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Une professeure signe un livre qui comble une lacune dans l’étude des traumatismes

La philosophe Karyn Freedman a osé relater le viol dont elle a été victime pour analyser les traumatismes liés à la violence sexuelle.

par NATALIE SAMSON | 05 AOÛT 15

Pour gagner le cœur de ses collègues, on ne songe pas naturellement à révéler l’aspect le plus intime de sa vie personnelle. Pourtant, c’est ainsi que Karyn Freedman a ouvert un nouveau cha-pitre de sa carrière. One Hour in Paris: A True Story of Rape and Recovery, publié en 2014 aux éditions Freehand Books, est à la fois un récit personnel et une analyse des dimensions psychologique, neurobiologique, sociale et politique de la violence sexuelle et des traumatismes qu’elle entraîne. Le livre a mérité à la professeure agrégée de philosophie de l’Université de Guelph un vaste lectorat, des critiques élogieuses et le prestigieux prix national d’écriture canadienne non romanesque de la Colombie-Britannique.

À l’été 1990, Mme Freedman, alors âgée de 22 ans, célèbre la fin de sa première année d’études au baccalauréat à l’Université du Manitoba en faisant un tour de l’Europe, sac au dos. Le 1er août, elle arrive à Paris, dernière étape de son voyage. Il s’agira d’un séjour aussi bref que bouleversant : ce soir-là, une nouvelle connaissance la retient captive pendant une heure pour la violer en la menaçant d’un couteau.

Elle passera les 10 années suivantes de sa vie à tenter d’ignorer les effets à long terme de cette soirée. Dix années marquées par la consommation excessive d’alcool, les crises débilitantes de panique, l’insécurité en contexte intime et la honte, au terme desquelles elle a obtenu son doctorat de l’Université de Toronto. Ce n’est qu’après avoir découvert la psychothérapie somatique, qui marie la thérapie par le dialogue aux sensations et mouvements qui rappellent les souvenirs traumatisants en vue d’en remodeler notre perception, qu’elle entreprend sa guérison.

Plus elle se soumet à cette thérapie, plus la philosophe en elle est fascinée. C’est ainsi qu’elle se familiarise avec le domaine de l’étude des traumatismes, où elle remarque une lacune importante dans la documentation : le point de vue des traumatisés. « L’histoire du concept de traumatisme psychologique est fascinante, explique-t-elle. Les recherches théoriques que j’ai commencé à réaliser sont parvenues à compléter ce que je retirais de mon expérience personnelle et des efforts que je mettais dans ma thérapie. »

C’est en poursuivant ses lectures qu’elle prend conscience de la documentation manquante. « Ces gens écrivaient sur nos conceptions du monde […], mais ils le faisaient sans avoir vécu une expérience où ces conceptions ont volé en éclats, précise-t-elle. J’ai cru avoir quelque chose à offrir. »

Avec le temps, Mme Freedman commence à considérer son expérience de victime de viol non pas comme un boulet, mais plutôt comme un prisme à travers lequel voir le monde. Elle arrive ainsi à constater comment les traumatismes se manifestent dans la vie quotidienne et comment notre culture laisse les femmes intrinsèquement vulnérables à la violence. « Il m’a fallu beaucoup de temps pour être capable, intellectuellement parlant, d’écrire là-dessus sans trop m’y plonger sur les plans émotif et physiologique », reconnaît-elle.

En 2006, après quatre ans comme professeure à l’Université de Guelph, elle publie un article sur les traumatismes dans la revue Hypatia. Pour la première fois dans le cadre de son travail, elle révèle qu’elle a subi un viol. « Je croyais avoir fait une grande révélation, mais bien entendu, même mes collègues n’avaient pas lu l’article, se souvient-elle. J’ai compris que ça n’irait pas bien loin ainsi. »

Au moment de prendre un congé sabbatique, en 2008-2009, elle sait qu’elle écrira une nouvelle fois sur le viol. Cette fois, par contre, comme point de départ de son analyse, elle va dévoiler l’histoire de son propre viol de même que ses revers et ses progrès au cours de sa guérison. Même si ses
collègues connaissaient alors son histoire, elle choisit de garder son projet de livre secret.

« J’ai gardé le secret pendant un bon moment […] non pas parce que j’étais craintive devant le sujet du viol, mais parce que c’était un ouvrage totalement différent d’un point de vue universitaire », explique-t-elle. Elle craint que ses collègues ne prennent pas au sérieux son passage à l’écriture de récit, ce qui l’incite à décrire le livre comme une critique appuyée par ses expériences et non comme un livre-révélation. « Je voulais que le livre intéresse le plus de gens possible, affirme-t-elle. J’essayais d’écrire une bonne histoire. C’est ma plus grande expérience de création. »

Au moment d’écrire le livre, elle suit une thérapie depuis près de 10 ans et est professeure permanente. Bref, elle occupe un poste de choix qui lui offre sécurité d’emploi et bien-être émotionnel. « Il y a beaucoup de bonnes raisons de raconter ce genre d’histoires, mais ça vient avec certains risques. Je crois que la plupart sont d’ordre personnel – la vulnérabilité émotionnelle, par exemple. Mais quand tu en es au point où […] la réaction [des autres] ne t’atteint plus, tu peux retirer beaucoup de cette expérience. Tu dois regarder ton profil d’universitaire et déterminer si l’expérience est trop risquée ou non. »

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