Linda Cardinal, vice-rectrice adjointe à la recherche et professeure à l’Université de l’Ontario français, accueille très favorablement le Programme pilote pour les étudiants dans les communautés francophones en situation minoritaire (PPECFSM). « Ce projet pilote répond bien à certains des objectifs de développement des communautés francophones en milieu minoritaire. On parle de l’accueil de 3 200 étudiants, ce n’est pas un grand chiffre, mais c’est quand même bien pour les communautés en situation minoritaire ».
L’initiative ne tombe toutefois pas du ciel. « Dans sa forme, elle est inédite, avance celle qui est également directrice par intérim de l’Observatoire en immigration francophone au Canada, mais cela fait longtemps que l’on en parle dans les milieux minoritaires, de toute l’importance de l’accueil des étudiants étrangers ».
Ouvrir le dialogue
Ce programme pilote découle des discussions du gouvernement fédéral avec les parties intervenantes dans le milieu de l’enseignement supérieur et de l’immigration francophone à la suite d’une plainte déposée par 22 établissements membres de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC). Ces derniers ont soulevé des inquiétudes concernant la limite nationale de demandes de permis d’études pour les deux prochaines années, annoncée par Marc Miller, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté en janvier 2024. De nombreux représentants et représentantes des communautés francophones de partout au Canada ont réclamé des actions ciblées pour s’attaquer à une politique qui menace la composition démographique des communautés francophones hors Québec.
« Il y a eu une perception de violation des obligations du gouvernement », soutient Stéphanie Chouinard, professeure agrégée de science politique au Collège militaire royal du Canada « Quand le plafonnement du nombre de permis d’études pour les étudiants étrangers a été annoncé, la première question qui a été posée par les institutions francophones en situation minoritaire : est ce qu’il va y avoir une exception pour nous ? Car on est déjà désavantagés de manière disproportionnée dans le système et cela va à l’encontre de la partie 7 de la loi sur les langues officielles concernant la promotion et légalité réelle des deux langues officielles. Et c’est là qu’il y a eu une plainte ».
« Le gouvernement fédéral a pour objectif, à travers sa feuille de route et les nouvelles lois sur les langues officielles, de rétablir l’équilibre tant sur le plan démographique que linguistique. Pour y parvenir, les établissements postsecondaires jouent un rôle crucial en tant que milieux d’exception », renchérit Serge Miville, vice-recteur et chancelier à l’Université de Sudbury. « Ce qui est bien c’est qu’il y a eu une écoute, on est heureux de savoir qu’il y a eu une tentative de corriger le tir. Ce que nous cherchons à faire au sein de l’ACUFC et avec d’autres acteurs comme Universités Canada (éditrice d’Affaires universitaires), c’est d’ouvrir le dialogue avec le gouvernement fédéral pour s’assurer que les politiques publiques ne soient pas prises de manières réactives ».
Le coup de grâce évité ?
André Samson, professeur titulaire à la faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, ne mâche pas ses mots pour expliquer les motivations du gouvernement à procéder à ce programme pilote. « Sans ce programme pilote, le gouvernement allait tuer les programmes de langue française et aurait porté une partie du blâme. Les étudiants internationaux francophones sont essentiels pour la survie des universités, ils sont la seule façon de nous sauver. Le gouvernement ne finance qu’un petit pourcentage des universités francophones ».
Si les universités comptent pour très peu dans le portrait global de la population étudiante internationale au Canada, cette dernière contribue à l’atteinte des cibles en matière d’immigration francophone.
« Les étudiants internationaux dans les communautés francophones en milieu minoritaire sont presque une marge d’erreur sur l’ensemble des étudiants internationaux au pays, mais ils ont un impact significatif dans leur milieu en situation minoritaire, explique M. Miville. La présence d’étudiants internationaux est fondamentale pour la démographie, la culture et l’économie. Ça enrichit et approfondit nos collectivités. »
Répercussions majeures sur les communautés
« Les communautés francophones en milieu minoritaire fondent l’espoir que les étudiants internationaux ne viennent pas seulement pour étudier, mais qu’ils choisissent de s’établir ici », ajoute Mme Chouinard.
Jean-Pierre Corbeil, professeur associé au département de sociologie de l’Université Laval, analyse la situation : « Si on fait une hypothèse très conservatrice, en supposant que chaque étudiant qui participe au programme pilote amène quatre personnes, on atteindrait près de 10 000 par cohorte annuelle. Ce sont des gens qui restent la durée de leurs études et qui feront la demande de résidence permanente par la suite ».
Mme Cardinal aborde dans le même sens. Elle est d’avis que les personnes étudiantes étrangères sont essentielles pour les milieux minoritaires et les petites universités. « Par exemple, à l’université d’Ottawa, l’accueil d’étudiants étrangers a permis de combler des trous sur le plan financier et a permis de combler l’accroissement des dépenses. Ce programme pilote va peut-être compenser une perte due à la politique de janvier dernier [de réduire drastiquement le nombre d’étudiants internationaux au Canada, ndlr]. »
Un « bonbon » sans intégration
Encore faut-il savoir les accueillir pour qu’ils s’installent par la suite. Marie Drolet, professeure auxiliaire à l’École de travail social de l’Université d’Ottawa, est d’avis qu’un travail d’intégration doit être accompli afin d’assurer la réussite de ces incitations. « Tu as beau leur promettre la résidence permanente, il faut les intégrer correctement pendant leurs études pour qu’ils réussissent, sinon ils repartiront. Ça peut sembler un bonbon, mais si l’intégration n’est pas bien faite, ça ne tient pas la route ».
M. Corbeil rappelle que les provinces ont aussi un rôle à jouer. « Il faut s’assurer qu’il y ait de l’investissement dans les établissements de langue française. Sinon ça peut être un coup d’épée dans l’eau. Si les étudiants décident de s’en aller au Québec, on n’est pas gagnants ».
Le nombre maximum de demandes de permis d’études qu’IRCC acceptera dans le cadre du programme pilote est de 2 300 pour la première année. Un plafond pour la deuxième année du programme pilote sera fixé d’ici août 2025.
Les changements s’inscrivent dans le cadre d’un vaste plan du gouvernement libéral visant à réduire le nombre de résidentes et résidents temporaires de 6,5 à cinq pour cent de la population canadienne au cours des trois prochaines années. Les personnes de l’étranger aux études ou récemment diplômées formaient presque la moitié des 2,5 millions de résidentes et résidents temporaires en 2023.