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Un colloque lève le voile sur les rapports amoureux entre professeurs et étudiantes

L’événement a eu lieu à l’UQAM, quelques jours après que trois professeurs de l’établissement aient été dénoncés sur Facebook pour harcèlement sexuel.

par MARIE LAMBERT-CHAN | 20 NOV 14

Les histoires d’amour entre professeurs et étudiantes sont vieilles comme le monde. Elles peuplent les livres, les films, les séries télé… et la machine à rumeurs universitaire. « Tout le monde sait que ça existe, mais personne n’en parle, affirme Martine Delvaux, professeure au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Et quand nous en parlons, c’est pour mettre de l’avant les couples qui ont réussi. Nous évitons ainsi de parler de tous les autres cas de figure, bien plus nombreux, dont les issues sont beaucoup plus compliquées, désespérées et disons-le, honteuses. »

Pour Mme Delvaux, ces liaisons souvent dangereuses constituent de véritables « bombes à retardement ». C’est pour éviter qu’elles n’éclatent et ne fassent plusieurs victimes au passage qu’elle a organisé avec ses étudiantes Valérie Lebrun et Laurence Pelletier le colloque « Sexe, amour et pouvoir. Il était une fois à l’université… » qui avait lieu le 14 novembre dernier à l’UQAM. Des professeures et des étudiantes de six universités québécoises s’y sont exprimées. L’objectif : lever le voile posément sur le phénomène par l’entremise de créations littéraires et d’analyses culturelles.

Mais voilà qu’entretemps, toutes sortes de bombes ont éclaté : l’affaire Ghomeshi à CBC, les histoires de harcèlement sexuel au Parlement et la vague de dénonciations d’agressions sexuelles sur Twitter. Le colloque, qui était au départ quasi confidentiel, s’est retrouvé dans l’œil du cyclone. L’intérêt était tel que les organisatrices ont dû réserver une salle plus grande. Pour compliquer les choses, quelques jours avant l’événement, trois professeurs de l’UQAM ont vu leur porte de bureau recouverte d’autocollants dénonçant la culture du viol et le harcèlement sexuel. Des photos des méfaits et le nom des enseignants ont dès lors commencé à circuler sur Facebook.

Dans un tel contexte, inutile de dire que les attentes des participantes – seulement quelques hommes étaient présents – étaient élevées. Plus d’une centaine se sont présentées. La salle était comble et plusieurs ont dû s’asseoir à même le sol. D’entrée de jeu, Mme Pelletier a donné le ton à la rencontre : «Nous ne sommes pas dans un esprit polémique de dénonciation et d’accusation, a-t-elle lu en introduction. (…) Bien que la question du harcèlement soit au centre de ce colloque, nous voulons interroger à la base les relations de pouvoir entre les professeurs et les étudiantes qui le sous-tendent.»

Quel consentement?

À ceux qui osent questionner les liaisons entre professeurs et étudiantes, certains répliqueront que ce sont des relations impliquant des adultes consentants, majeurs et vaccinés. « Mais qu’est-ce que le consentement à l’université? », demande Mme Delvaux interviewée en marge du colloque. Même si les jeunes filles ont techniquement atteint l’âge de la majorité, elles demeurent dans un rapport d’autorité avec leur professeur. « D’une certaine façon, les professeurs sont les stars de leur département ou de leur discipline, rappelle-t-elle. Ils doivent prendre conscience du pouvoir et de l’attrait qu’ils exercent. »

En effet, comment une étudiante peut-elle s’opposer à celui qui supervise ses travaux de recherche, qui l’embauche comme assistante de recherche, qui lui octroie une bourse ou qui lui signe une lettre de recommandation? «Les risques d’abus de pouvoir et de confiance, ainsi que de conflit d’intérêt sont là», constate Mme Delvaux.

Si l’histoire tourne mal, c’est très souvent l’étudiante qui est perdante, signale Mme Delvaux. C’est elle qui, pour s’en sortir, abandonnera ses études, changera d’université ou poursuivra sa carrière en faisant l’objet de ragots. «On lui enlève le pouvoir de la parole, estime-t-elle. Peu importe ce qu’elle dira, elle sera accusée d’avoir voulu séduire ou d’avoir été assez naïve pour être séduite.»

Renversement de pouvoir

Même si le colloque se voulait un lieu de réflexion, plusieurs participantes, fouettées par la déferlante des agressions dénoncées, avaient soif d’action et de solution dépassant largement le cadre universitaire. « Qu’est-ce qu’on fait avec toutes ces femmes qui vivent avec les séquelles du harcèlement et de l’agression et qui n’ont pas de place pour en discuter? Comment améliore-t-on le système judiciaire? », a demandé une participante. Impossible pour les panélistes de répondre à une telle question, mais Mme Delvaux lui a assuré qu’en ce qui concerne l’UQAM, une révision de la politique en matière de harcèlement et du processus de traitement des plaintes était en cours. Elle-même fait partie du comité en charge de ce dossier qui devrait aussi examiner la responsabilité professionnelle pour prévenir les situations d’abus. «C’est une opération de longue haleine», a-t-elle toutefois admis.

Isabelle Boisclair, professeure au Département des lettres et communications de l’Université de Sherbrooke, est persuadée que le colloque et les événements qui l’ont précédé auront des répercussions durables sur le milieu universitaire. «Il y aura un renversement de pouvoir : les étudiantes pourront désormais refuser le piège qui leur est tendu par des professeurs et ces derniers n’auront plus la même liberté qu’avant, sachant très bien qu’ils peuvent être dénoncés sur les réseaux sociaux même s’ils ne sont pas clairement nommés», croit-elle.

Les étudiantes seront sans doute aussi plus solidaires entre elles, comme le démontre la création à l’UQAM du Collectif des étudiantes contre le sexisme en études littéraires qui était officiellement lancé lors du colloque. « Les étudiantes qui sont victimes de harcèlement ou d’agression se sentent isolées et n’osent pas porter plainte, affirme Iraïs Landry, membre fondatrice. Nous voulons les encourager à le faire en nous proposant comme médiatrices. Nous souhaitons aussi inviter notre milieu à combattre le sexisme ambiant. C’est en nous serrant les coudes que nous pourrons changer les choses. »

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  1. Pierre Jasmin / 21 novembre 2014 à 09:00

    Bravo à Affaires universitaires de faire connaître l’existence de ce colloque essentiel et du collectif d’Études littéraires, un département où œuvre la respectée professeure Michèle Nevert. J’ai pleinement confiance en cette dernière, qui est aussi présidente du syndicat des professeures et professeurs de l’Université du Québec à Montréal, pour combattre le fléau du sexisme trop longtemps inhérent à des autorités machos au pouvoir à Ottawa et ailleurs.

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