Selon Scott Mabury, professeur de chimie environnementale à l’Université de Toronto, les logements spacieux et tout confort des résidences étudiantes privées affiliées à l’établissement (comme CampusOne au centre-ville de Toronto) n’ont plus rien à voir avec les immeubles en blocs de béton abritant lits superposés et salles de bains communes – la norme pour les étudiants de sa génération. Il reconnaît toutefois que ces changements reflètent les attentes et les normes modernes en matière de niveau de vie.
Comme le marché du logement est restreint, les nouvelles résidences permettent aux universités canadiennes de faire face à la hausse des inscriptions et d’être mondialement concurrentielles. « Il s’agit d’attirer et de retenir non seulement les étudiants les plus talentueux, mais aussi les meilleurs professeurs et membres du personnel », explique M. Mabury, qui en est à son deuxième mandat de cinq ans en tant que vice-recteur à l’exploitation et vice-provost aux activités universitaires de l’Université de Toronto.
Le professeur précise que l’Université de Toronto ne détient aucune participation financière dans la résidence CampusOne de 890 lits, et qu’elle est étrangère à la stratégie officielle de l’établissement en matière de logement étudiant. L’Université assure uniquement la prestation de services alimentaires à cette résidence hors campus, inaugurée il y a un an.
« Le financement de l’éducation est déjà tout un défi, et le logement étudiant ne fait l’objet d’aucun financement gouvernemental ou philanthropique », explique M. Mabury. Il ajoute cependant que « l’Université de Toronto entend conclure avec des promoteurs privés les partenariats nécessaires pour aménager des résidences dans des immeubles qu’elle possède, gère et occupe ». Pour combler ses besoins de nouveaux lits d’ici 2020, estimés à 2 300, l’établissement a déjà conclu un partenariat avec une importante société de promotion immobilière, The Daniels Corp., pour construire au centre-ville une résidence de 511 lits. L’achèvement des travaux est prévu pour 2021. « Nous espérons que ce n’est là que le premier d’une série de projets du genre », précise M. Mabury.
Le cas de l’Université de Toronto n’a rien d’unique. Partout au Canada, des universités situées dans de grandes villes construisent et gèrent, ou prévoient construire et gérer, des résidences étudiantes haut de gamme dans le cadre de partenariats avec des promoteurs et des constructeurs immobiliers privés.
À Hamilton, par exemple, l’Université McMaster en est aux ultimes stades de la planification de sa première résidence étudiante hors campus. Cette résidence de 12 étages, destinée à accueillir 1 400 étudiants de première année dès 2020, verra le jour grâce à un partenariat entre l’établissement et la société de promotion immobilière Knightstone Capital Management, déjà propriétaire de CampusOne ainsi que de Parkside, une autre résidence de 620 lits située dans un ancien hôtel du centre-ville de Toronto qui accueille des étudiants de l’Université de Toronto, de l’Université Ryerson et de l’École d’art et de design de l’Ontario (OCAD).
« Notre campus manque de chambres pour les étudiants de première année, déplore le vice-recteur à l’administration de l’Université McMaster, Roger Couldrey. C’est pour nous un handicap, car ces étudiants doivent pouvoir se loger. »
Fruit d’un partenariat public-privé, la nouvelle résidence sera construite par Knightstone sur un terrain appartenant à l’Université McMaster, non loin de son campus de l’ouest de Hamilton. Elle sera gérée par l’établissement, à l’instar des résidences situées sur son campus. Les étudiants qui y résideront seront astreints aux mêmes codes de conduite et obligations que ceux qui habitent les résidences situées sur le campus.
« Nous disposons déjà de 12 résidences, construites et gérées par nous depuis 1930. Cela nous permet de mettre notre expertise au service du partenariat conclu », précise M. Couldrey Selon lui, les partenariats public-privé sont pour les universités un moyen judicieux et populaire de répondre aux exigences croissantes des étudiants en matière de logement, à l’heure où ces derniers (en particulier les étudiants étrangers) sont de plus en plus nombreux et où les fonds et le financement gouvernemental diminuent.
« Sans notre partenariat avec le secteur privé, nous devrions financer la construction et donc débourser des dizaines de millions de dollars, explique M. Couldrey. La loi ne nous permet pas d’emprunter à l’infini. Ce type de partenariat engendre un partage des risques et des coûts, ce qui permet à l’établissement d’affecter des fonds à ses nombreux autres besoins en matière d’infrastructure. »
M. Couldrey ajoute que la popularité des partenariats public-privé a pour principale cause l’intérêt croissant des sociétés d’assurance, des fonds de pension et des promoteurs privés à investir dans des actifs de qualité qui, comme les résidences étudiantes, sont gage de revenus stables et de rentabilité des sommes investies.
Selon le président de Knightstone, Alan Perlis, cette société compte parmi le petit nombre de promoteurs canadiens qui, en partenariat avec les universités locales lorsque c’est possible, construisent des résidences étudiantes hors campus haut de gamme situées dans les grands centres urbains où les loyers et les besoins de logement sont les plus élevés. « La demande est énorme partout », précise-t-il. Selon la maison de courtage SVN Rock Advisors, de Burlington, en Ontario, il manque actuellement au Canada plus de 400 000 lits pour les étudiants universitaires.
« Nos logements se louent très bien, nous en sommes ravis », commente M. Perlis, dont l’entreprise a récemment acquis et entrepris de rénover Campus1MTL, un ancien hôtel transformé en appartements aux multiples commodités destiné aux étudiants de l’Université McGill. « Nous discutons avec des universités de partout au pays. Chacune a ses besoins et ses exigences propres. Il n’y a pas deux situations identiques. »
Coût modique
Joshua Grondin, vice-président aux affaires universitaires de l’association étudiante de l’Université de Toronto, dit comprendre pourquoi les universités se tournent vers le secteur privé pour loger leurs étudiants à proximité de leurs campus. Il précise toutefois que les administrateurs ne doivent pas perdre de vue leur devoir de proposer des logements sûrs et accessibles, à coût modique.
« Les résidences privées permettent à un grand nombre d’étudiants de vivre sur les campus, d’échanger avec leurs pairs et de prendre activement part à la vie étudiante, souligne M. Grondin, mais elles sont souvent nettement plus chères que les résidences traditionnelles. Elles conviennent aux étudiants qui en ont les moyens, mais beaucoup ne les ont pas. »
Marisa Albanese, directrice principale des services de logement et d’hébergement étudiants à l’Université McGill, comprend à quoi tient la popularité croissante des résidences étudiantes privées haut de gamme, qui font d’après elle « davantage polémique en Ontario qu’au Québec ». À ses yeux, le luxe que ces résidences proposent (piscines, salles de sport, salons avec foyer, etc.) ne sert à rien s’il ne réussit pas à insuffler à leurs occupants un sentiment d’appartenance à la collectivité.
« Les attentes des étudiants évoluent. Ils souhaitent plus qu’avant pouvoir vivre comme dans un condo », précise Mme Albanese, responsable des 36 résidences appartenant à l’Université McGill qui comptent 3 500 lits et sont à 95 pour cent réservés aux étudiants de première année. « Mais ce que les étudiants souhaitent vraiment, poursuit-elle, c’est de tisser des liens pendant les huit mois passés en résidence. Ça fait partie de l’expérience universitaire. »
Andrew Parr, directeur général des services de logement et d’hébergement étudiants à l’Université de la Colombie-Britannique, est du même avis. Selon lui, plus les étudiants résident loin du campus, plus leur intégration sociale et leur réussite scolaire en souffrent. « Contrairement aux étudiants aux cycles supérieurs ou mariés, qui ont besoin d’indépendance, les étudiants au premier cycle gagnent à fréquenter les aires communes qui caractérisent les résidences classiques (cafétérias, salles de rencontre, etc.). »
Selon M. Parr, pour répondre aux besoins de l’Université de la Colombie-Britannique en matière de logement étudiant, il faudra doter ses deux campus de 6 300 nouveaux lits d’ici 10 ans. C’est pourquoi l’établissement a proposé la création de UBC Hospitality Trust, un nouveau partenariat public-privé qui dispose de la capacité d’emprunter à des taux préférentiels l’argent nécessaire à la construction de plusieurs nouvelles résidences ultramodernes. Depuis 2011, l’Université de la Colombie-Britannique s’est dotée de 3 500 nouveaux lits, portant ainsi à près de 13 500 le nombre de lits sur ses deux campus.
« L’objectif est de densifier nos campus en intégrant sous un même toit des installations et des services destinés aux étudiants, comme des salles de sport, des salles de jeu ou même des salles de répétition pour musiciens, précise M. Parr. Les étudiants adorent ce genre de choses. Le fait qu’ils résident à proximité de celles-ci comme de leurs facultés anime les campus. »