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Avocats « sur le tard »

Il n’est jamais trop tard pour étudier le droit.

par ROLLANDE PARENT | 26 SEP 12

Trouver des gens heureux d’avoir opté pour des études en droit à un âge avancé est chose facile.

Pierre Chagnon est un de ceux-là. Après une carrière de cadre à la Commission des écoles catholiques de Montréal, à l’âge de 39 ans, il amorce des études en droit à l’Université de Montréal. Une fois avocat, il décroche le poste de directeur de la formation permanente au Barreau du Québec. Une dizaine d’années plus tard, ses pairs l’élisent au poste de Bâtonnier pour l’année 2009-2010. Il a alors 68 ans.

Ce fut un grand moment pour lui : « J’ai la fierté d’avoir atteint la plus haute marche du podium. D’avoir décroché l’or. »

Bon an mal an, des gens dans la trentaine, la quarantaine, voire la cinquantaine, retournent à l’université avec une idée en tête : devenir avocat. Mais pourquoi? Pour réaliser un rêve inavoué, connaître autre chose, occuper de nouvelles fonctions, donner une second souffle à leur vie professionnelle.

Ces gens d’âge mûr laissent pourtant derrière eux une carrière qui les fait bien vivre et qui ferait l’envie de bien des gens – enseignant au secondaire, claveciniste, homme d’affaires, responsable des communications au sein d’un organisme public.

Les fonctions que ces avocats « sur le tard » exercent dans les années suivant la fin de leurs études expliquent fort bien pour quelles raisons ils se félicitent tous les jours d’avoir changé de cap.

D’autres que Pierre Chagnon ont tiré profit du coup de barre donné, toutefois de façons différentes. Par exemple, en décrochant la présidence d’un organisme très en vue, en pratiquant le droit au sein d’un cabinet privé, en traitant des cas de responsabilité médicale ou d’assurances. Il y a même une juge, ce qui n’est tout de même pas négligeable.

Ici et là dans les universités

Selon les informations recueillies auprès des facultés de droit de l’Université de Montréal et de l’Université McGill, le phénomène des études tardives en droit n’est pas nouveau.
À McGill, le doyen de la Faculté de droit, Daniel Jutras, indique que dans la catégorie d’étudiants adultes, sur les 100 à 150 demandes d’admission annuelles, entre cinq et 15 sont acceptées. Il n’y a pas de variations notables d’une année à l’autre. Me Jutras précise que le taux de réussite des étudiants adultes « est le même que celui des autres étudiants ».

Du côté de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, le doyen Guy Lefebvre signale que la très vaste majorité des étudiants adultes en droit proviennent de la Faculté d’éducation permanente où un certificat en droit (l’équivalent d’une année) est offert le soir et à temps partiel. Au terme de l’obtention de 30 crédits, de 20 à 25 étudiants sont admis à la faculté pour poursuivre leurs études. « Et cela, depuis au moins 20 ans », signale-t-il.

A l’Université Laval, les choses se présentent différemment. Trois places sont réservées aux candidats adultes à chacune des sessions. À défaut de posséder un diplôme d’études collégiales, les candidats sont sélectionnés en regard de leur expérience personnelle et professionnelle de même que de leur motivation. À l’Université Laval, il est possible de suivre des cours de droit à temps partiel.

Le rêve revit

Pour ce qui est de la motivation, Pierre Chagnon en avait à revendre. Il rêvait depuis toujours de faire des études en droit. Sa situation familiale l’a plutôt obligé à gagner sa croûte le jour et à étudier le soir pour pouvoir obtenir son diplôme en enseignement au plus vite. Des années ont passé et quand, dans son milieu professionnel, il a été victime d’une injustice, il s’est mis à repenser à son vieux rêve enfoui de devenir avocat. Assez rapidement, il est passé à l’action en s’inscrivant à l’Université de Montréal pour son plus grand bonheur. Le succès a suivi.
Me Chagnon considère avoir eu de bons rapports avec ses professeurs tout au long de son parcours. « Ils avaient le même âge que moi ou encore étaient plus jeunes. Avec certains, je sentais de la complicité. »

Quand même, Benoît Moore, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal depuis une quinzaine d’années, a constaté que les étudiants adultes, de par leur bagage personnel, regardent le droit et les profs différemment des plus jeunes.

« Le droit interpelle l’ensemble des dimensions de la vie telles que la vie familiale, le monde des affaires, le travail. De par leur expérience personnelle – par exemple, un divorce, une pension alimentaire, une mise à pied – ces étudiants ont une relation différente avec la matière et parfois avec les professeurs », confirme Me Moore.

Il estime que « ce regard différent, critique, peut amener les étudiants plus jeunes à relativiser les choses. »

Par contre, il avance que « l’étudiant adulte peut avoir l’impression de posséder une certaine vérité de sorte que, comme prof, je dois parfois défaire des idées reçues ».
Sa collègue Marie-Claire Belleau de l’Université Laval partage cet avis. « Le cerveau des jeunes est plus malléable. Chez les adultes, leurs connaissances et leurs idées s’interposent. Leur esprit critique fait en sorte qu’ils intègrent plus difficilement les nouvelles connaissances. »

Néanmoins, la situation est loin d’être désespérée. À ceux qui la consultent, qui se disent insatisfaits de leurs résultats, Me Belleau examine avec eux leurs méthodes de travail et leur conseille « d’ouvrir leur esprit sans interférences dans un premier temps ».

Comme Me Belleau enseigne le cours d’introduction au droit, elle a pu observer « l’extrême détermination » des étudiants adultes à leur arrivée au bac.
« Ils sont très sérieux. Ils n’ont pas de temps à perdre. Ils veulent être là. Ils savent ce qu’est le droit. » Les plus jeunes, au contraire, ont souvent une connaissance bien imprécise de ce que comportent des études en droit, d’autant plus qu’ils n’ont pas eu un cours d’initiation au cégep.

Lors de son retour à l’Université de Montréal, à 39 ans, Louise Marchand et les autres étudiants « sur le tard » ont vite réalisé l’atout important que représentaient leurs diverses expériences accumulées au fil des ans. « Nous avions de la maturité, forcément, du vécu, de l’expérience. Par exemple, nous savions ce qu’était une hypothèque, contrairement aux jeunes étudiants. »

Dans le cas de Mme Marchand, le déclic pour des études en droit s’est fait après quelques années de journalisme et à la direction des communications à l’Union des municipalités du Québec. « Cette époque de grandes réformes a fait renaître mon appétit pour le droit. »

Sa seule difficulté dans ce retour aux études a été de conjuguer ses études et sa vie familiale et sociale. « En période d’examen, c’était assez acrobatique, surtout lorsque les examens de mes trois enfants – une au primaire et deux au secondaire – et les miens tombaient en même temps. C’était sportif! Le niveau de stress était très élevé dans la maison. »

À 67 ans, Me Marchand occupe depuis janvier 2011 le poste névralgique de présidente-directrice générale de l’Office québécois de la langue française.

Pour Alain Lessard, la piqûre pour le droit est arrivée dans des circonstances pénibles de sa vie familiale. Il a alors réalisé toute l’importance du droit. (Avant le droit, il avait tâté divers domaines, notamment la poterie, l’électronique pour la Garde côtière et les affaires en ouvrant un spa à Montréal.)

Son père avait entrepris des poursuites contre une équipe de médecins, un centre hospitalier et leurs assureurs en raison d’un diagnostic raté. Comme il est décédé avant de connaître les diverses décisions, son fils Alain a pris la relève, du mieux qu’il pouvait. Il a obtenu gain de cause, soit une compensation financière dans le cadre d’un règlement à l’amiable en Cour supérieure.

« L’injustice faite à mon père a constitué un électrochoc », dit-il. Devant le Collège des médecins, à l’issue de deux heures de plaidoirie, les membres du comité ont eu du mal croire qu’il n’était pas avocat. Il s’est appliqué à le devenir en s’inscrivant à l’Université de Montréal.

Le retour aux études fut difficile à deux égards : sur le plan de ses finances personnelles – il s’est endetté de 20 000 $, a dû compter sur l’aide de sa conjointe et du programme de prêts et bourses à hauteur de 50 000 $ – mais surtout, sur le plan de son intégration au milieu étudiant universitaire.

« La plus grande difficulté était de me rapprocher des plus jeunes, de suivre les activités sociales de l’université pour mieux m’intégrer, sans toutefois me laisser distraire de mon objectif principal, soit de réussir mes études. »

Membre du Barreau depuis 2002, Me Lessard s’occupe de dossiers de responsabilité médicale, entre autres.

Le droit comme autre choix

Pour les deux Néo-Brunswickois, Anne Dugas-Horsman et Alcide A. Léger, le désir d’étudier en droit s’est présenté comme l’option la plus prometteuse pour se remettre en piste, pour commencer un nouveau chapitre.

Au cours de ses études en musique, Anne Dugas-Horsman rêvait d’une carrière de claveciniste-soliste, un désir qui s’est accentué après sa performance lors d’un concours international de clavecin, à Bruges, en Belgique. Elle a cependant réalisé qu’il était bien compliqué de mener une telle carrière à partir de Moncton. En plus, elle avait quatre enfants. Elle cherchait donc à se réorienter. Dès que le plus jeune a eu quatre ans, sa décision était arrêtée, elle étudierait le droit à l’Université de Moncton.

Pendant 12 ans, elle a pratiqué en cabinet privé. À 52 ans, elle est nommée juge à la Cour provinciale, au pénal, poste qu’elle occupe toujours.

Pour Alcide Léger, le droit s’est présenté sous la forme d’une question : Que faire pour changer d’air?

Candidat défait aux élections fédérales de 2000, il cherchait une nouvelle voie. Son fils l’a incité à s’inscrire en droit en lui faisant valoir qu’avec la personnalité qu’il lui connaissait, il allait adorer cela.

À 56 ans, après avoir enseigné au secondaire et mis en place et géré une discothèque et un resto-bar, il est entré à la Faculté de droit de l’Université de Moncton.

À l’heure actuelle, à 65 ans, il pratique le droit des assurances à Tracadie-Sheila, au Nouveau-Brunswick. « J’ai trouvé mon créneau. En raison de la législation entourant l’assurance-automobile, bien des avocats ont cessé de représenter les victimes d’accidents. » Me Léger s’y consacre depuis cinq ans et se dit fier des résultats qu’il a obtenus.

De ses études en droit, il garde un excellent souvenir, à peu de choses près : « L’apprentissage de l’informatique fut difficile; je n’y connaissais strictement rien. »

Pour sa part, le professeur Moore en a vu défiler des étudiants adultes en droit. Le premier nom qui lui revient spontanément en tête est celui du médecin Jacques Chaoulli, et pour cause. Ce dernier tenait à étudier le droit pour mieux préparer un recours juridique visant à créer une ouverture dans le système de santé public. Il a finalement obtenu gain de cause en Cour suprême du Canada, dont le jugement a ouvert la brèche souhaitée en matière d’assurance privée pour les soins de santé.

Rollande Parent est journaliste indépendante basée à Montréal.

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Rollande Parent
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COMMENTAIRES
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  1. Ugo Richard / 21 octobre 2013 à 23:20

    Merci pour cet article.

  2. Geneviève / 22 septembre 2017 à 08:41

    Très inspirant quand on est dans ces questionnements: comment changer d’air? Que puis-je faire d’autre, tannée de ma vie professionnelle (acceptable pourtant, financièrement et en toutes autres conditions)…?
    Je veux faire quelque chose de valable, j’ai 40 ans, suis-je trop vieille?! À la lecture de cet article, l’espoir renaît. Merci.

  3. Céline Gagnon Tremblay / 13 novembre 2019 à 23:43

    Je songe à m’inscrire en droit c’est un vieux rêve qui fut ravivé suite à la condition de mon mari, l’Allzheimer J’aimerais militer pour simplifier les lois inhérentes au couple concernent le mandat de protection .
    Étant artiste-peintre ,je m’intéresse aussi aux lois qui régissent les galéristes ainsi qu’aux royautées plus souvent non versées , aux artistes en art visuel.

  4. Florence Bordage / 15 janvier 2020 à 09:42

    Il y a une erreur dans votre article. Monsieur Guy Lefèbvre n’est pas le doyen de la faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est vice-recteur aux affaires internationales et à la francophonie.

    C’est Mme France Houle qui est doyenne de la faculté de droit à l’UdeM.

    Merci de corriger.

    • Natalie Samson / 15 janvier 2020 à 10:37

      Bonjour Mme Bordage,
      Au moment de la publication de cet article, en septembre 2012, M. Lefebvre était doyen de la faculté de droit de l’Université de Montréal. Il a été nommé vice-recteur aux relations internationales et à la Francophonie en 2014.
      Merci de nous suivre!
      – L’équipe d’Affaires universitaires

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