Au Canada, plus de 8 000 cas de cancer de la peau sont diagnostiqués chaque année, dont la plupart auraient pu être évités. Comme nous sommes réticents à suivre les consignes du médecin et à nous enduire d’écran solaire, une équipe de recherche multidisciplinaire des universités McMaster et Ryerson se penche actuellement sur ce qui se passe si on remplace le messager par un adorable petit robot.
Dirigée par les chercheurs en communication Frauke Zeller et David Harris Smith, ainsi que par le dermatologue Hermenio Lima, l’équipe explore la manière de combiner efficacement les pratiques exemplaires de la médecine, de la psychologie et des études en communication, à une technologie de pointe afin d’aider les gens à adopter des comportements plus sains – dans ce cas-ci, à appliquer un écran solaire. (La chercheuse en psychologie et en neuroscience Sue Becker, le postdoctorant en génie informatique Naby Nikookaran, et huit étudiants assistants de recherche complètent le groupe.) La technologie utilisée combine le système Watson d’IBM – un puissant programme de traitement de l’intelligence artificielle et du langage naturel qui a fait sensation en 2011 en remportant une série de victoires à l’émission Jeopardy! – à un robot interactif autonome du nom de Pepper.
« Nous voulons tirer parti de l’effet qu’ont les robots sur les humains, explique Mme Zeller, qui étudie l’interaction humain-robot du point de vue de la linguistique, de la philologie et de la théorie de la communication depuis une vingtaine d’années, et qui est maintenant professeure à la faculté des études en communication et en design à l’Université Ryerson. Elle signale que les gens sont généralement fascinés par l’apparence sympathique d’un robot, et on ne fait pas plus sympathique que Pepper. Conçu par SoftBank comme « robot social », Pepper mesure environ un mètre vingt, se déplace avec souplesse et spontanéité et a de grands yeux de poupée qui s’allument et suivent le mouvement. « Quand on rencontre Pepper, on ne peut faire autrement que de tomber instantanément amoureux de lui », poursuit Mme Zeller.
Mais Pepper a une tâche difficile à accomplir : le petit robot doit fournir de l’information précise sur la santé et obtenir de l’information personnelle des patients afin d’adapter individuellement chaque interaction. « C’est assez délicat, précise Mme Zeller. Si vous voulez qu’un robot enseigne quelque chose à un humain, le robot ne doit pas agir de manière condescendante ni dénigrer les gens. »
C’est pourquoi l’équipe consacre autant de temps à la conception, à la rédaction de textes et à la mise à l’essai des diverses personnalités de Pepper. L’un, Pepper Cerveau, est professeur. L’autre, Pepper Amusant, est davantage un ami. Entre les deux, il faut évaluer ce que dit le robot et la manière dont il le dit – ce qui inclut le ton et des gestes utilisés, et la distance à laquelle il se tient.
Si quiconque est capable de créer un robot à qui les gens accepteront de parler, c’est bien l’équipe Zeller-Harris Smith. Le dernier robot qu’ils ont conçu, un spécimen à piètre allure nommé hitchBOT, a fait la une des journaux lorsqu’il a traversé le Canada en auto-stop en 2014, avant d’élire domicile au Musée des sciences et de la technologie du Canada, à Ottawa.
Selon M. Harris Smith, qui travaille au département des communications à l’Université McMaster, ce projet est la suite de ce qui avait été entrepris avec hitchBOT – c’est-à-dire la manière de créer des conditions idéales pour favoriser l’interaction humain-robot dans le domaine numérique. « De manière générale, l’interaction physique est essentielle pour qu’une personne parvienne à établir un lien avec un robot ou à éprouver une certaine émotion à son égard, estime Mme Zeller. Dans le cas de hitchBOT, des milliers de personnes se sentaient liées au robot, l’appuyaient et s’en inquiétaient sans même l’avoir jamais rencontré. Cet attachement était dû en grande partie à sa présence sur les médias sociaux. »
M. Harris Smith ajoute qu’ils tenteront de reproduire et de maintenir la même présence virtuelle pour Pepper. Cependant, cette fois il est question de créer une version numérique en 3D du robot dans une application que les patients pourront utiliser pour demeurer en contact avec lui et maintenir une routine de soins de la peau. L’application offrira des conseils et du soutien comme ceux que l’on obtient lors d’une rencontre en personne, ce qui, selon la recherche en psychologie, peut aider quelqu’un à atteindre un objectif ou à changer une habitude.
L’application et le robot sont tous deux censés agir comme complément au travail des professionnels de la santé. « L’objectif n’est pas, et ne sera jamais, de remplacer les humains – infirmières, médecins ou n’importe qui d’autre. Il s’agit plutôt d’ajouter ou d’exploiter les outils dont nous disposons en matière de robotique et de procédés d’intelligence artificielle pour comprendre comment les robots peuvent aider les humains à devenir meilleurs », explique Mme Zeller.
Ce projet a aussi pour but de lutter contre l’image négative qui est transmise par les robots et l’intelligence artificielle, particulièrement lorsqu’ils sont utilisés au travail. « Il est tellement question maintenant de la menace que représentent pour nous les robots et l’intelligence artificielle – nous avons raison d’en parler et nous ne devrions jamais oublier de parler des dangers potentiels –, mais les robots et l’intelligence artificielle font déjà partie de nos vies, conclut Mme Zeller, et il est temps d’intégrer d’autres disciplines dans le débat. C’est d’autant plus important qu’il faut faire savoir aux décideurs que les personnes qui y participent ne sont pas que des ingénieurs, mais des philosophes, des spécialistes des sciences sociales, ou des chercheurs en sciences humaines. »
Si tout se déroule comme prévu lors de la conception et de la mise à l’essai auprès des patients, l’équipe espère avoir un prototype de Pepper intégrant la puissance de Watson au cours de l’été, et prévoit déployer le robot dans un environnement médical dans peu de temps.