C’est sur le site de CBC News qu’on remarque la plus importante proportion, avec 29 pour cent de femmes citées contre 70 pour cent d’hommes. Le Globe and Mail présente le plus petit ratio, avec 22 pour cent de femmes et 77 pour cent d’hommes.
Mme Graydon explique que les raisons pour lesquelles un journaliste pourrait ne pas prendre le temps de choisir une femme sont nombreuses, comme le cycle des nouvelles de 24 heures et le manque de ressources dans la salle de presse. Elle fait aussi remarquer que certaines recherches révèlent que les femmes refusent les demandes d’entrevue plus souvent que les hommes et que les porte-parole féminines sont plus difficiles à trouver que leurs homologues masculins. Informed Opinions a constitué une base de données de plus de 850 expertes prêtes à commenter l’actualité.
Le nombre de femmes titulaires d’un diplôme universitaire dépasse celui des hommes depuis des décennies, rappelle Mme Graydon. « De nos jours, les femmes compétentes, en position d’autorité et prêtes à donner leur avis sont bien plus nombreuses qu’avant. »
Selon Mme Abusow, les médias devraient choisir équitablement les porte-parole des deux sexes. « Si un média ne donne pas la parole aux femmes, peut-être ne cherche-t-il pas à connaître leur opinion. Il suffit de chercher un peu pour trouver des femmes qui ne demandent qu’à s’exprimer. »
Nouvel outil pour corriger le déséquilibre dans les sources citées par les médias, je dis bravo à la chercheure qui y consacre tant d’efforts. Elle s’apercevra aussi du déséquilibre non seulement selon le sexe, mais aussi selon la langue (française, désavantagée) et les sujets traités (les sources se rapportant à l’ONU souvent ignorées). Le complexe militaro-industriel veille à son expansion…