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Science et démocratie, un couple mal assorti ?

L’ACFAS se penche sur l’influence croissante des citoyens sur la recherche.

par JEAN-FRANÇOIS VENNE | 19 SEP 11

Par le passé, les citoyens avaient rarement la possibilité d’influencer l’orientation de la recherche. Il semble que la situation soit en train de changer, et que les citoyens soient de plus en plus nombreux à vouloir faire entendre leurs voix. Alors, à qui appartient le savoir?

C’était la question centrale d’un récent débat organisé conjointement par l’Association francophone pour le savoir et Bibliothèque et Archives nationales du Québec, le 7 septembre dernier, à Montréal. Structurée autour de la réflexion de Bernadette Bensaude-Vincent, historienne et philosophe des sciences à l’Université Paris-Ouest, la discussion a exploré la relation souvent tendue entre scientifiques et citoyens.

« Le savoir n’appartient à personne, a soutenu la philosophe française, auteure de l’ouvrage La science contre l’opinion : histoire d’un divorce. Lorsque je partage mon savoir, je ne le perds pas. Au contraire, j’ai des chances de l’accroître. » Ce partage ne repose pas seulement sur la diffusion du savoir. Si c’était le cas, l’arrivée de Wikipédia aurait suffi à combler le fossé entre citoyens et scientifiques.

« Partager » le savoir nécessiterait d’abord d’admettre que le citoyen, tout comme le scientifique, est détenteur de connaissances, et donc que le partage est mutuel. « La professionnalisation de la science, à partir du 19e siècle, a creusé un fossé entre une élite scientifique, supposée seule détentrice du savoir légitime, et les citoyens, perçus comme un simple public ignorant, malléable, irrationnel », a poursuivi Mme Bensaude-Vincent.

Mais ce monopole du savoir serait aujourd’hui remis en cause, notamment en raison de certains scandales. « Après la catastrophe de Tchernobyl, des scientifiques français ont tenté de rassurer les gens, en soutenant que le nuage radioactif s’était mystérieusement dissous à la frontière française! Et aujourd’hui, on nous explique que la catastrophe japonaise ne pourrait jamais se produire en France, car nous savons utiliser le nucléaire de manière sécuritaire. Les gens ne sont pas dupes. »

Les citoyens sont de plus en plus militants et prêts à jouer un rôle d’acteur politique dans le domaine de la science. En France, les inquiétudes par rapport au nucléaire ont mené à la création de la Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité, qui fait de la contre-expertise, notamment dans les mesures de radioactivité. Aux États-Unis, des associations de malades du sida interviennent dans les programmes de recherche, pour en influencer l’orientation et le calendrier. En Europe, les citoyens peuvent se faire nommer « intervenants » et être consultés dans le cadre de la rédaction de directives scientifiques de l’Union européenne. Bref, le citoyen ne se contente plus de son rôle passif.

Appelé à commenter ces propos, Marc-André Sirard, professeur et chercheur en biologie de la reproduction à l’Université Laval, a rappelé que le scientifique est, lui aussi, un citoyen. Il constate que le citoyen, tout comme l’entreprise privée, est généralement pressé et axé sur les résultats, ce qui réduit les délais et augmente les contraintes auxquelles font face les chercheurs. La recherche fondamentale serait donc délaissée au profit de la recherche axée sur les résultats.

Un renversement que craignait déjà Alexis de Tocqueville, a rappelé Yves Gingras, historien et sociologue des sciences de l’Université du Québec à Montréal. « Selon M. de Tocqueville , la démocratie allait entraîner le développement de la science appliquée au détriment de la science “aristocratique”, c’est-à-dire la recherche fondamentale. C’est au gouvernement que reviendra la tâche de soutenir la recherche fondamentale. » Paradoxalement, les citoyens pousseraient la science dans la même direction que l’entreprise privée : vers les applications.

Et la liberté du chercheur dans tout cela? « La liberté des scientifiques est en renégociation perpétuelle, soutient Mme Bensaude-Vincent. Ce qui est clair aujourd’hui, c’est que le chercheur n’est plus isolé des enjeux sociaux de son temps. Son autonomie a fait long feu. »

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