Cet automne, Jennifer Drake, professeure agrégée au Département de génie civil et environnemental de l’Université Carleton, a entendu parler, par un partenaire du secteur, d’un stage de recherche intéressant pour les étudiant.e.s aux cycles supérieurs. La spécialiste de la gestion des eaux pluviales et des infrastructures vertes a cependant répondu qu’il était impossible pour de collaborer à ce projet, et ce, même si elle savait que beaucoup d’étudiant.e.s étaient à la recherche de travail et de financement.
Le nœud du problème : tout nouveau projet soumis à Mitacs, un organisme canadien à but non lucratif qui met en relation les chercheurs et chercheuses et des partenaires du secteur privé et du gouvernement, se butait à un gel imprévu et temporaire du financement. Le 28 août, Mitacs, qui finance également des stages et des formations au premier cycle, à la maîtrise, au doctorat et au postdoctorat partout au pays, a annoncé l’arrêt temporaire du traitement des demandes pour l’ensemble de ses programmes en Ontario pour cause de manque de financement. L’organisme s’est toutefois engagé à assurer le financement des programmes en cours et à examiner toutes les demandes envoyées avant l’annonce.
Environ 10 semaines plus tard, soit le 3 novembre, Mitacs a informé les universités, les collèges et les autres parties prenantes de la reprise du traitement des demandes, se disant prêt à accepter de nouveaux dossiers pour des initiatives comme Propulsion, Élévation et Globalink. (Son programme de stage de stratégie d’entreprise n’a toujours pas repris ses activités en Ontario et dans plusieurs autres provinces, car il s’agit d’un programme contingenté extrêmement populaire.) À la suite de cette annonce, le ministère des Collèges et Universités de l’Ontario a consenti un investissement supplémentaire de 10 millions de dollars à l’organisme.
« Notre gouvernement soutient les étudiant.e.s des établissements postsecondaires et les partenaires via des programmes d’apprentissage par l’expérience comme ceux de Mitacs qui permettent d’acquérir les compétences et la formation nécessaires pour trouver un travail dans une économie d’innovation », a écrit le ministère dans une déclaration adressée à Affaires universitaires.
« Mitacs est reconnaissant de l’appui renouvelé du gouvernement de l’Ontario », s’est réjoui John Hepburn, chef de la direction et directeur scientifique de l’organisme, qui a négocié avec la province pour obtenir de nouveaux fonds. « Nous sommes enthousiastes à l’idée de poursuivre notre collaboration pour stimuler l’innovation et la croissance économique. »
Cependant, pendant la pause de presque deux mois, les chercheurs et chercheuses comme Mme Drake, les étudiant.e.s et les organismes ont été laissé.e.s dans l’ignorance.
Au lieu de publier un communiqué de presse officiel, Mitacs a informé directement ses partenaires de sa décision de ne plus accepter de candidatures. Les chercheurs et chercheuses, en revanche, ont souvent appris l’information par l’intermédiaire des bureaux de recherche de leurs universités ou des médias sociaux. Pour sa part, Mme Drake n’a entendu parler de la réouverture du processus qu’une semaine plus tard, autant de temps perdu pour recruter des stagiaires et soumettre les documents nécessaires.
« Il n’y a pas d’autre option, c’est le seul programme en son genre », précise-t-elle, soulignant l’importance du financement de Mitacs pour les partenariats avec le secteur privé et le gouvernement, ainsi que les stages de recherche qui en découlent.
Tous les stages de Mitacs sont financés conjointement par l’organisme et le partenaire du secteur. Pour le programme Accélération, par exemple, chacune des parties fournit la somme de 7 500 dollars. La personne qui effectue le stage est rémunérée à hauteur de 10 000 dollars et les 5 000 dollars restants couvrent les frais de recherche. Les étudiant.e.s travaillent à la fois avec l’organisme partenaire et la personne qui dirige le projet au sein de l’université.
Mme Drake joue fréquemment un tel rôle de supervision et se charge de mettre en contact les étudiant.e.s avec différentes parties prenantes, comme les offices de protection de la nature, pour mesurer l’efficacité d’un équipement de collecte des eaux pluviales, par exemple. Ce type de projet aide l’organisation participante à résoudre un problème, sert de base au mémoire ou à la thèse des étudiant.e.s et contribue aux travaux de recherche des professeur.e.s.
En 23 ans d’existence, Mitacs n’avait jamais brusquement cessé de traiter les candidatures comme ce fut le cas cette année.
« Nous avions déjà approuvé assez de projets pour épuiser notre budget annuel, indique M. Hepburn au sujet de la décision prise à la fin de l’été, mais il y avait encore beaucoup de demandes en Ontario. »
La demande n’a fait que s’accroître au pays depuis 2015, lorsque Mitacs a élargi les critères d’admissibilité aux sociétés d’État et aux organismes à but non lucratif. En 2021, après avoir obtenu des fonds supplémentaires, Mitacs a annoncé une réduction de 50 % des frais pour les partenaires de l’industrie jusqu’à la fin de l’exercice, en avril de l’année suivante.
« La réduction des frais et la fin annoncée de ce programme ont provoqué un afflux de candidatures », explique M. Hepburn.
Le budget de Mitacs est composé de financements fédéral et provincial. En avril 2021, le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique a promis à l’organisme un financement de 708 millions de dollars sur cinq ans, soit 75 % de son budget de fonctionnement. Les 25 % restants proviennent des provinces, dont certaines se sont engagées à fournir un montant fixe pendant cinq ans tandis que d’autres souscrivent à un modèle annuel.
La contribution de l’Ontario s’élevait à 5,5 millions de dollars pour la période 2018-2019. La province a bonifié ce montant pendant les deux années suivantes jusqu’à atteindre un total de 42 millions de dollars. Cette augmentation se voulait une façon de compenser les perturbations découlant de la pandémie. L’investissement supplémentaire a d’ailleurs permis à Mitacs d’offrir une réduction temporaire des frais à ses partenaires. Dans le budget présenté au printemps dernier, l’allocation de l’Ontario était redescendue à son niveau prépandémique de 7,5 millions de dollars.
M. Hepburn espère conclure un engagement à long terme avec la province pour permettre à l’organisme de composer avec la hausse de la demande et planifier plus efficacement ses initiatives. Mitacs a obtenu des engagements pluriannuels du Québec, de Terre-Neuve-et-Labrador, de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick, et son accord avec le Manitoba arrive à échéance.
Malgré ses récentes difficultés financières, Mitacs n’a aucunement l’intention de modifier son processus de sélection. « Nous partons toujours du principe suivant : si un projet est valide, nous le soutiendrons. Nous ne sommes pas du genre à dire non. Nous n’avons pas agi de gaieté de cœur, et nous aimerions éviter qu’une telle situation se reproduise. C’était une année hors du commun », conclut M. Hepburn.