Roberta Jamieson est la présidente-directrice générale d’Indspire, une organisation qui plaide depuis plus de 30 ans pour le droit des jeunes Autochtones à une éducation équitable, accessible et culturellement pertinente. Devant des leaders d’opinion de tout le pays réunis pour se pencher sur l’avenir du Canada d’ici 50 ans, Mme Jamieson a parlé de ces questions à l’occasion de la conférence Carrefour 2017 organisée par Universités Canada à Ottawa les 6 et 7 février. Dans la période qui a précédé son intervention, le magazine Affaires universitaires avait demandé à Mme Jamieson de lui faire part de sa vision du Canada de demain et de la place tenue par les jeunes Autochtones. Voici la teneur de cet entretien.
Affaires universitaires : Pouvez-vous nous dire ce que fait Indspire?
Roberta L. Jamieson : Nous soutenons l’éducation des Autochtones, financièrement et par d’autres moyens, afin de permettre aux jeunes Autochtones de réaliser leur potentiel – pour eux-mêmes, leurs collectivités et l’ensemble du Canada. Nous sommes au service des membres des Premières Nations, des Métis et des Inuits de tout le pays. Nous tentons de combler le fossé en matière d’éducation des Autochtones par la sensibilisation et la mise en commun des ressources.
AU : Quels programmes d’Indspire mettent l’accent sur l’éducation postsecondaire?
RJ : Les étudiants autochtones affirment que c’est avant tout le manque de ressources financières qui les empêche d’obtenir un diplôme d’études postsecondaires, voire d’acquérir une formation postsecondaire. Beaucoup de Canadiens croient que l’éducation des étudiants autochtones est intégralement financée, mais c’est faux. Certains d’entre eux, qui répondent à divers critères en matière de statut, bénéficient d’un financement, mais c’est loin d’être suffisant. L’an dernier, nous avons accordé près de 3 800 bourses d’études, pour un total de 12,2 millions de dollars, mais cela n’a répondu qu’aux besoins de 11 pour cent des étudiants qui nous avaient sollicités. À une époque, les Autochtones devaient renoncer à leur statut pour obtenir un diplôme d’études postsecondaires. Il y a eu aussi le drame des pensionnats, dont tout le monde a entendu parler. Les étudiants autochtones d’aujourd’hui se heurtent à l’héritage de l’Histoire et à de nombreux obstacles. Il est clair que d’autres mesures doivent être prises à leur égard.
AU : En dehors des obstacles financiers, qu’est-ce qui empêche les Autochtones d’accéder aux études postsecondaires?
RJ : Il existe un racisme systématique, qui prend de nombreuses formes, parfois flagrantes, parfois subtiles. Dès leur jeune âge, les élèves se voient imposer des programmes qui ne reflètent pas qui ils sont. Or, il est très difficile d’intégrer un système qui, en quelque sorte, ignore votre culture. Les étudiants autochtones ont aussi besoin de modèles. Je pense que je n’aurais jamais obtenu de diplôme universitaire si je n’avais pas croisé, à l’époque, d’autres étudiants autochtones qui partageaient ma vision du monde et vivaient les mêmes pressions que moi. À la faculté de droit, que je fréquentais alors, on nous disait que l’ensemble des terres appartenait à la Couronne. N’importe quel membre des Six Nations sait que c’est faux, mais à l’époque, la réalité dépeinte par les universités était différente.
AU : Certains de ces obstacles entravent l’éducation bien avant les études postsecondaires, non?
RJ : Il est très important de transformer l’enseignement de la maternelle à la 12e année, parce que c’est lui qui prépare les étudiants universitaires de demain. Il faut aussi améliorer le taux de diplomation au secondaire, où seuls quatre élèves autochtones sur 10 parviennent à obtenir leur diplôme. Il est aussi très important de proposer des modèles aux élèves de cette tranche d’âge. C’est la raison pour laquelle nous diffusons dans tout le pays la cérémonie de remise des prix Indspire. Nous organisons aussi chaque année une conférence pour les jeunes, afin de leur faire comprendre combien il est important de poursuivre leurs études pour contribuer au changement au sein de leurs communautés.
AU : Que peuvent faire les universités pour mieux soutenir les étudiants autochtones?
RJ : Les universités doivent se montrer plus accueillantes à leur égard. Je me réjouis de voir que certaines d’entre elles mettent sur pied des centres où les étudiants autochtones peuvent se rencontrer, participer à des cérémonies et discuter avec leurs aînés. Les universités doivent aussi comprendre l’importance des impératifs culturels. Par exemple, quand quelqu’un meurt, le deuil chez les Autochtones dure 10 jours. Pas par choix, mais par tradition. Il faut aussi que davantage de professeurs autochtones siègent aux conseils d’administration.
AU : Quels sont les avantages de l’intégration de la culture autochtone aux programmes des universités pour les Canadiens non autochtones?
RJ : Elle leur apporte une vision plus complète et équilibrée de l’Histoire du Canada. Elle peut aussi contribuer à ouvrir leur esprit aux méthodes autochtones en matière de science, de soins de santé traditionnels, de résolution des conflits et de respect de la terre. Chaque discipline universitaire recèle une dimension autochtone susceptible de l’enrichir. De plus, les jeunes autochtones représentent le groupe démographique qui connaît la plus forte croissance au Canada. Le Conseil national de développement économique des Autochtones estime que le PIB au Canada bondirait de 28 milliards de dollars si les obstacles qui empêchent les Autochtones d’accéder aux études et à l’économie étaient levés. Ce serait donc aussi une « bonne affaire ».
AU : La vérité et la réconciliation font aujourd’hui partie du débat public. Est-ce de nature à accentuer le changement?
RJ : Je pense que le débat est sain, mais je suis une personne très pragmatique, tournée vers l’action. Ce que nous devons faire est clair. Nous avançons dans la bonne direction, mais il reste beaucoup à faire. Nous devons déployer des efforts soutenus, vigoureux et ciblés, et pas seulement le temps d’une année, pour progresser vers la réconciliation. Nous devons agir pour bâtir un avenir commun.