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Réflexion sur les changements survenus en 33 ans en enseignement supérieur

Entretien avec Christine Tausig Ford qui prend sa retraite après plus de trente ans à Universités Canada.

par LÉO CHARBONNEAU | 04 FEV 16

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Christine Tausig Ford, vice-présidente d’Universités Canada (qui publie Affaires universitaires) a pris sa retraite le 1er février dernier, après 33 ans de service. Elle a commencé comme rédactrice à Affaires universitaires et en est devenue ensuite la rédactrice en chef avant d’accéder à des postes administratifs de haut rang dont ceux de directrice de la Division des publications et des communications, secrétaire de l’association et enfin vice-présidente et administratrice en chef. Elle s’est récemment entretenue avec le rédacteur en chef d’Affaires universitaires, Léo Charbonneau, pour parler des changements qu’a connus le milieu universitaire au cours des trente dernières années.

Affaires universitaires : Qu’est-ce qui a changé dans les universités depuis que vous êtes à Universités Canada?

Mme Tausig Ford : La mission fondamentale des universités – l’enseignement, la recherche, l’engagement communautaire – n’a pas changé. Les universités demeurent des endroits de découverte où l’on forme des étudiants et transforme des vies, des endroits où des gens brillants se rassemblent pour réfléchir aux grands enjeux. En même temps, elles ont aussi changé énormément. Les universités entretiennent des relations plus étroites qu’avant avec leurs collectivités. Les professeurs s’investissent davantage dans la recherche et travaillent dans une infrastructure à la fine pointe. L’expérience universitaire des étudiants a changé aussi. Plus de la moitié des étudiants d’aujourd’hui profitent d’un apprentissage pratique : programmes coopératifs, stages rémunérés, apprentissage par le service ou projets de recherche. Et les universités proposent aux étudiants les incubateurs et les accélérateurs qui leur confèrent les compétences d’entrepreneuriat qu’ils recherchent. Les attentes envers les universités ont changé, elles aussi.

AU : De quelle façon?

Mme Tausig Ford : Aujourd’hui, les gens sont plus conscients de la valeur et de la pertinence des universités. Je me suis jointe à Universités Canada (alors l’AUCC) en 1979. Dans les années 1980, je ne crois pas que la population et les gouvernements saisissaient pleinement la contribution des universités à leurs collectivités et au pays tout entier. Maintenant, les Canadiens comprennent mieux que jamais l’importance des universités et de la formation universitaire. Primordiale pour notre avenir, celle-ci nous donne les compétences, les habiletés et la perspective nécessaires pour prospérer dans un monde en constante évolution. Les attentes envers les universités ont changé aussi, je crois. On s’attend à ce que les universités se penchent sur les enjeux importants pour les Canadiens, à ce qu’elles contribuent à rendre notre société plus équitable, plus juste – à la rendre meilleure, au fond.

Je crois aussi qu’on s’intéresse davantage aux travaux réalisés dans les universités, ce qu’on peut attribuer en partie aux médias et aussi au fait qu’on s’attend davantage à ce que les universités rendent des comptes. Les Canadiens investissent en enseignement supérieur de manière individuelle et par l’entremise de leurs gouvernements; ils ont donc un intérêt dans les travaux universitaires.

AU : Les défis des universités de nos jours sont-ils donc différents de ceux d’autrefois?

Mme Tausig Ford : Oui, et de plus en plus, c’est aux universités qu’il incombe de prouver leur pertinence. La pression s’accentue assurément sur les recteurs. Elle s’accentue sur les conseils d’administration des universités. Et elle s’accentue sur les étudiants. On le voit tout particulièrement dans la recrudescence des problèmes de santé mentale sur les campus. De plus en plus d’étudiants vont à l’université, car c’est de plus en plus important pour trouver un emploi. Et les attentes des parents envers leurs enfants-étudiants semblent aussi plus élevées. Je ne veux pas dire que ce n’était pas un problème lorsque j’étais étudiante. J’ai été la première de ma famille à poursuivre des études supérieures; c’était un monde tout à fait différent de celui que je connaissais et cela exerçait sur moi une certaine pression. Mais aujourd’hui, la pression, particulièrement pour les étudiants aux cycles supérieurs, est d’une tout autre ampleur.

AU : Vous avez mentionné la pression sur les recteurs. Les attentes envers eux sont-elles plus grandes qu’autrefois?

Mme Tausig Ford : Je le crois. Par exemple, une étude réalisée par le recteur de l’Université de l’Alberta, David Turpin, a démontré que la durée des mandats des recteurs a diminué. Un recteur nommé dans les années 1970 pouvait demeurer en poste pendant 20 ans, ce qui est très rare aujourd’hui. Les étudiants, les politiciens, la société – et les conseils d’administration des universités, qui jouent un rôle plus important de nos jours – ont tous des attentes accrues envers les recteurs.

AU : Le rôle du recteur a-t-il changé?

Mme Tausig Ford : Il a pris une grande ampleur. Je me rappelle une conversation avec une rectrice qui se préparait à assister aux funérailles d’un professeur qui avait longtemps été au service de son université. Elle m’a parlé du rôle pastoral du recteur, entre autres attentes. Les recteurs d’aujourd’hui doivent être des motivateurs. Ils doivent être d’authentiques leaders. Ils doivent avoir le sens des affaires. Ils doivent être, bien plus aujourd’hui qu’autrefois, des solliciteurs de fonds. Ils doivent trouver l’équilibre entre les attentes à long terme envers les universités et les attentes de résultats à court terme. Ils doivent pouvoir sortir des lapins de leur chapeau. Oui, il y a beaucoup plus de pression sur les recteurs. La courte durée et l’interruption fréquente des mandats, pour quelque raison que ce soit, en est la preuve.

AU : Comment les activités d’Universités Canada ont-elles changé au cours des trente dernières années?

Mme Tausig Ford : D’abord, nous n’avons plus à prendre une grande respiration avant de dire notre nom – l’Association des universités et des collèges du Canada – et nous n’avons plus à expliquer qui nous sommes. Notre nom fait foi de tout. C’est déjà un bon changement.

AU : Un changement que vous avez amorcé…

Mme Tausig Ford : Oui, et dont je suis très fière. À l’époque de mon arrivée à Universités Canada, ou plutôt à l’AUCC, nous vivions une petite crise existentielle. L’organisation, qui représentait alors l’ensemble du milieu universitaire (des étudiants et des professeurs siégeaient au conseil d’administration) était en transition. La composition de l’association était très diversifiée, et ça ne fonctionnait pas vraiment à certains égards.

AU : Je crois que bien peu de gens sont au courant de cette époque. 

Mme Tausig Ford : C’est un moment de transition dans notre histoire. Quand je suis arrivée, cela venait tout juste de se produire. Beaucoup de questions demeuraient : qui nous étions, qui nous servions, quel était notre travail? Ces questions ont entraîné de nombreux débats sur les critères d’adhésion à l’association. Depuis, les objectifs de l’association se sont précisés. Nous comprenons beaucoup mieux ce que nous devons faire. Au départ, nous ne nous considérions pas comme une organisation de promotion d’intérêts, même s’il est vrai que nous étions en contact avec les gouvernements. Petit à petit, nous avons compris que nous avions un rôle important à jouer, celui de représentant des universités auprès du gouvernement fédéral.

Le service aux membres a aussi progressé ces dernières années. Nous sommes là pour soutenir les recteurs, pour les aider à faire un meilleur travail. Nous organisions déjà depuis quelques années des programmes de perfectionnement professionnel qui leur étaient destinés. Aujourd’hui, ces programmes sont encore mieux définis. Nous avons proposé bon nombre d’ateliers destinés aux recteurs et aux hauts dirigeants universitaires, comme celui qui aura lieu en mars sur la revitalisation des arts libéraux. Nous en avons aussi offert sur le leadership des sénats universitaires, sur la gouvernance et sur les technologies numériques dans l’enseignement et la recherche. Tout cela était nouveau pour nous.

AU : Un des principaux rôles d’Universités Canada est donc le soutien aux recteurs?

Mme Tausig Ford : Notre organisation a toujours aidé les recteurs à se rassembler et à discuter des enjeux importants pour leurs campus. Mais je crois que nous avons élargi cette perspective; il s’agit d’enjeux importants pour eux en tant que personnes, d’enjeux importants pour leur réussite dans ce milieu qui est nouveau pour eux. Par exemple, nous venons d’inaugurer un réseau de leadership des femmes universitaires – dont je suis très fière d’avoir fait la promotion – dans le but d’augmenter le nombre de femmes qui accèdent au rectorat et à la haute direction dans nos universités. C’est une importante initiative, inédite pour Universités Canada.

AU : Avez-vous une dernière réflexion dont vous voulez nous faire part?

Mme Tausig Ford : Ces dernières semaines, j’ai beaucoup pensé à ma carrière – ce qui est normal lorsqu’on prend sa retraite après plus de trente ans au même endroit. J’ai repensé à mon premier emploi ici : rédactrice à Affaires universitaires. C’était une autre époque. Nous faisions la mise en page en passant nos textes à la cireuse pour ensuite les déposer sur des grilles. Si un texte était trop long, nous enlevions des mots avec un couteau X-Acto. Les choses ont énormément changé.

Mais en même temps, je regarde le premier numéro d’Affaires universitaires auquel j’ai contribué, et mes articles portaient sur des enjeux qui demeurent primordiaux pour les universités. L’un d’eux portait sur le droit d’auteur, et il contenait même un passage sur l’utilisation équitable et son importance pour les universités. Un autre portait sur la liberté universitaire, un autre sur l’importance des étudiants étrangers pour les universités canadiennes, un autre sur le leadership féminin et les professeures. Je rapportais qu’à l’époque, le corps professoral ne comptait que 14 pour cent de femmes. Je rapportais aussi que le salaire des femmes était inférieur à celui des hommes. Certaines choses n’ont pas changé. Mais c’est intéressant de constater qu’à l’époque (1977-1978), le salaire moyen des professeurs était d’environ 28 000 $ pour les hommes et de 23 000 $ pour les femmes. Heureusement, certaines choses ont bel et bien changé.

Cet entretien a été revu et condensé pour plus de clarté.

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