« On peut prendre de plus gros risques, ou faire quelque chose qui semble effrayant, car on sait qu’on peut réussir. » Voilà, selon Emma Monet, l’avantage d’avoir vécu une expérience internationale. Cette diplômée de l’Université Ryerson a passé le semestre d’hiver 2016 en Turquie, où elle a suivi cinq cours à l’Université Koç dans le cadre de son baccalauréat en sociologie. En plus d’obtenir des crédits, elle a acquis des compétences en résolution de problèmes, une meilleure connaissance des modes de vie différents du sien et une plus grande confiance en elle.
Selon les auteurs d’un récent rapport, il est impératif d’envoyer plus d’étudiants comme Emma Monet vivre une expérience d’apprentissage à l’étranger, sans quoi le Canada risque de se faire distancer. D’autres pays, comme les États-Unis, l’Australie et les membres de l’Union européenne, multiplient les mesures pour offrir à leurs étudiants de nombreuses possibilités de séjours à l’étranger.
Le rapport, intitulé Éducation mondiale pour les Canadiens : Outiller les jeunes Canadiens pour leur réussite au Canada et à l’étranger, a été préparé par un groupe de dirigeants du milieu de l’enseignement supérieur et du secteur privé. Il est le fruit d’une collaboration entre le Centre d’études en politiques internationales de l’Université d’Ottawa et l’École Munk des affaires internationales de l’Université de Toronto. Le groupe a présenté ses conclusions lors d’une conférence de presse à l’Université d’Ottawa le 8 novembre.
Margaret Biggs, coprésidente du groupe et boursière Matthews en politique publique mondiale à l’Université Queen’s, a énoncé les objectifs fixés par les membres du groupe. Dans les 10 prochaines années, ils souhaitent qu’au moins le quart des étudiants de niveau postsecondaire vivent une expérience d’apprentissage à l’étranger. Selon un sondage mené en 2016, environ 11 pour cent des étudiants canadiens au premier cycle ont effectué un séjour d’études à l’étranger. Pour combler l’écart, le groupe recommande de créer une nouvelle initiative, nommée Expérience internationale Canada, pour aider 15 000 étudiants par année à faire des études à l’étranger pendant les cinq prochaines années, et faire passer ce nombre à 30 000 par année d’ici 10 ans.
Les auteurs du rapport reconnaissent aussi qu’il ne s’agit pas uniquement d’augmenter le nombre d’étudiants qui vivent une expérience à l’étranger : il faut également explorer de nouvelles destinations. Les étudiants canadiens privilégient depuis toujours les pays européens ou anglophones. Selon un rapport de 2016, près de 40 pour cent de ceux qui ont effectué un séjour d’études à l’étranger ont opté pour cinq principaux pays (la France arrive en tête avec 13,7 pour cent, suivie du Royaume-Uni, des États-Unis, de l’Allemagne et de l’Australie). Les auteurs du rapport souhaitent qu’à terme, environ la moitié des étudiants qui partent à l’étranger choisissent un pays émergent comme la Chine, l’Inde, le Mexique ou le Brésil. Selon eux, de telles expériences rendront « particulièrement souhaitables les compétences interculturelles et la connaissance d’autres sociétés ».
Selon Roland Paris, coprésident du groupe et titulaire d’une chaire de recherche en sécurité internationale et en gouvernance de l’Université d’Ottawa, tous les intervenants ont la responsabilité de rendre attrayantes ces destinations moins connues aux yeux des étudiants canadiens. « Pour l’instant, il n’est pas simplement question d’inviter les étudiants à considérer des destinations non traditionnelles, explique-t-il. Il faut mettre en place les structures de soutien et les mesures d’encouragement qui les pousseront à envisager sérieusement ces destinations. » M. Paris cite l’exemple de l’Australie, qui prend des mesures adéquates pour favoriser les destinations non traditionnelles en améliorant les préparatifs avant le départ, en offrant du soutien individuel et en ayant recours à des gestionnaires de dossiers.
Emma Monet dit avoir reçu un encadrement et un soutien adéquats avant son départ pour la Turquie de la part des responsables de l’Université Ryerson. L’Université a même redoublé d’efforts dans son cas, car son arrivée à Istanbul suivait de peu un bombardement mortel en janvier 2016.
Comme les auteurs du rapport, la jeune femme originaire d’Ottawa croit que l’éducation internationale doit être plus accessible. Elle se considère chanceuse d’avoir pu subvenir à ses besoins grâce à des prêts, des subventions, des économies et le soutien de sa famille. Beaucoup d’étudiants doivent travailler pendant leur baccalauréat et « ne peuvent tout simplement pas se passer de leur source de revenus pendant quelques mois », se désole-t-elle.
Zabeen Hirji, directrice des ressources humaines à la Banque Royale du Canada et membre du groupe de travail, estime que l’apprentissage à l’étranger doit être à la portée de tous, et en particulier des étudiants issus de milieux défavorisés, car ce sont eux qui pourront en tirer les plus grands avantages. « Lorsque les gens ont confiance en leurs capacités, ils changent leur façon de penser et leurs convictions, et leur champ de possibilités s’élargit », constate-t-elle. Mme Hirji souligne également les compétences que les étudiants acquièrent lorsqu’ils sont poussés hors de leur zone de confort.
Paul Davidson, président-directeur général d’Universités Canada, s’est dit impressionné par les recommandations ambitieuses du rapport et croit que les jeunes en viendront à reconnaître la nécessité de vivre des expériences d’apprentissage différentes. « Depuis 10 ans, on encourage surtout les jeunes à faire leurs études universitaires le plus rapidement possible pour ensuite se trouver un emploi, constate-t-il. J’ai cependant l’impression que depuis quelques mois, on entend de plus en plus le message selon lequel le monde est en train de changer et qu’il faut réaliser son plein potentiel. Pour ce faire, les jeunes auront besoin d’acquérir des compétences et des expériences différentes de celles de leurs parents. »