Depuis quelques années, les microcertifications sont le sujet de l’heure en enseignement supérieur. Élaborés rapidement et permettant d’acquérir des compétences ou des connaissances très ciblées, ces cours éclairs ont vite gagné des adeptes un peu partout dans le monde. Or, il reste encore à déterminer s’il s’agit d’une nouvelle approche radicale de l’enseignement supérieur ou d’un engouement passager en matière de pédagogie.
Un nouveau rapport publié en avril par le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES) tend à confirmer cette dernière hypothèse. Rédigé par les chercheuses Jackie Pickette et Rachel Courts, il révèle que les microcertifications accordées jusqu’à présent en Ontario donnent principalement un nouveau lustre à la formation continue traditionnelle – sans plus.
« S’il est généralement attendu que l’offre et la portée des microcertifications soient supérieures, aucune donnée le ne prouve – ou atteste que ce soit nécessaire », explique Julia Colyar, vice-présidente, recherche et politiques du COQES.
Par « supérieures », Mme Colyar fait référence aux premières visées ambitieuses qu’on prêtait aux microcertifications : elles seraient un point d’entrée accessible et abordable aux études supérieures, qui permettrait l’acquisition d’un ensemble personnalisé de certifications cumulables, lequel pouvait donner lieu à un programme complet de recyclage professionnel, voire à un diplôme.
Ce rapport est publié alors que les gouvernements provinciaux de tout le pays consacrent des sommes considérables à concevoir et à appuyer des microcertifications – parfois sans avoir défini clairement d’objectifs à long terme. Depuis 2020, l’Ontario a dépensé 60 millions de dollars pour sa stratégie pour les microcertifications, et la province élabore actuellement un cadre d’assurance de la qualité pour donner une certaine cohérence à une situation pour le moins chaotique.
Le rapport présente plusieurs recommandations pour améliorer la stratégie de la province. Celle-ci aurait notamment intérêt à recueillir des données plus complètes sur l’offre et la demande pour connaître les certifications qui intéressent les apprenantes et apprenants, et comprendre qui sont ces personnes, sur le plan démographique. La province devrait également assurer un suivi des taux d’obtention de microcertifications et des résultats économiques associés, par exemple les revenus et le maintien en emploi. Mais surtout, le rapport met en lumière l’importance de favoriser le perfectionnement des compétences – de bonifier les compétences existantes, afin que la main-d’œuvre puisse suivre l’évolution rapide du marché du travail – plutôt que de mettre l’accent sur le cumul de microcertifications pour le recyclage professionnel complet.
« Ce que nous constatons, c’est qu’en général, les étudiantes et étudiants s’intéressent aux microcertifications pour les mêmes raisons qu’ils s’intéressent à la formation continue traditionnelle, ajoute Mme Colyar. Nous observons la même situation dans le reste du monde. »
Le rapport ne répond toutefois pas à la question : pourquoi la vision ambitieuse que nous avions des microcertifications ne s’est-elle pas concrétisée? Une réponse évidente : pour que les microcertifications soient cumulables et intégrées aux programmes traditionnels menant à un diplôme, elles doivent donner lieu à des crédits. La nature même des microcertifications – qui sont élaborées rapidement, parfois en quelques semaines – est incompatible avec la lenteur du processus d’approbation qui caractérise la gouvernance universitaire. Il en résulte que peu de milieux universitaires traditionnels leur ont fait une place, certains redoutant qu’ils compromettent la qualité des programmes.
L’Université de la Saskatchewan y fait toutefois exception. « Nous avons convenu de situer les microcertifications entre la formation continue et les programmes menant à un diplôme », explique Nancy Turner, vice-rectrice associée à l’enseignement et à l’apprentissage de l’Université.
Les microcertifications offertes par l’établissement sont quand même axées sur les besoins de l’industrie et du marché du travail. On y propose par exemple un cours sur les pratiques d’irrigation durable, un sujet important dans une région agricole de plus en plus souvent frappée par la sécheresse. Or, l’an dernier, l’Université a formé un comité consultatif chargé de formuler des recommandations sur les microcertifications proposées. Ce comité est composé de professeures et professeurs, et de membres de la gouvernance. Ses recommandations sont transmises à la vice-rectrice; si la microcertification est approuvée, on lui assigne une équivalence en crédit, s’apparentant à un crédit de transfert, qui sera prise en compte dans un programme menant à un diplôme.
« Beaucoup d’établissements se contentent de rebaptiser la formation continue “microcertifications”, ajoute Mme Turner. Pour nous, il est primordial que les microcertifications soient des programmes distincts, qui permettent le cumul, donnent droit à des crédits en vue d’un diplôme, et sont soumis à des contrôles rigoureux de la qualité. Ce que nous offrons est unique; je n’ai rien vu de pareil ailleurs au pays. »
Il n’en demeure pas moins que cette proposition échoue à conférer l’un des avantages hypothétiques des microcertifications : la possibilité de les cumuler d’une université à l’autre; autrement dit, il faudrait qu’une étudiante ou un étudiant puisse combiner plusieurs microcertifications suivies dans divers établissements pour obtenir un diplôme plus vaste. « Ce serait l’idéal, qu’on puisse cumuler les cours suivis dans plusieurs établissements », remarque Fiona McArthur, gestionnaire de projet stratégique à l’Institut universitaire de technologie de l’Ontario.
Mme McArthur souligne qu’une possibilité de cumul et de transfert représenterait un écart considérable par rapport à l’approche actuelle au Canada. « Il faudrait créer un réseau d’énoncés de compétences, de sorte que chaque établissement, pour ses certifications, aurait établi un énoncé. Si les compétences y figurant étaient acquises dans le cadre de la microcertification d’un autre établissement, elle serait reconnue. »
Le cadre d’assurance de la qualité que l’Ontario travaille à établir proposera un mode de fonctionnement similaire, bien que sa forme finale reste à définir. Mme Colyar du COQES relève cependant qu’aucune stratégie provinciale efficace ne pourra être mise en place si l’on ne dispose pas de meilleures données sur ce qui est offert, sur ce qui intéresse les apprenantes et apprenants et sur les résultats de leurs études. Il est essentiel de se donner une vue d’ensemble de la situation.
« Les établissements font face à une grande pression : ils doivent trouver la solution magique, qui permette aux étudiantes et étudiants d’entrer comme il se doit sur le marché du travail, en disposant des compétences nécessaires, ajoute Mme Colyar. Si le gouvernement et la population croient que les microcertifications représentent cette solution, et si leur fonctionnement demeure aussi désordonné, on ouvre la porte à des malentendus. Et personne n’en ressortira gagnant. »