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Temps durs pour les recteurs

Les chefs d'établissement doivent se montrer de plus en plus habiles pour concilier des intérêts concurrentiels... un équilibre pas toujours facile à trouver.

par ROSANNA TAMBURRI | 12 FEV 07

Pour les recteurs, la vie au sommet n’a jamais été de tout repos, mais dernièrement, les difficultés semblent s’être multipliées.

Vers la fin de 2006, trois recteurs canadiens ont démissionné en quatre semaines : David Atkinson, de l’Université Carleton, et Robert Hawkins, de l’Université de Regina, étaient en poste depuis moins de 16 mois. Roch Denis en était pour sa part à son deuxième mandat quand il a quitté la barre de l’Université du Québec à Montréal.

Aux États-Unis, plus d’une dizaine de chefs d’établissement ont démissionné brusquement l’année dernière, dont Lawrence Summers, personnage très connu et souvent sujet à controverse de l’Université Harvard. Même si chaque démission se produit dans un contexte distinct, certains observateurs affirment que la récente vague de départs signale une hausse des difficultés et des pressions exercées sur les recteurs.

« En ce qui me concerne, je ne m’y aventurerais pas, confie David Kirby, directeur du Centre de recherche-développement en enseignement supérieur (CHERD) de l’Université du Manitoba. Aujourd’hui, les défis sont trop imposants. »

Selon lui, les recteurs doivent être d’abord et avant tout de bons gestionnaires; ils doivent pouvoir faire face à des pressions politiques et jongler avec des enjeux de plus en plus complexes. Il souligne que, d’autre part, les universités font l’objet d’une surveillance accrue de la part des étudiants, des parents et des gouvernements.

Les conseils d’administration des établissements, à l’instar de leurs pendants du secteur privé, exigent également la mise en place de dispositifs de responsabilisation et de mesure du rendement plus stricts, ce qui entraîne parfois des affrontements avec les recteurs, explique James Downey, qui a été recteur de l’Université Carleton, de l’Université du Nouveau-Brunswick et de l’Université de Waterloo.

Qui plus est, les universités ont connu une période d’expansion, également source de bouleversements, ajoute M. Downey, qui dirige un séminaire à l’intention des nouveaux recteurs pour l’Association des universités et collèges du Canada et qui préside depuis peu le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur. Selon lui, bien que pénibles, les grandes compressions budgétaires des années 1990 ont uni les universités contre ce qui était perçu comme une menace extérieure. « Aujourd’hui, l’ennemi est dans les murs et prend le visage de la rivalité pour l’obtention d’une part des nouvelles ressources. »

Si difficile que soit la situation actuelle, M. Downey estime qu’elle ne l’est pas davantage que par le passé. Les universités ont déjà connu des temps durs; on n’a qu’à penser aux protestations étudiantes des années 1960 et à la syndicalisation des professeurs pendant les années 1970.

Paul Davenport, qui en est à son troisième mandat comme recteur de l’Université Western Ontario, acquiesce : « J’ai toujours eu beaucoup de pain sur la planche. Mais les questions sur lesquelles je travaille ont changé. « De nos jours, les universités se livrent une concurrence plus féroce pour attirer étudiants et professeurs et pour obtenir des fonds de recherche, et elles comptent davantage sur des activités de financement, précise-t-il. L’exigence d’améliorer la reddition de comptes s’est intensifiée au même rythme que leur recours au financement externe.

D’autres dirigeants conviennent que, depuis quelques années, des enjeux externes sont passés à l’avant-plan. John McLaughlin, recteur de l’Université du Nouveau-Brunswick, affirme que, pendant ses premières années en poste, il a été accaparé par des rencontres avec des représentants gouvernementaux, des associations d’entraide et des groupes de l’industrie. Presque au même moment, l’Université a mis sur pied une campagne de promotion et de capitalisation ambitieuse. « Après mûre réflexion, je dirais que, certains jours, l’équilibre [entre les priorités universitaires et les enjeux externes] était très perturbé, se rappelle-t-il. J’étais à l’extérieur quand ma présence était requise ici. »

Selon M. McLaughlin, les universités sont en pleine transition et essaient de répondre aux exigences redditionnelles tout en maintenant en place les modèles et les traditions de gouvernance universitaire. « Il est difficile de concilier ces deux univers », observe-t-il.

« À mon sens, notre mode de responsabilisation doit être mieux adapté à la réalité universitaire, ajoute Lloyd Axworthy, recteur de l’Université de Winnipeg, sans quoi les universités risquent de perdre leur indépendance. »

M. Axworthy, qui a déjà occupé d’importants postes au cabinet fédéral, affirme que les processus décisionnels universitaires sont « encore plus lents et ardus » qu’au gouvernement. Il est difficile d’y mettre en œuvre des pratiques de gestion largement acceptées par les instances fédérales (p. ex., l’évaluation des employés et des programmes) parce qu’elles sont perçues comme « allant à l’encontre d’un système fondé sur la collaboration entre pairs », précise-t-il.

L’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques du Québec a dernièrement mis sur pied un groupe d’étude qui examinera bon nombre de ces questions. L’Institut est une initiative conjointe de HEC Montréal et de l’école de commerce John-Molson de l’Université Concordia. Le groupe d’étude, présidé par Jean-Marie Toulouse, professeur et ancien directeur de HEC Montréal, s’est vu demander d’évaluer les pratiques actuelles, et les difficultés qu’elles entraînent, an matière de gouvernance des universités au Québec et de recommander des moyens de les améliorer.

M. Toulouse précise qu’il est trop tôt pour qu’il puisse commenter les difficultés auxquelles les recteurs sont confrontés; le groupe d’étude doit d’abord se pencher sur la question. La plupart des recteurs des universités francophones du Québec sont élus plutôt que nommés. Le rapport du groupe d’étude doit être remis à la fin juin.

Parallèlement, les États-Unis ont connu l’année dernière « l’une des années les plus turbulentes pour les recteurs », souligne Paul Fain, reporter au Chronicle of Higher Education de Washington. Le poste de recteur est devenu « terriblement complexe et revêt un caractère très politique, souligne-t-il. Les recteurs doivent avoir du charisme, se montrer combatifs sans toutefois marcher sur les pieds de quiconque, souvent tout en prenant des décisions difficiles. »

D’une certaine façon, ajoute-t-il, ce poste s’apparente de plus en plus à celui de chef d’entreprise; en fait, aux États-Unis, un nombre croissant de chefs d’établissement proviennent du milieu des affaires, une tendance qui, selon M. Kirby, du CHERD, pourrait se propager au Canada.

« Je crois que les universités se transforment graduellement en instances de nature diverse qui se rapprochent davantage d’un modèle d’entreprise dans lequel est inscrit un processus redditionnel imposant », explique M. Kirby. Selon ses prédictions, les universités chercheront de plus en plus hors du milieu universitaire des chefs dotés de fortes compétences en gestion et en communications et destinés à devenir le visage public de leur établissement; ceux qui « distribuent des poignées de main et sollicitent des fonds pour l’établissement », affirme-t-il.

Voilà une transformation qui ne fera pas l’unanimité. « Je ne souscris pas à l’idée selon laquelle il suffit de nommer un chef d’entreprise à la tête d’un établissement pour que celui-ci soit géré efficacement, soutient M. McLaughlin, de l’Université du Nouveau-Brunswick. Cela permettrait peut-être d’améliorer les résultats nets, mais cela anéantirait l’esprit qui y règne. »

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