Bien que les inscriptions aux programmes d’études supérieures en biologie se répartissent à peu près également entre hommes et femmes, ces dernières ont moins de chances de faire carrière dans la recherche universitaire. À quoi cela tient-il?
D’après les conclusions d’une nouvelle étude menée par Shelley Adamo, professeure de psychologie et de neurosciences à l’Université Dalhousie, le haut taux d’abandon des femmes inscrites en sciences biologiques n’est pas uniquement attribuable à la maternité. C’est plutôt la féroce concurrence qui règne pour les postes de professeurs, et surtout l’âge auquel elle survient, qui expliquerait la persistance de la disparité hommes-femmes observée. « Cette disparité est le résultat d’une regrettable combinaison de facteurs », affirme Mme Adamo.
L’étude de Mme Adamo, dont on peut lire les conclusions dans le numéro de janvier de BioScience, repose largement sur une analyse de la documentation existante. Selon ses conclusions, les femmes ne renoncent pas à devenir chercheuses universitaires en raison du stress ou encore la difficulté à concilier maternité et carrière compte tenu de la charge de travail exigée. « Si tel était le cas, les femmes renonceraient également à faire carrière dans d’autres domaines, comme la médecine. Or, les écoles de médecine comptent plus de femmes que d’hommes, et un important pourcentage des médecins sont des femmes. » (Ces chiffres s’appuient sur des données issues du Sondage national des médecins de 2010, selon lesquelles les femmes représentent, au Canada, 40 pour cent des médecins de famille et 35 pour cent de l’ensemble des médecins.)
Selon Mme Adamo, la principale différence entre les situations en biologie et en médecine tient au processus d’admission. Alors que les écoles de médecine limitent les admissions en fonction du nombre de postes de médecins à pourvoir, les autres écoles d’études supérieures ne le font pas. Cela atténue la concurrence entre les candidats à l’admission, mais conduit à la formation de trop de biologistes, entre autres, compte tenu des postes universitaires à pourvoir. Les bourses de recherche postdoctorales et les postes de professeurs en biologie sont de ce fait âprement disputés, et cela ne cesse d’empirer, affirme Mme Adamo.
De plus, alors que la concurrence pour l’entrée en médecine se livre au début de la vingtaine, celle visant à décrocher un poste de professeur intervient plutôt vers la fin de la vingtaine ou le début de la trentaine, âge où les femmes sont davantage susceptibles d’avoir un conjoint et de jeunes enfants. « Elles sont en quelque sorte pénalisées », commente Mme Adamo, précisant que le problème n’est pas la maternité en soi. Simplement, celle-ci coïncide avec le moment où les femmes doivent se battre d’arrache-pied pour obtenir un poste de professeure. Pour ne rien arranger, les indemnités de congé de maternité sont moins généreuses pour les étudiantes aux cycles supérieurs et les chercheuses postdoctorales que pour les membres du corps professoral.
Sur la base de données issue de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, l’étude affirme que, depuis huit ans au Canada, le nombre de nouveaux postes de professeurs de sciences biologiques à temps plein a chuté d’environ 20 pour cent, tandis que celui des titulaires de doctorats en biologie progressait de 23 pour cent. Cette tendance amplifie le problème pour les femmes en âge d’avoir des enfants.
« Les femmes mariées et les mères sont désavantagées », explique Mme Adamo, ajoutant que la tendance est sans doute le principal facteur qui explique la réduction du nombre de femmes aptes à obtenir des postes de professeures.
Pour inverser cette tendance, Mme Adamo prône l’adoption de politiques d’embauche plus favorables à la famille pour les étudiantes aux cycles supérieurs et au niveau postdoctoral. Le récent rapport du Conseil des académies canadiennes sur les obstacles auxquels les femmes se heurtent en recherche comporte une observation du même ordre : « Des options plus accommodantes et des modèles de progression de carrière plus flexibles constituent des outils importants pour favoriser une main-d’œuvre plus diversifiée. »
Selon Mme Adamo, le mieux serait encore de limiter le nombre d’admissions en biologie aux cycles supérieurs. « Ces facultés doivent prendre exemple sur les écoles de médecine et ne pas former trop d’étudiants, de manière à réduire la concurrence pour les postes des professeurs, à renforcer la sécurité d’emploi et à aider les chercheuses à lutter à armes égales. »
Mme Adamo admet toutefois la difficulté de mettre en œuvre une telle démarche, qui exigerait une coordination entre les organismes subventionnaires, les universités et les professeurs employant des étudiants aux cycles supérieurs dans leurs laboratoires. Cela reviendrait à « changer la manière de pratiquer la science au Canada, résume-t-elle, à ne plus se reposer sur une main-d’œuvre bon marché, en transit ».
Les professeurs sont peu enclins à renoncer au statu quo. Cela les forcerait à embaucher des techniciens de laboratoire mieux rémunérés, perspective difficilement envisageable en période de réduction des budgets universitaires. « Nous formons des étudiants sans trop songer à leurs chances d’obtenir un poste, déplore Mme Adamo. Les femmes en souffrent plus que les hommes. »
Mme Adamo réfute l’idée selon laquelle l’industrie et les autres secteurs, hors du milieu universitaire, seraient en quête de chercheurs en biologie. « La nécessité pour les étudiants aux cycles supérieurs et postdoctoraux d’opter pour des parcours professionnels et des moyens innovants pour trouver des emplois a souvent été soulignée, mais il est illusoire de croire qu’il existe hors des universités suffisamment d’emplois en biologie pour tous les étudiants actuellement inscrits aux cycles supérieurs, affirme Mme Adamo. Qui plus est, la plupart des chercheurs postdoctoraux visent avant tout des postes universitaires, ce qui alimente la concurrence. »
Selon les conclusions de l’étude de Mme Adamo, si rien n’est fait pour remédier à la situation, les femmes mariées et les mères auront moins de chance de mener une carrière scientifique. Les avancées des femmes dans ce domaine se volatiliseront : « Le fait que nous parvenions à recruter durablement des professeures montre que ce n’est pas la maternité qui éloigne les femmes de la science, mais plutôt que la maternité pose problème compte tenu de la féroce concurrence attribuable à la pénurie de postes de biologistes ».
Bien que son étude ne porte que sur la biologie, Mme Adamo affirme que ses constats et recommandations sont valables pour d’autres domaines : de nombreuses disciplines, en particulier en sciences humaines et naturelles, souffrent également d’un excédent de titulaires de doctorat. « Le problème du trop grand nombre d’admissions couplé à une concurrence féroce pour les postes à pourvoir n’est ni nouveau ni propre aux sciences biologiques. »