Un satellite de la taille d’un cube Rubik peut-il nous aider à lutter contre les incendies forestiers, à surveiller les glaces marines ou à comprendre la matière noire? La réponse est oui, mais il nous réserve encore bien d’autres surprises. D’ailleurs, il ne s’agit là que de quelques-unes des missions de l’Initiative canadienne CubeSats de l’Agence spatiale canadienne (ASC).
Grâce à la miniaturisation des technologies informatiques et des communications, ces satellites compacts peuvent être lancés de façon beaucoup plus économique que les grands satellites, ce qui rend l’exploration spatiale plus accessible que jamais. Ces appareils minuscules – généralement de 10 centimètres cubes et d’environ un kilogramme – constituent une plateforme idéale pour tester les nouvelles technologies, prendre des mesures à partir de l’espace, ainsi que pour certaines utilisations commerciales, par exemple fournir des services de télécommunications ou des images de la Terre. Ces satellites peuvent être utilisés seuls, mais aussi en groupe pour accomplir des tâches complexes.
Inspirée notamment par d’autres projets comme le Programme QB50 de la Commission européenne, l’ASC a lancé l’Initiative canadienne CubeSats en 2017. (L’Université de l’Alberta était la seule participante canadienne du programme européen avec son CubeSat Ex-Alta 1.) Quinze équipes d’établissements postsecondaires représentant toutes les provinces et tous les territoires ont été choisies dans le cadre de l’initiative canadienne. Chacune a reçu une subvention de 200 000 à 250 000 dollars.
« Notre objectif premier est d’offrir des occasions de formation et d’apprentissage par l’expérience aux étudiants », indique Jayshri Sabarinathan, professeure adjointe en génie électrique et informatique à l’Université Western et chercheuse principale d’Ukpik-1, le projet CubeSat conjoint de l’Université Western et du Collège de l’Arctique du Nunavut. « La formation pratique aborde toutes les étapes de l’élaboration d’une mission spatiale, soit la conception du CubeSat, sa construction, sa mise à l’essai, son lancement et son exploitation en orbite », explique Ian Mann, professeur de physique à l’Université de l’Alberta et conseiller pour le projet de son Université, le CubeSat Ex-Alta 2.
Dean Sangiorgi, ingénieur principal à l’ASC et gestionnaire de projet pour l’Initiative canadienne CubeSats, précise que l’ASC espère susciter de l’intérêt pour les sciences, la technologie, le génie et les mathématiques et donner aux étudiants la possibilité d’ajouter à leurs connaissances techniques des compétences en affaires, en gestion de projet et en communications. Ces compétences sont acquises grâce au plan de relations externes que chaque équipe doit inclure dans son projet.
« C’est exactement le genre de chose que l’on n’apprend pas à l’école, où la théorie est enseignée sans être mise en pratique », explique Callie Lissinna, étudiante au premier cycle en génie mécanique à l’Université de l’Alberta et gestionnaire du projet Ex-Alta 2.
Ex-Alta 2 poursuit sur la lancée d’Ex-Alta 1 en mesurant l’effet de la météo spatiale sur nos satellites et infrastructures terrestres. Toutefois, la charge utile la plus importante du projet CubeSat sera Iris, une caméra multispectrale qui servira à prédire les incendies forestiers et à surveiller le rythme de reforestation. « Nous pouvons rendre ces données sur les incendies forestiers très accessibles et abordables en les produisant de façon économique grâce à un très petit satellite », précise Mme Lissinna.
L’étudiante indique qu’Iris est un moyen pour l’équipe d’aider des proches qui l’ont aidée à lancer Ex-Alta 1 et qui ont été directement touchés par les feux de forêt de 2016 en Alberta.
L’équipe albertaine perfectionne aussi un modèle initialement créé pour Ex-Alta 1 dont les plans de conception sont non brevetés. « L’équipement, dont le fonctionnement dans l’espace a été prouvé, a une valeur incroyable puisqu’il peut servir à des développements futurs », déclare M. Mann.
Engagement avec la communauté
La sensibilisation fait également partie des priorités de l’équipe de l’Université Western et du Collège de l’Arctique du Nunavut, qui souhaite faire participer des écoles secondaires et des collectivités de l’Ontario et du nord du Canada à son projet. En 2019, un concours communautaire a d’ailleurs été organisé pour trouver le nom du satellite, Ukpik-1 (« ukpik » signifie « harfang des neiges » en inuktitut).
Ukpik-1 est le premier projet CubeSat des deux établissements. Il permettra au nouvel institut pour l’exploration terrestre et spatiale de l’Université Western, qui a ouvert ses portes en octobre 2019, de se distinguer. Le satellite sera doté de deux caméras à 180 degrés pour filmer en réalité virtuelle. Il s’agit d’un don en espèces de Canadensys, un partenaire de l’industrie. L’équipe espère présenter en classe les images prises grâce à l’appareil afin de donner aux étudiants et autres membres de la collectivité une expérience à 360 degrés de l’espace, indique Mme Sabarinathan.
Le satellite sera construit à l’Université Western, mais les étudiants du Collège de l’Arctique du Nunavut profiteront des connaissances techniques des étudiants de l’Université et se serviront de leurs acquis pour ensuite créer leur propre satellite. En fait, selon les deux équipes, ces liens créés entre les groupes d’étudiants, l’ASC et des experts de l’industrie des quatre coins du pays se sont révélés être l’une des retombées les plus précieuses du programme.
« Les étudiants encadrent toutes les activités, précise Elliot Saive, étudiant au premier cycle en génie physique à l’Université de l’Alberta et chef de l’équipe responsable des données utiles du projet Ex-Alta 2. Nos travaux nous amènent à interagir avec d’autres équipes qui fabriquent des satellites et avec des étudiants qui vivent la même exaltation et les mêmes difficultés que nous. […] Ces expériences surpassent les attentes que j’avais en entrant à l’université. »
M. Sangiorgi dit que les membres de l’équipe de l’ASC ont aussi appris des étudiants. « Les jeunes nous poussent souvent à adopter de nouvelles façons de faire les choses. »
Présentement, les équipes apportent des modifications à leurs modèles préliminaires en vue de l’examen final d’octobre 2020 et des tentatives de lancement en 2021.
Le projet a permis à Callie Lissinna de découvrir les avancées actuelles du secteur spatial de même que les occasions qui en découlent. Elle et un groupe d’anciens étudiants qui ont participé au projet CubeSat en Alberta ont déjà fondé Wyvern, une jeune entreprise spécialisée en imagerie satellitaire pour l’agriculture de précision.
« La miniaturisation des technologies spatiales a fait naître un tout nouveau secteur économique, explique M. Mann. Je suis ravi de voir les étudiants perfectionner leurs capacités dans le domaine spatial à l’université, puis utiliser ces compétences hors de l’université. »