À première vue, le gala Indigenous Voices Awards qui s’est tenu dans un pub de Regina au printemps dernier célébrait les écrivains autochtones. Donnant lieu à des lancements de livres et à des spectacles de musique, la soirée a offert une plateforme où 26 000 $ en prix ont été remis à des artistes émergents exceptionnels. En coulisse, l’activité a aussi été une grande réussite pour l’association savante qui l’a organisée.
L’Association des études littéraires autochtones (ILSA) est une association relativement nouvelle dans le milieu universitaire canadien. Elle doit son existence à une séance de visualisation tenue à l’Université de la Colombie-Britannique à l’automne 2013. À cette occasion, un conseil d’universitaires autochtones et non autochtones s’est réuni pour discuter de la nécessité de créer un réseau visant à promouvoir et à célébrer l’enseignement et l’étude éthiques de la littérature autochtone au Canada, ainsi qu’à favoriser les discussions et les relations à cet égard.
Le groupe était composé de Daniel Heath Justice, universitaire cherokee; Sam McKegney, professeur agrégé à l’Université Queen’s; Armand Ruffo, poète anichinabé et professeur agrégé à l’Université Queen’s; Rick Monture, Mohawk du clan de la tortue des Six nations de la rivière Grand et professeur adjoint à l’Université McMaster; Keavy Martin, professeure agrégée à l’Université de l’Alberta; Kristina Bidwell, membre de la communauté inuite du Sud de NunatuKavut au Labrador et doyenne associée des affaires autochtones au collège des arts et des sciences de l’Université de la Saskatchewan; Renate Eigenbrod, ancienne chef du département d’études autochtones de l’Université du Manitoba; Jo-Ann Episkenew, écrivaine métisse et ancienne directrice du centre de recherche en santé sur les peuples autochtones de l’Université de Regina; et Deanna Reder, universitaire métisse-crie et professeure agrégée d’anglais et d’études sur les Premières nations à l’Université Simon Fraser.
Selon M. Justice, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en littérature et en culture expressive autochtone à l’Université de la Colombie-Britannique, les discussions ont duré plusieurs jours et se sont conclues par la rédaction de l’énoncé de principes ayant guidé la création de l’association.
« L’objectif de l’organisation est de favoriser et de soutenir l’écriture, les études littéraires et les personnes qui les pratiquent, explique M. Justice. Le mentorat joue un rôle important, en particulier pour les universitaires des établissements où la littérature autochtone n’est pas très bien représentée ou soutenue, et pour ceux qui se sentent vulnérables d’étudier une littérature minoritaire ».
Il soutient que l’ILSA a fait des pas de géant depuis sa première réunion il y a près de cinq ans, mais ajoute cependant que l’organisation demeure volontairement différente des autres associations des études littéraires afin de répondre aux besoins du secteur.
L’ILSA se démarque notamment par le format de son activité phare. Chaque année, elle coorganise une table ronde avec l’Association canadienne pour l’étude des langues et de la littérature du Commonwealth (CACLALS). La dernière a été la plus importante à ce jour, réunissant une centaine de personnes à l’Université des Premières nations du Canada, à Regina, pour participer à une discussion intitulée « Solidarité souveraine : Autonomie et responsabilisation dans le cadre des alliances de personnes noires, de couleur et autochtones ». Selon M. Justice, la table ronde a attiré cinq fois plus de participants que d’habitude.
En plus de la table ronde, l’ILSA organise un rassemblement public annuel qu’elle tient tantôt au Congrès des sciences humaines, comme cette année, tantôt dans la collectivité. Son premier congrès annuel, par exemple, a eu lieu en 2015 sur le territoire des Six nations de la rivière Grand, en Ontario. Dans le programme de l’activité, les organisateurs affirmaient que leur objectif était « d’aller au-delà des paroles vides du milieu universitaire concernant la “consultation de la collectivité”, trop souvent inspirées des structures de pouvoir coloniales, et de tisser des liens fondés sur la réciprocité et le respect entre les établissements d’enseignement et les groupes autochtones ». En 2017, la rencontre s’est tenue sur le territoire Stó:lō, en Colombie-Britannique.
M. Justice précise que ces rassemblements communautaires ont une signification profonde qui «réaffirme les engagements éthiques des universitaires envers leurs pairs et les collectivités avec lesquelles ils entretiennent des liens. Étant moi-même écrivain et Autochtone, j’ai toujours trouvé réconfortant de discuter avec des universitaires de mon domaine et d’autres écrivains lorsque nous nous réunissons dans un but commun, à un endroit où les écrivains n’ont pas l’impression que leurs propos sont mal interprétés. Nous sommes des partenaires. »
C’est d’ailleurs un partenariat qui a amené l’ILSA à organiser le gala Indigenous Voices Awards en mai dernier, près d’un an jour pour jour après la publication par le magazine de la Writers’ Union of Canada d’un numéro sur les écrits autochtones, qui comportait un éditorial en faveur de l’appropriation culturelle. La publication de cet article d’opinion et l’indignation qui s’est ensuivie ont alimenté la controverse entourant la création d’un prix d’appropriation culturelle et lancé une campagne populaire ayant mené au financement des Indigenous Voices Awards.
« Lorsque la controverse sur la création d’un prix d’appropriation culturelle a éclaté, certaines personnes ont cherché à trouver une réponse constructive et utile », explique M. Justice. C’est le cas de Robin Parker, une avocate de Toronto, et de Silvia Moreno-Garcia, une écrivaine de Vancouver, qui ont joué un rôle clé dans le succès d’une campagne de sociofinancement ayant permis de recueillir plus de 117 000 $ pour les écrivains autochtones émergents. M. Justice les a mises en contact avec l’ILSA en raison de leurs intérêts communs.
Sam McKegney, de l’Université Queen’s, et Deanna Reder, de l’Université Simon Fraser et présidente de l’ILSA à l’époque, ont approuvé cette initiative. M. McKegney affirme que, lors des préparatifs liés à la mise sur pied des prix littéraires, les dirigeants de l’ILSA ont fréquemment dépassé les limites de leurs compétences de chercheurs en littérature. Il souligne qu’il ne leur a fallu que quatre mois pour créer un programme de prix permanent, conformément à leur objectif de soutenir et de promouvoir le travail des écrivains autochtones au Canada.
MM. Justice et McKegney sont d’avis que l’ILSA a intentionnellement renforcé ses activités de mentorat et ses liens avec les créateurs et les collectivités autochtones en lançant les Indigenous Voices Awards. «En tant qu’association vouée à la littérature autochtone, nous devons être au premier plan et mettre de l’avant nos protocoles éthiques quant au soutien des œuvres autochtones, ajoute M. McKegney. Les prix nous obligent à renouveler notre engagement et à penser sérieusement à la façon dont les universitaires peuvent utiliser cette plateforme et leur influence pour soutenir la littérature et les autres formes d’art autochtones. Nous réaffirmons notre engagement envers les écrivains sans qui nous ne pouvons faire notre travail. »
M. Justice estime que l’ILSA s’est donné un mandat unique en axant ses activités sur le soutien direct des collectivités autochtones et l’établissement de relations de réciprocité avec elles. «D’autres associations font du bon travail, mais celle-ci est plus qu’un groupe d’universitaires, explique-t-il. Nous entretenons des liens véritables et, par conséquent, nous souhaitons nous entraider. »
Lauréats et finalistes des premiers Indigenous Voices Awards :
Œuvre prééminente en prose d’un écrivain autochtone émergent en anglais
Lauréate : Aviaq Johnston, Those Who Run in the Sky (Inhabit Media)
Finalistes : Carleigh Baker, Bad Endings (Anvil Press); Dawn Dumont, Glass Beads (Thistledown Press); Joanne Robertson, The Water Walker (Second Story Press)
Œuvre prééminente en prose d’un écrivain autochtone émergent en français
Lauréate : J. D. Kurtness, De vengeance (L’instant même)
Finaliste : Naomie Fontaine, Manikanetish (Mémoire d’encrier)
Œuvre prééminente dans une forme alternative d’un écrivain autochtone émergent
Lauréats : Mich Cota, pièces musicales ; Mika Lafond, nipê wânîn (Thistledown Press)
Finalistes : Keith Barker, This is How We Got Here (Playwrights Canada Press); Cliff Cardinal, Huff & Stitch (Playwrights Canada Press)
Recueil de poésie prééminent d’un écrivain autochtone émergent en anglais
Lauréat : Billy-Ray Belcourt, This Wound is a World (Frontenac House)
Finalistes : Tenille K. Campbell, #IndianLovePoems (Signature Editions); Joshua Whitehead, Full-Metal Indigiqueer (Talon Books)
Texte(s) poétique(s) inédit(s) d’un écrivain autochtone émergent en anglais
Lauréat : Smokii Sumac, #haikuaday and other poems
Finaliste : David Agecoutay, Poetic Selections; Brandi Bird, Two Poems; Francine Merasty, Poetry of a Northern Rez Girl
Texte(s) poétique(s) inédit(s) d’un écrivain autochtone émergent en français
Lauréate : Marie-Andrée Gill, Uashteu
Meilleur texte inédit de prose d’un écrivain autochtone émergent
Lauréate : Elaine McArthur, Queen Bee
Finalistes : Treena Chambers, Hair Raizing; Nazbah Tom, The Hand Trembler; Amanda Peters, Pejipug (Winter Arrives)