En novembre 2015, le Canada annonçait qu’il allait accueillir 25 000 réfugiés syriens avant la fin de l’année, et que d’autres suivraient en 2016. Après la diffusion des images tragiques du petit Alan Kurdi, trois ans, retrouvé mort sur une plage de la Méditerranée, les Canadiens ont appuyé massivement le projet du nouveau gouvernement Libéral et se sont engagés à parrainer des réfugiés.
Dans un esprit d’entraide, les universités ont mis sur pied des programmes de bourses d’études pour les réfugiés et ont aussi parrainé des familles de réfugiés. L’Université de Toronto, l’Université Ryerson et l’Université York ont formé le regroupement Lifeline Syria et recueilli quatre millions de dollars qui ont servi à parrainer 15 familles.
Parallèlement à ces initiatives, de nouveaux projets de recherche portant sur l’expérience syrienne voient le jour, dont ceux des universités York et Wilfrid Laurier, entre autres. Le Partenariat Voies vers la prospérité, qui étudie l’intégration des immigrants et des minorités au Canada et en fait la promotion, se penche maintenant elle aussi sur l’expérience vécue par les réfugiés syriens.
Aujourd’hui, l’un des plus ambitieux projets inspirés de l’expérience syrienne tente de comprendre spécifiquement quels sont les enjeux qui touchent spécifiquement les enfants – qui composent 60 pour cent de la cohorte syrienne – par l’entremise d’un nouveau regroupement qui a son siège à l’Université Dalhousie.
La coalition CYRRC (Child and Youth Refugee Research Coalition) est composée de chercheurs de partout au pays, de gouvernements, d’organismes de services, ainsi que d’un groupe de recherche participant en Allemagne. « Le nombre colossal de réfugiés qui arrivaient semblait nous implorer, demandant quelle contribution nous pouvions apporter », raconte Michael Ungar, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la résilience des enfants, des familles et des collectivités à l’Université Dalhousie. Chercheur principal à la coalition, il tente de découvrir quels facteurs (installation, services éducatifs, avantages sociaux accordés à la famille) sont gages de réussite pour les enfants réfugiés à court et à long terme.
Le groupe, dont le corps est composé d’environ 25 universitaires, a entamé vers la fin de l’automne 2015 une série de conversations dirigées par M. Ungar et Martha Crago, vicerectrice à la recherche à l’Université Dalhousie. L’Université Dalhousie est le siège du réseau CYCC (Children and Youth in Challenging Contexts), dont font partie des chercheurs possédant de l’expérience dans l’étude d’enfants réfugiés et immigrants.
C’est lors d’un dîner donné par Mme Crago, auquel participaient M. Ungar et Patrick McGrath, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la santé de l’enfant à l’Université Dalhousie, qu’est née l’idée de la coalition. Le mardi suivant le dîner, les invités ont entamé des démarches auprès de collègues.
En décembre le groupe avait déjà mis sur pied son équipe principale et planifié pour janvier une réunion que l’Université a accepté de financer. « Nous voulions nous mettre à la tâche dans les plus brefs délais, nous confie M. Ungar. Ce sont des enfants, il ne faut pas perdre cette génération. »
À peu près au même moment, Mme Crago a communiqué avec le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) pour demander que du financement d’intervention rapide soit accordé à des travaux de recherche sur les réfugiés. Le CRSH a appuyé l’idée et établi l’échéance à juin 2016. Dès le mois suivant, des versements ont été effectués pour 25 subventions de 25 000 $ chacune. Certains chercheurs du groupe ont par la suite obtenu du financement du CRSH dans le cadre de ce programme.
l’étude de quatre aspects de l’expérience des enfants réfugiés
On a déterminé, lors de la réunion de janvier, le nom du groupe et le plan portant sur l’étude de quatre aspects de l’expérience des enfants réfugiés : langue et littératie; intégration sociale; bien-être mental et physique; aspects économiques. Trois semaines avant l’échéance, le groupe a décidé de soumettre une lettre d’intention pour demander une subvention de partenariat de 2,5 millions de dollars du CRSH. M. Ungar s’est chargé de la demande pendant que les autres membres recueillaient des fonds et demandaient des lettres d’appui. Leur proposition a franchi la première étape et 20 000 $ ont été accordés pour préparer la proposition finale, qui a été soumise le 10 novembre dernier. C’est en mars que la coalition saura si elle recevra la subvention totale.
Entretemps, en février, Mme Crago s’est rendue en Allemagne par affaires pour l’Université. Elle en a profité pour aller voir quelques collègues puis, consciente du fait que ce pays avait accueilli environ 300 000 réfugiés en 2015, s’est rendue à l’ambassade du Canada à Berlin. Sa démarche improvisée s’est soldée par la rencontre de représentants de divers instituts Leibniz et d’universités allemandes.
Une rencontre bilatérale a ensuite eu lieu à Berlin en juin, et une autre à Ottawa en septembre. Les ministères d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et de Statistique Canada, ont tous deux accordé leur soutien à ces rencontres et y ont envoyé des représentants. Dès l’automne, un protocole d’entente visant à coordonner la recherche avec les instituts Leibniz était signé.
Le 19 septembre, quelques jours seulement avant la signature du protocole, Mme Crago, ainsi que Howard Ramos, professeur de sociologie à l’Université Dalhousie (qui a récemment participé à l’évaluation du succès d’un programme d’établissement des immigrants situé à Halifax), et Lori Wilkinson de l’Université du Manitoba, ont participé au sommet des Nations unies pour les réfugiés et les migrants. Mme Crago a confié que, dans ce tourbillon, elle a acquis une meilleure compréhension des enjeux et un certain optimisme par rapport aux répercussions potentielles de la coalition. « J’ai alors senti que tout tombait en place. »
Professeure de sociologie, Mme Wilkinson étudie l’intégration sociale des réfugiés et des immigrants depuis des dizaines d’années. Ses travaux seront en phase avec ceux de Johanne Paradis, professeure de linguistique à l’Université de l’Alberta, qui étudie l’acquisition du langage chez les enfants, y compris d’une langue seconde.
« Pour moi, qui évolue dans le domaine restreint du langage, ce projet interdisciplinaire est très attirant »
Selon Mme Paradis, le caractère interdisciplinaire de la coalition devrait donner des résultats concluants. « Nous savons que la santé mentale et la situation économique ont une incidence sur la réussite scolaire et l’apprentissage d’une langue, mais nous ne l’avons jamais mesurée, dit-elle. Pour moi, qui évolue dans le domaine restreint du langage, ce projet interdisciplinaire est très attirant. »
La coalition souhaite mener des sondages à grande échelle – idéalement des études longitudinales qui suivront les enfants jusqu’à l’âge adulte – et réaliser des entrevues qualitatives.
L’intégration avec le réseau de recherche en éducation Leibniz et des chercheurs universitaires allemands entraînera la mise en commun des sondages et des questions d’entrevues ainsi que des données. Mme Wilkinson estime que les nouvelles méthodes de recherche comme photovoice, où les enfants sont munis de caméras pour filmer leur vie quotidienne, offrent des perspectives extraordinaires et permettent de surmonter les obstacles linguistiques.
Les groupes fournisseurs de service et du gouvernement, qui sont aussi membres de la coalition, aideront à trouver des participants à la recherche et, surtout, auront un accès total aux résultats de recherche. « Une partie du réseau voit à ce que l’information ne soit pas gardée secrète, mais qu’elle soit accessible aux collectivités et aux partenaires », explique M. Ramos.
Plusieurs chercheurs ont déjà pu obtenir du financement d’intervention rapide du CRSH et tirer parti d’autres subventions pour aider à défrayer les rencontres, à lancer des projets ou à en modifier certains, afin que leurs résultats puissent servir au collectif. Les membres de la coalition font aussi l’inventaire des données existantes. « Nous devons savoir ce qui existe, ce qui a fonctionné, et ce qui n’a pas fonctionné, dit M. Ramos. La recherche a tendance à souffrir d’amnésie. »
Les membres de la coalition espèrent être en mesure de lancer dès le printemps des études spécifiques. En mars, ils connaîtront leur budget et, de ce fait, l’ampleur de ces études. Quoi qu’il en soit, le mandat demeure le même. « Nous disposons de l’infrastructure nécessaire pour vraiment accomplir quelque chose, conclut M. Ungar. Si nous pouvons démontrer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, peut-être que la prochains fois nous serons mieux en mesure de dire que nous savons exactement comment procéder. »