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De nouvelles écoles de médecine se taillent une place au Canada

L’École de médecine du Nord de l’Ontario inspire d’autres universités à prioriser la responsabilisation sociale, à recommander des changements aux politiques de santé et à servir les collectivités dans le besoin.

par DIANE PETERS | 19 OCT 21

Dans quelques mois, Joseph Boyle terminera ses études à l’École de médecine du Nord de l’Ontario (EMNO) et deviendra le premier médecin de sa famille. « C’est grâce à l’EMNO que j’ai pu envisager des études en médecine », affirme M. Boyle.

Pour lui, la possibilité de vivre chez ses parents tout en étudiant au campus de Thunder Bay comptait pour beaucoup. L’EMNO, la plus jeune école de médecine du Canada, en plus de valoriser la responsabilisation sociale et le service aux collectivités dans le besoin, comme celles du Nord de l’Ontario, milite pour des changements aux politiques de santé. Depuis sa création en 2005, l’EMNO est la seule école de médecine du pays à poursuivre ce type de mandat progressiste. M. Boyle ajoute que ces idéaux sont à l’origine de son inscription au programme et qu’ils ont gagné en importance au fil de ses études.

En plaçant la responsabilisation sociale au cœur de la formation des étudiants, l’objectif de l’EMNO est de mieux préparer les médecins à réduire les inégalités en matière de santé. Cette philosophie a été reprise dans le document Consensus mondial sur la responsabilité sociale des facultés de médecine, rédigé en 2010 par un groupe d’experts de partout dans le monde. Plus récemment, la responsabilisation sociale a été intégrée à l’orientation stratégique publiée cette année par l’Association des facultés de médecine du Canada (AFMC).

La vision progressiste de l’EMNO en matière de formation en médecine a attiré l’attention de l’Université Ryerson, de l’Université York et de l’Université Simon Fraser. Non seulement, ces universités souhaitent adopter cette démarche pour fonder leurs propres écoles de médecine, celle-ci a également inspiré des écoles de médecine existantes à intégrer des idéaux similaires dans leur programme. « L’EMNO est l’un des fleurons du Canada », déclare Shirley Schipper, vice-doyenne à l’enseignement à la Faculté de médecine et de dentisterie de l’Université de l’Alberta. « Nous pouvons tous nous inspirer de l’EMNO et de ses efforts en matière de formation communautaire et de prise en compte des besoins de la collectivité. »

L’une des raisons qui poussent les écoles de médecine du pays à devoir changer est qu’elles contribuent à une inégalité fondamentale du système : elles ne forment pas assez de médecins généralistes. Environ cinq millions de Canadiens n’ont actuellement pas de médecin de famille. Pour y remédier, 50 % de tous les médecins devraient exercer en médecine familiale, mais à peine plus de 31 % des étudiants en médecine en font leur premier choix de résidence. En 2021, 89 postes de résidence en médecine familiale au Canada n’ont pas été pourvus. Cette situation est encore plus grave dans les collectivités rurales et éloignées. « Même en médecine familiale, on préfère exercer en milieu urbain », explique Ann Collins, ancienne présidente de l’Association médicale canadienne (AMC) et ancienne médecin généraliste.

Dans l’espoir qu’ils exerceront dans des régions mal desservies, l’EMNO tente d’attirer des étudiants locaux. Par exemple, les hôpitaux ruraux du Nord de l’Ontario ont besoin d’environ 100 médecins de famille et 100 spécialistes supplémentaires. Pour compliquer les choses, environ 50 % des médecins de la région prévoient prendre leur retraite au cours des cinq prochaines années.

Heureusement, l’École enregistre des chiffres encourageants : 84 % de la nouvelle cohorte étudiante de 2021 est originaire du Nord de l’Ontario, et 12 des 64 étudiants s’identifient comme Autochtones. Un peu moins de 50 % des diplômés ont choisi la médecine familiale comme premier choix en 2021, soit la proportion la plus élevée dans les écoles de médecine du pays. Des 196 diplômés qui ont obtenu leur diplôme et fait leur résidence à l’EMNO, 176 sont restés dans la région pour y travailler.

L’École privilégie également un modèle d’apprentissage décentralisé qui permet aux étudiants d’évoluer dans les collectivités (souvent éloignées et rurales) à raison de 40 % du temps, alors que la plupart des autres écoles de médecine proposent davantage d’apprentissages en classe et en milieu hospitalier. « La formation des meilleurs spécialistes de la santé repose davantage sur la pratique clinique plutôt que le cadre universitaire », déclare Sarita Verma, doyenne et présidente-directrice générale de l’EMNO, en ajoutant qu’il est important de collaborer étroitement avec les personnes qui bénéficieront de la formation des étudiants.

Une nouvelle école de médecine canadienne à la croisée des chemins

En avril 2021, le gouvernement de l’Ontario a annoncé que l’École de médecine du Nord de l’Ontario (EMNO) se dissociera du partenariat entre l’Université Lakehead et l’Université Laurentienne. C’est l’une des conséquences de la déclaration d’insolvabilité financière de l’Université Laurentienne plus tôt cette année. L’EMNO est devenue une école de médecine indépendante.

 

« Il existe de nombreuses universités indépendantes dans le monde », déclare Sarita Verma, doyenne et présidente-directrice générale de l’EMNO. Elle est consciente des défis logistiques à venir, y compris celui de récupérer les quelque 14 millions de dollars de droits de scolarité, de travaux de recherche et de fonds de dotation destinés à l’EMNO et bloqués par le processus de restructuration de l’Université Laurentienne. L’EMNO devra mettre en place sa propre administration. Bien que cela ait un prix, le fait d’être affilié à deux universités distinctes comportait souvent un double coût pour l’EMNO. Mme Verma pense qu’il sera moins coûteux de faire cavalier.

 

Cependant, ce changement ne fait pas l’unanimité. « Nous sommes préoccupés par les conséquences sur la recherche, l’innovation et la reconnaissance des diplômes », déclare Moira McPherson, rectrice et vice-chancelière de l’Université Lakehead. « Les ambitions exprimées par certains membres de l’EMNO en matière de croissance et de développement des services dans le Nord étaient toutes réalisables dans le cadre du modèle de partenariat actuel. Il peut être difficile pour une entité autonome d’atteindre ces mêmes objectifs. »

Un programme fondé sur des valeurs

S’apprêtant à lancer leurs propres écoles de médecine, l’Université Ryerson, l’Université York et l’Université Simon Fraser ont manifestement suivi l’exemple de l’EMNO. Ces universités ont élaboré un programme axé sur la justice sociale, les collectivités mal desservies, la décolonisation de la médecine, la fin du racisme et d’autres formes de préjugés ainsi que l’adoption d’une nouvelle démarche de l’enseignement de la médecine qui pourrait influer sur la prestation des soins de santé d’un océan à l’autre.

L’Université York prépare l’ouverture de son école de médecine depuis plus de 10 ans. En 2010, elle avait mis un frein à sa proposition lorsque le gouvernement provincial avait déclaré ne pas être prêt à la financer. Puis, en mai dernier, l’Université a relancé sa proposition, avec la volonté de former des médecins de famille et de se concentrer sur les nombreuses collectivités mal desservies de la région. « L’école de médecine de York s’inscrirait dans notre conception globale de la santé, qui consiste à maintenir les gens en bonne santé plus longtemps, chez eux, dans leur collectivité », explique Rhonda Lenton, rectrice et vice-chancelière de l’Université. « La formation, fortement axée sur l’interprofessionnalisme et les facteurs sociaux de la santé, vise la collaboration avec d’autres fournisseurs de soins de santé. »

Les efforts renouvelés de l’Université coïncident avec un plan similaire élaboré par l’Université Ryerson. Après la fondation de son école de droit l’automne dernier, l’Université Ryerson a obtenu en mars une subvention du gouvernement de l’Ontario pour la planification d’une école axée sur les soins primaires adaptés à la collectivité, sur les facteurs sociaux déterminants de la santé, sur les soins aux personnes âgées et sur la mise en œuvre de nouvelles technologies.

« Nous pensons pouvoir offrir une nouvelle conception de l’enseignement de la médecine en Ontario, déclare Mohamed Lachemi, recteur et vice-chancelier de l’Université Ryerson. Notre engagement envers la diversité et l’inclusion de la collectivité et l’innovation seront des éléments essentiels à la création de notre école. » L’Université espère établir son école à Brampton, en Ontario, et élaborer son programme d’études en fonction des lacunes en matière de soins dans cette ville racisée et mal desservie. M. Lachemi précise que l’école ne se limitera pas à la formation de médecins et souligne que l’Université Ryerson offre déjà des formations en soins infirmiers, en pratique sage-femme ainsi qu’en santé et sécurité au travail. « Nous voulons optimiser la communication, la collaboration et les résultats. »

Il n’est pas certain que le gouvernement provincial approuve la création de deux écoles de médecine similaires dans la même région, mais Mme Lenton est optimiste. « Je pense qu’il y a de la place pour plus d’écoles dans la région du Grand Toronto, et même pour trois écoles », dit-elle, ajoutant que Boston, qui est quatre fois plus petite que Toronto, compte trois établissements de ce type. Mme Lenton affirme également que l’Université York accepterait de travailler avec les autres établissements. « Je pense que les universités doivent collaborer davantage et éviter la concurrence. »

Entre-temps, le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique a annoncé son soutien pour la création d’une école de médecine à l’Université Simon Fraser en octobre 2020. Cette école de médecine deviendrait ainsi la deuxième de la province après celle de l’Université de la Colombie-Britannique, qui compte quatre campus et accepte 288 étudiants par an. « L’Université Simon Fraser y pense, y travaille et l’espère depuis plus d’une décennie », déclare Catherine Dauvergne, vice-rectrice à l’enseignement de cette université. L’établissement espère signer un accord avec l’autorité sanitaire de la vallée du Fraser et l’Autorité sanitaire des Premières Nations, qui couvrent l’ensemble de la province. « Notre plan est de créer un partenariat à trois, afin de donner la priorité aux valeurs et à la vision de l’école », explique Mme Dauvergne. « Nous n’avons pas encore défini notre programme d’études, mais nous pensons que les étudiants travailleront davantage dans les collectivités ainsi que les cliniques et passeront beaucoup moins de temps dans les hôpitaux. »

Des manuels scolaires plus inclusifs

Étudiante en troisième année de médecine à l’Université Queen’s, Iku Nwosu avait remarqué que ses enseignants ne montraient que des images de personnes blanches pour expliquer les affections cutanées. « Je trouvais très inquiétant de ne pas pouvoir identifier les problèmes de peau de personnes non blanches », confie Mme Nwosu. « C’est ce qui arrive lorsque le programme des écoles de médecine est conçu sans que les Noirs ou les personnes de couleur soient consultés. »

 

Avec un groupe de bénévoles, elle a décidé de passer en revue tout le matériel pédagogique utilisé dans les cours de médecine. Ils ont constaté que 90 % des images présentaient des peaux blanches. Mme Nwosu et son équipe ont ensuite créé des trousses destinées aux professeurs avec des suggestions de modifications. Leur projet a attiré l’attention des médias et de nombreux professeurs de l’Université Queen’s ont promis de revoir leur matériel pédagogique.

 

Mme Nwosu, qui est actuellement en dernière année d’études et qui préside l’Association canadienne des étudiants noirs en médecine, dit qu’elle a constaté un changement de comportement depuis le meurtre de George Floyd aux États-Unis. « J’ai fait ce travail avant que ce soit tendance de se soucier de l’équité, la diversité et inclusion », affirme-t-elle. « Avant, ce n’était jamais pris au sérieux, ou bien c’était envoyé aux comités, ou encore nous devions prouver la nécessité de sensibiliser les autres à ce sujet. »

Mettre l’accent sur les régions mal desservies

Les écoles de médecine existantes modifient également leur démarche en matière de recrutement, de stages et de programmes d’études afin de former davantage de médecins disposés à travailler dans des régions trop longtemps ignorées par notre système de soins de santé. Le nouveau plan stratégique de l’AFMC intensifiera probablement ces changements, en mettant la « responsabilisation sociale pour la santé de tous les Canadiens » au cœur de sa vision.

La formation pratique dans des zones mal desservies est un élément essentiel de la démarche de responsabilisation sociale de l’enseignement de la médecine. « Lorsque vous côtoyez des personnes, des cultures et des idées différentes, cela peut ouvrir vos horizons. Vous devenez alors plus tolérant et ouvert à d’autres méthodes », déclare Geneviève Moineau, présidente-directrice générale de l’AFMC.

Une étude menée par Julie Massé, étudiante aux cycles supérieurs en santé communautaire à l’Université Laval, a révélé que les médecins d’une clinique périnatale montréalaise réservée aux femmes marginalisées et à leurs familles adoptaient une vision très différente de la profession au terme de leur expérience. « Au-delà de faire le constat des inégalités sociales de santé, [ils voulaient] se mobiliser pour agir au regard de ces inégalités [et militer pour] de nouvelles façons de faire », explique Mme Massé. Celle-ci souligne que cette expérience leur a aussi permis de définir ce qui représentait pour eux le scénario et l’environnement idéaux en matière d’intervention médicale de première ligne.

Certaines écoles ont des installations éloignées du campus principal pour permettre aux étudiants ruraux de faire leur apprentissage théorique près de chez eux. L’Université Dalhousie compte cinq pavillons au Nouveau-Brunswick, ce qui permet à 30 étudiants d’étudier sans quitter leur province. L’Université de la Colombie-Britannique offre des programmes similaires dans plusieurs régions de la Colombie-Britannique. « Ces programmes font la différence », affirme la Dre Collins. Pour ce qui est du programme de l’Université Dalhousie au Nouveau-Brunswick, 63 % des diplômés exerçaient dans la province en 2020.

Bien que de plus en plus d’écoles proposent des stages en milieu rural ou éloigné, ils ne sont toujours pas nombreux. Il faut des années de travail pour organiser des stages communautaires. « Oui, il s’agit d’une façon plus coûteuse de faire les choses », souligne Nancy Fowler, directrice générale de la médecine familiale universitaire au Collège des médecins de famille du Canada. « Ces types de stages sont essentiels, mais il faut aller beaucoup plus loin. Il faut travailler avec la collectivité locale. » Le soutien administratif doit aussi être revu à la hausse pour les maintenir.

En attendant, aucune formation communautaire ne peut modifier le travail considérable que représente la gestion d’un cabinet de médecin généraliste. « Les étudiants doivent avoir une vision très claire d’une belle carrière en médecine familiale, déclare la Dre Fowler. À l’heure actuelle, ce que les étudiants voient, ce sont les nombreux cas d’épuisement professionnel parmi les médecins de famille. » Elle ajoute que la mise en place d’équipes de soins multidisciplinaires dans certaines régions est utile, mais que le parcours professionnel reste difficile.

Les médecins en début de carrière désireux de faire une différence peuvent également se heurter à des obstacles. Dans son étude, Mme Massé observe que les médecins, grâce à leur expérience à la clinique de Montréal, veulent apporter des changements dans leurs postes subséquents pour améliorer les soins aux patients, mais font parfois face à des difficultés. « Les jeunes médecins ne se sentent pas tant appuyer par leur organisation comme acteurs de changements, précise Mme Massé. Ils sont plutôt encouragés à prendre le chemin qui est déjà tracé et à ne pas poser trop de questions. » Elle ajoute que ceux qui souhaitent faire évoluer le système de santé peuvent également se heurter à des obstacles systémiques plus importants.

Aucune réforme des facultés de médecine ne peut changer les principes fondamentaux de la profession de médecin, ni ce que signifie être médecin dans le système de soins de santé imparfait du Canada, mais le modèle testé par l’EMNO, désormais repris dans de nombreux programmes existants ou futurs, pourrait contribuer à améliorer les choses pour les médecins et leurs patients. « Nous devons mieux prendre soin des gens », déclare Mme Verma. « Notre système sera jugé sur notre capacité à prendre soin des plus vulnérables. »

Rédigé par
Diane Peters
Diane Peters est une rédactrice-réviseure basée à Toronto.
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