La retraite à 65 ans n’étant plus obligatoire au Canada, de nombreux baby-boomers, dont des universitaires, s’interrogent.

Pour la première fois depuis 38 ans, Michael Groden ne retournera pas enseigner à l’Université Western cet automne. À 67 ans, le distingué spécialiste de James Joyce indique clairement qu’il n’a toutefois pas décidé de prendre sa retraite parce qu’il se sentait « épuisé ». M. Groden est d’ailleurs loin d’être le seul à travailler au-delà du seuil de 65 ans autrefois considéré normal. À l’Université Western, le nombre de professeurs qui décident de ne pas prendre leur retraite à 65 ans augmente constamment depuis l’abolition en 2006 de la retraite obligatoire à 65 ans. Aujourd’hui, 95 professeurs parmi les 1 100 de cette université, soit près de 10 pour cent, ont plus de 65 ans, et 21 d’entre eux sont septuagénaires.

Ce phénomène touche la plupart des universités et témoigne d’une tendance générale au sein de la société. En 2012, Statistique Canada rapportait en effet que 24 pour cent des Canadiens âgés de 65 à 69 ans occupaient toujours un emploi, par rapport à 11 pour cent en 2000. En l’absence d’une limite d’âge imposée, le choix du moment, de la raison et des circonstances de la retraite est devenu très personnel. De plus en plus de personnes âgées demeurent en poste parce qu’elles aiment sincèrement leur travail et se sentent toujours habitées par la passion et l’énergie nécessaires pour l’accomplir.

Évidemment, les considérations d’ordre financier comptent aussi pour beaucoup dans la décision de prendre ou non sa retraite. De plus en plus de gens fondent une famille à la mi-trentaine, voire plus tard; leurs enfants entrent donc à l’université au moment où eux-mêmes approchent l’âge de la retraite. Cela touche particulièrement les professeures d’université, dont le fonds de retraite est souvent insuffisant parce qu’elles ont dû interrompre ou retarder leur cheminement de carrière.

Les conséquences du report de la date de la retraite sont énormes, aussi bien du point de vue culturel que financier. « L’enveloppe consacrée aux salaires augmente chaque année », affirme Alan Weedon, vice-provost au corps professoral, à la planification et aux politiques de l’Université Western. La masse salariale des 10 pour cent de professeurs qui choisissent de repousser leur retraite frise les 20 millions de dollars; selon lui, c’est le double de ce que coûteraient les salaires d’un même pourcentage de professeurs en début de carrière.

Cette tendance a des conséquences sur la répartition du budget consacré aux salaires des professeurs, un point déjà sensible chez les jeunes universitaires qui aspirent à un poste à temps plein. Idéalement, les départements universitaires comptent une proportion équilibrée de professeurs à tous les échelons. En 2010, selon Statistique Canada, environ 20 pour cent des professeurs canadiens avaient moins de 40 ans et près de 20 pour cent avaient plus de 60 ans.

Puisque de plus en plus de chargés de cours à temps partiel s’arrachent un nombre extrêmement limité de nouveaux postes à temps plein, il n’est pas étonnant de constater un certain ressentiment envers les baby-boomers qui demeurent en poste après 65 ans. Après la publication d’un article sur le sujet dans Affaires universitaires (« Report de la retraite chez les professeurs canadiens », numéro de février 2009), Zita Mendes a bien résumé ce sentiment dans son commentaire sur le site Web du magazine : « Il faudrait rendre la retraite obligatoire à 60 ans chez les professeurs pour donner aux jeunes diplômés la possibilité de commencer leur carrière et d’apporter du sang neuf dans le système d’éducation. »

David Robinson, économiste et nouveau directeur général de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, précise que « la crise qui touche actuellement le personnel des universités n’est pas imputable aux professeurs qui retardent leur retraite ». Il souligne que la plupart d’entre eux prennent encore leur retraite avant 65 ans. Très peu de professeurs (un pour cent seulement du corps professoral au Canada) demeurent en poste après 70 ans, ajoute-t-il.

Michael Nightingale, 78 ans, est devenu en 2012 le directeur intérimaire à temps plein du département de relations familiales et de nutrition appliquée de l’Université de Guelph, un poste qu’il occupe désormais de façon permanente. « L’âge n’est pas un problème pour moi, soutient M. Nightingale. Je crois que ceux à qui nous offrons des services nous font savoir quand il est temps de partir. »

Les universitaires qui prennent leur retraite ne cessent pas d’être actifs pour autant et reprennent souvent des projets de recherche mis en veilleuse pendant leurs années d’enseignement. Deborah Poff, rectrice récemment retraitée de l’Université de Brandon, au Manitoba, travaille sur un roman et un ouvrage sur l’éthique et le leadership dans la fonction publique. M. Groden compte quant à lui terminer ses mémoires, voyager et continuer d’étudier l’œuvre de Joyce. À l’occasion de sa retraite, en avril dernier, il a tenu les propos suivants à ses collègues, en parlant des deux personnages principaux du roman Ulysse qu’il analyse depuis si longtemps : « Je suis à présent beaucoup plus vieux que Leopold et Molly Bloom, mais les plus jeunes ont toujours beaucoup à nous apprendre. Tant qu’ils continueront de me parler, je ne cesserai jamais de lire Ulysse », confie-t-il.

This site is registered on wpml.org as a development site. Switch to a production site key to remove this banner.