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Niagara Falls mise sur une nouvelle université privée pour propulser sa croissance économique

Déterminée à revitaliser son centre-ville longtemps négligé, la ville ontarienne s’allie à un groupe international spécialisé en enseignement supérieur.

par MOIRA MACDONALD | 26 JAN 23

L’histoire de la nouvelle venue dans le milieu universitaire ontarien – l’Université de Niagara Falls Canada (UNF), un établissement privé à but lucratif – a pris racine il y a une bonne dizaine d’années quand la petite ville bien connue à souhaiter donner un nouveau souffle à son centre-ville abandonné.

L’UNF prévoit accueillir sa première cohorte en 2024. C’est ce qu’ont annoncé à la mi-octobre 2022 la Ville de Niagara Falls et le futur exploitant de l’université, Global University Systems (GUS) Canada, une filiale d’un groupe international établi aux Pays-Bas et spécialisé en enseignement supérieur. L’UNF ciblera particulièrement, mais non exclusivement, le marché des étudiant.e.s provenant de l’étranger. Elle proposera cinq programmes de premier cycle et de maîtrise en administration, en analyse de données, en médias numériques et en sciences biomédicales. Elle prévoit exiger des droits de scolarité « comparables à ceux des programmes ontariens similaires », indique Victoria Martin, responsable de la conformité et des affaires commerciales de GUS Canada.

« Nous avons vraiment hâte », confirme Jim Diodati, maire de Niagara Falls. « Ça va propulser la croissance économique du centre-ville. »

Les célèbres chutes Niagara attirent chaque année 12 millions de touristes du monde entier qui fréquentent surtout Clifton Hill, un secteur vivant à l’ambiance carnavalesque. Or la ville de Niagara Falls offrait aussi, à quelques kilomètres de là, une rue principale très prisée de la population locale, qui s’élève maintenant à environ 94 000 personnes. Quand les petits commerces ont fait place aux magasins grande surface et aux centres commerciaux, il y a quelques décennies, le centre-ville a perdu de son lustre. C’est devenu « une horreur », se désole M. Diodati.

La Ville a publié en 2013 une analyse de la rentabilité d’un éventuel campus postsecondaire au centre-ville, où elle mettait de l’avant l’exode des jeunes, la proportion de diplômé.e.s universitaires inférieure à la moyenne provinciale et la possibilité d’offrir des programmes qui s’arrimeraient aux secteurs économiques émergents. « Nous savions que si les jeunes revenaient au centre-ville, tout le reste suivrait – l’optimisme, l’énergie, la pensée innovante », sans oublier les commerces et les projets immobiliers nécessaires à cette population, explique le maire.

L’économie de la région de Niagara dépend largement du tourisme, un facteur de risque qui s’est révélé au grand jour durant la pandémie de COVID-19. En effet, on estime que la fermeture de la frontière américaine a entraîné des pertes de plusieurs milliards de dollars. Dans un communiqué de presse sur le projet, on prévoit, à terme, une hausse annuelle du produit intérieur brut de 291 millions de dollars. En retour, Niagara Falls offre la « notoriété » de ses célèbres chutes, une multitude d’emplois étudiants à temps partiel, un accès facile à la région de Toronto, un projet de nouvel hôpital ainsi que l’assistance de la Ville, notamment par un zonage favorable et l’aménagement d’infrastructures, dont le prolongement d’un réseau local à large bande appartenant à la Ville.

Conscient que l’idée d’une université privée à but lucratif « ne plaira pas à tout le monde », le maire Diodati explique avoir choisi GUS Canada comme partenaire après des démarches infructueuses auprès d’universités publiques canadiennes et d’universités étrangères. Son premier choix était l’Université Brock, située à St. Catharines, à environ 20 kilomètres. « Nous voulions vraiment collaborer avec elle », dit-il.

Une porte-parole de l’Université Brock a confirmé que l’établissement avait discuté d’une éventuelle présence au centre-ville de Niagara Falls. Meaghan Rusnell, vice-rectrice aux relations gouvernementales, communautaires et internationales de l’Université Brock, explique que la ville souhaitait accueillir une faculté ou une école, préférablement l’École d’administration, mais que l’Université Brock voulait procéder graduellement. La région accueille également le Collège Niagara, qui travaille en partenariat avec l’École de gestion de Toronto, soit un collège professionnel exploité par GUS.

« L’Université Brock est là pour servir la population de la région. Si Niagara Falls veut proposer des activités que nous sommes en mesure d’offrir, nous sommes partants », affirme Lynn Wells, provost et vice-rectrice aux affaires universitaires de l’Université. Elle ajoute que l’établissement estime qu’il répond déjà « très bien » aux besoins de la région. Même si l’UNF sera un établissement concurrent, « il y a déjà une certaine concurrence pour tous ces [programmes] ».

En plus d’approuver les programmes de l’UNF (conçus par des universitaires d’autres établissements canadiens, affirme GUS Canada), le gouvernement de l’Ontario a autorisé l’emploi du mot « université », et ce, malgré l’avis contraire de la Commission d’évaluation de la qualité de l’éducation postsecondaire, un organisme indépendant chargé de conseiller la ministre des Collèges et Universités. Ce n’est pas la première fois qu’une telle situation se produit : la Commission voulait empêcher le Collège de Hearst de devenir l’Université de Hearst, mais le ministère ontarien avait approuvé ce changement en 2012.

Le ministère n’a pas répondu aux nombreuses demandes d’entrevue d’Affaires universitaires. Or dans une lettre envoyée à l’UNF, le ministère affirme que l’établissement devra répondre à plusieurs conditions avant d’accueillir sa première cohorte – d’au plus 500 étudiant.e.s, prévoit-on –, notamment en augmentant sa capacité de recherche et en recrutant du personnel d’enseignement, de soutien et de direction pour établir une structure de gouvernance bicamérale.

Pour le conseiller spécial de l’UNF, Sheldon Levy, c’est le paradoxe de « l’œuf ou la poule », la nouvelle université ne pouvait pas nommer d’administrateurs et d’administratrices, embaucher des professeur.e.s ni convaincre des gens d’investir dans ses infrastructures avant de recevoir l’autorisation provinciale, mais elle fera le nécessaire pour respecter ces conditions.

Ancien recteur de l’Université métropolitaine de Toronto (TMU, anciennement Ryerson), M. Levy travaille sur le dossier de Niagara Falls depuis environ neuf ans : un ministre provincial lui avait demandé d’aider le maire Diodati à réaliser son rêve d’accueillir un établissement postsecondaire. À ce moment, M. Levy avait alors découvert un centre-ville « en très, très mauvais état », mais s’était dit qu’il y avait moyen de faire quelque chose. Il admet toutefois que le projet suscitait peu d’intérêt lorsqu’il a quitté la TMU, en 2015.

« Je ne pensais absolument pas à une université privée », raconte M. Levy, connu pour les nombreux projets immobiliers qu’il a réalisés à TMU pour mieux intégrer le campus au centre-ville de Toronto. « Ce que je voulais, c’est aider [Niagara Falls] à se reconstruire en misant sur une université comme catalyseur, comme l’ont fait beaucoup de petites villes canadiennes et américaines. »

En 2019, grâce à du financement fédéral, TMU a finalement implanté à Niagara Falls un incubateur d’entreprises technologiques sur le modèle de la Digital Media Zone. En parallèle, Niagara Falls et GUS Canada réfléchissaient à un projet pour lequel ils ont sollicité les conseils de M. Levy lorsqu’il a quitté, fin 2017, son poste de sous-ministre de la Formation et des Collèges et Universités. Ce dernier occupe depuis mars 2022 le poste de recteur et vice-chancelier de l’Université Canada West, à Vancouver, une autre université privée exploitée par GUS Canada et axée sur l’administration et les technologies.

Si le projet de GUS Canada à Niagara Falls fait figure d’exception en Ontario, le concept d’université professionnelle à but lucratif « est la norme » ailleurs dans le monde, affirme Elizabeth Buckner, professeure adjointe et titulaire d’une chaire de recherche du Canada en enseignement supérieur pour un développement durable mondial à l’Institut d’études en éducation de l’Université de Toronto. Sa récente étude sur les universités privées ontariennes révèle que celles-ci accueillent très peu d’étudiant.e.s – 1 500 pour la plus grande – et que, malgré des changements législatifs en 2000 censés faciliter leur création, leur croissance demeure limitée par des restrictions gouvernementales et la position dominante des établissements publics.

Il faudra attendre pour voir si l’UNF atteindra les objectifs de revitalisation de la ville, indique la chercheuse. D’après ses travaux, elle prédit que l’UNF accueillera majoritairement des étudiant.e.s provenant de l’étranger inscrit.e.s au baccalauréat « qui cherchent une voie d’immigration rapide et abordable ». Elle ajoute qu’idéalement, aucune université ne chercherait à faire des profits, mais que « quand on s’attarde uniquement à l’aspect lucratif [des universités], on oublie parfois que la demande est bien réelle, car l’éducation offre l’espoir d’une vie meilleure ». Bien que les universités publiques ne visent pas les profits, la chercheuse juge qu’elles sont « très mal placées » pour critiquer les établissements à but lucratif puisqu’elles facturent aux étudiant.e.s provenant de l’étranger « des sommes exorbitantes » qui, au fond, contribuent à maintenir les salaires du personnel et à limiter les droits de scolarité des étudiant.e.s canadien.ne.s.

M. Levy parle d’un « chantier à long terme » qui demandera du temps « et beaucoup d’argent ». D’ailleurs, aucune contribution financière n’est attendue de la part des gouvernements. Il croit également que « ce sera bon pour l’enseignement supérieur en Ontario, sinon je ne travaillerais pas là-dessus. À mon avis, la concurrence, c’est positif. Avec de bons programmes et de bon.ne.s professeur.e.s et étudiant.e.s, ça va fonctionner ».

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