C’est un programme unique axé sur l’alimentation et la nutrition qui a conduit Caitie Cheeseman à s’inscrire au Collège universitaire Brescia de London, en Ontario. Venue visiter le campus, elle a eu la surprise de constater que Wendy Latimer, responsable des admissions du Collège, se souvenait de son nom. Mme Latimer avait pourtant seulement croisé Caitie quand elle était venue dans son école secondaire à des fins de recrutement, mais c’est ce qui a décidé la jeune fille à s’inscrire au Collège universitaire Brescia. Par
la suite, Mme Latimer a pris soin de rester en contact avec Mme Cheeseman pour la guider au fil du processus d’admission, puis d’inscription aux cours.
Quatre années se sont écoulées depuis. « Mme Latimer est devenue ma conseillère pédagogique », raconte Mme Cheeseman qui, à 21 ans, en est à sa dernière année au Collège universitaire Brescia, dont elle préside également le conseil étudiant. « Ça montre à quel point il est facile pour les étudiants de se sentir chez eux ici. C’est petit, tout le monde se connaît, ce qui crée un vrai sentiment d’appartenance. »
Mme Cheeseman est l’une des 1 350 étudiantes de la seule université canadienne réservée aux femmes. Le Collège universitaire Brescia les aide à développer leurs capacités de leadership et à réaliser leur potentiel intellectuel. Mme Cheeseman suit la plupart de ses cours au Collège qui n’est qu’à six minutes de marche du campus principal de l’Université Western, où on compte pratiquement 20 fois plus d’étudiants. Fondé par les Ursulines en 1919, le Collège universitaire Brescia, dont la toute première classe regroupait à peine sept étudiantes, a toujours été affilié à l’Université Western, à l’instar des collèges universitaires Huron et King’s.
L’histoire du Collège universitaire Brescia est typique de celle des collèges affiliés ou fédérés canadiens, elle-même liée à celle de notre pays. Au XIXe siècle, les établissements postsecondaires étaient souvent créés par des communautés religieuses de toutes tailles dans le but de former leur relève. Par la suite, afin de gagner en crédibilité et d’assurer leur survie financière, ces établissements confessionnels se sont regroupés ou se sont affiliés à des universités laïques financées par les fonds publics. Leur quête de crédibilité et leur souci de pouvoir décerner des diplômes reconnus ont conduit à la conclusion de nombreux accords créatifs faisant fi des distances géographiques ainsi que des différences linguistiques et religieuses.
L’Université du Manitoba, par exemple, a vu le jour en 1877 en tant qu’établissement laïc issu de la fusion du Collège de Saint-Boniface (catholique et francophone), du Collège St. John’s (anglican), et du Collège du Manitoba (presbytérien). Fondé en 1917 à Regina par les Jésuites, le Collège Campion a d’abord été affilié à l’Université du Manitoba avant d’être reconnu en 1923 en tant que collège préuniversitaire de l’Université de la Saskatchewan, puis d’être fédéré en 1964 au campus de Regina de l’Université de la Saskatchewan, devenu depuis l’Université de Regina. Le Collège Victoria, à Victoria en Colombie-Britannique, a d’abord été affilié de 1903 à 1915 à l’Université McGill, à Montréal, avant de devenir, bien plus tard, une université indépendante : l’Université de Victoria.
« Les collèges affiliés ou fédérés sont sur plusieurs plans des “artefacts de l’histoire” », écrit l’ancien haut fonctionnaire de l’Ontario David Trick dans un rapport de 2015 sur le sujet préparé pour le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur (COQES). Les accords d’affiliation et de fédération sont souvent tenus pour acquis ou mal compris sur les campus. Pourtant, selon M. Trick, les classes de moindre taille des éta-blissements affiliés ou fédérés, leurs programmes uniques, leurs missions distinctes et la priorité qu’ils accordent à l’enseignement font en sorte qu’ils contribuent grandement à assurer un enseignement de qualité au premier cycle à l’heure où l’accessibilité est quasi universelle.
Pour les étudiants qui peinent à faire leur place sur des campus plus vastes et parfois intimidants, les collèges affiliés ou fédérés peuvent être générateurs d’un parcours universitaire à la fois satisfaisant et stimulant; c’est exactement ce que souhaitent les universités canadiennes et les décideurs. « Le Collège universitaire Brescia est un peu plus petit et plus tranquille que d’autres établissements, concède Mme Cheeseman, mais son histoire est riche, et il suscite un attachement très particulier. »
Kenneth-roy bonin se dit « admiratif » quand il songe à l’histoire des établissements affiliés et fédérés : « Nous ne mesurons pas suffisamment le chemin parcouru. Il y a beaucoup de leçons à en tirer. » Agrégé supérieur de recherche à la faculté d’affaires publiques de l’Université Carleton et ancien recteur de l’Université de Sudbury, M. Bonin s’est donné pour mission de répertorier les accords d’affiliation et de fédération conclus à l’échelle du pays. Il s’y emploie aux côtés de Glen Jones, professeur à
l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario (IEPO) de l’Université de Toronto, de Pat Moore, de la bibliothèque de l’Université Carleton, et d’un groupe d’étudiants aux cycles supérieurs. Aux dernières nouvelles, l’équipe avait répertorié plus de 250 accords, dont 25 toujours en vigueur. Ces accords sont archivés sous forme numérique dans une base de données gérée par l’Université Carleton.
La grande majorité des accords répertoriés concernent ce que l’on appelait jadis les collèges classiques catholiques. Au XIXe siècle et au début du XXe, ceux-ci constituaient les établissements offrant un enseignement correspondant à la fin du secondaire et au début des études postsecondaires les plus répandus au Québec et dans les collectivités francophones hors Québec. Des dizaines de ces collèges se sont affiliés à l’Université Laval à partir de 1860, ou encore à l’Université de Montréal – elle-même au départ rattachée à l’Université Laval. Ces affiliations ont toutefois pris fin dans les années 1960 et 1970, marquées par une déconfessionnalisation qui a conduit nombre de collèges classiques à adhérer au réseau des Cégeps. Selon M. Bonin, les deux vestiges de l’affiliation que compte le Québec sont l’École Polytechnique de Montréal et HEC Montréal, qui partagent un campus et certaines ressources avec l’Université de Montréal.
Il est fréquent que les notions d’« affiliation » et de « fédération » soient confondues, même par les établissements concernés. Les établissements affiliés renoncent temporairement, en tout ou en partie, au pouvoir de conférer des diplômes afin que leurs étudiants puissent bénéficier de ceux de leur université dite « mère » – bien que certains établissements affiliés n’apprécient pas ce terme. Toutefois, de nombreux établissements affiliés d’études théologiques ou religieuses continuent à accorder des diplômes en toute indépendance, sans renoncer à leur droit. Ajoutons que même si les établissements affiliés conservent leur propre conseil d’administration, leurs programmes doivent être approuvés par le sénat de l’université principale.
Une fédération est une affiliation d’un type particulier : deux établissements ou plus se regroupent pour créer une nouvelle université, reconnue par les autorités et admissible au financement gouvernemental. C’est, par exemple, ce qui s’est produit en 1960-1961 quand l’Université de Sudbury (anciennement le Collège du Sacré-Cœur géré par les Jésuites) s’est jointe à la nouvelle Université Huntington (Église unie) et à l’Université Thornloe (Église anglicane) pour former l’Université Laurentienne.
« Le Canada n’a pas l’apanage de ce type d’accords, mais semble avoir un certain penchant pour eux, souligne M. Jones de l’IEPO. C’est peut-être parce qu’il est lui-même une fédération et que ces accords, qui comportent une certaine répartition des responsabilités, ont semblé raisonnables aux Canadiens au fil de leur histoire. »
La répartition exacte des responsabilités et les modalités d’exercice, de renforcement ou d’abandon des pouvoirs ainsi que d’utilisation du finan-cement, de même que ce à quoi les étudiants ont accès, varient d’un accord à l’autre. Selon M. Bonin, il n’existe pas deux accords écrits identiques; certains comptent parfois deux pages, d’autres bien davantage.
« Ces accords reflètent des relations complexes, qui ne cessent d’évo-luer », précise Mayo Moran, provost du Collège Trinity, un établissement fédéré à l’Université de Toronto depuis 1904 qui accueille 1 800 des 52 000 étudiants du campus St. George, situé au centre-ville.
Comme responsable de la fédération avec l’Université de Toronto, Mme Moran se rapporte au conseil d’administration du Collège Trinity où les employés ont leur propre convention collective et bénéficient d’un régime de retraite distinct. Le Collège Trinity possède de plus son propre fonds de dotation et est propriétaire du terrain où se dresse son bâtiment néogothique. Comme les autres collèges fédérés à l’Université de Toronto (St. Michael’s et Victoria), le Collège Trinity est régi par un cadre de gouvernance réexaminé et mis à jour tous les 10 ans par les deux parties, ainsi que par un accord de gestion réexaminé tous les cinq ans.
« Les étudiants du Collège suivent des cours sur l’ensemble du campus St. George, mais apprécient les traditions uniques de leur collège, qui remontent à ses racines anglicanes – même si, depuis quelques années, ils sont davantage attirés par la ressemblance des lieux avec Poudlard, saga Harry Potter oblige. Ces traditions imposent entre autres le port de la toge lors des cérémonies officielles, comme les dîners « High Table » qui, dignes d’Oxford, se tiennent régulièrement après la récitation des grâces (en latin) et des vêpres. À Noël, on sort l’antique argenterie du fondateur du Collège Trinity, l’évêque John Strachan, et on allume la cheminée pour un repas traditionnel servi dans le hall lambrissé de bois qui porte son nom. Ce genre de choses contribuent à donner aux étudiants le sentiment « qu’ils font partie d’une entité totalement à part au sein d’une grande et formidable université », explique Mme Moran.
Tel n’est pas le cas des étudiants de l’Université de Hearst. Située dans le Nord-Est de l’Ontario, cette université d’à peine 140 étudiants est l’un des plus petits établissements affiliés du Canada. Elle compte trois campus, respectivement situés à Hearst, Kapuskasing et Timmins. Son campus principal de Hearst se trouve à sept heures de route de l’Université Laurentienne, à laquelle elle est aujourd’hui affiliée après l’avoir été à l’Université de Sudbury. Cela contribue au sentiment d’indépendance : l’Université de Hearst est directement financée par le gouvernement ontarien, et son mandat stratégique particulier diffère de celui des autres établissements affiliés ontariens.
Les chantres de l’affiliation affirment souvent que les établissements affiliés sont, du fait de leur taille, plus à même d’innover que l’université prin-cipale. L’innovation peut même être essentielle à leur survie comme dans le cas de l’Université de Hearst, qui s’est dotée l’an dernier d’une nouvelle stratégie de prestation des cours dans le but d’accroître les inscriptions.
Plutôt que de suivre de multiples cours à la fois, les étudiants suivent un cours à la fois, de manière intensive, puis passent au suivant pendant trois semaines (l’Université Quest, de Squamish, en Colombie-Britannique a adopté la même méthode). Depuis le début de cette stratégie en 2014, les inscriptions à l’Université de Hearst ont bondi de 40 pour cent. De plus, l’établissement compte désormais 30 pour cent d’étudiants de l’extérieur de la région, contre pratiquement aucun auparavant.
Cette nouvelle stratégie « change la donne » et permet aux étudiants de l’Université de Hearst de bénéficier d’un « apprentissage approfondi » selon son recteur, Pierre Ouellette. Il ajoute que l’établissement aurait désormais du mal à faire marche arrière bien qu’il lui reste à obtenir le feu vert de l’Université Laurentienne après avoir obtenu celui de son sénat, de son conseil d’administration et du syndicat de professeurs. « Un consensus est plus vite atteint au sein des établissements de petite taille qu’au sein de ceux de moyenne ou de grande taille », souligne M. Ouellette.
Le dernier arrivé parmi les établissements affiliés est le Collège universitaire dominicain, à Ottawa. Cet établissement catholique bilingue de 110 étudiants s’est affilié à l’Université Carleton en 2012, après avoir été en quête pendant des années d’un partenaire adéquat et consentant. Créé en 1900 par l’ordre prêcheur des Dominicains, ce collège a pour spécia-lités la théologie et une conception continentale de la philosophie. C’est au cours des discussions sur son affiliation que M. Bonin, alors membre de son conseil d’administration, a pris conscience du peu d’accords pouvant servir de modèle pour celui dont souhaitaient se doter les parties.
En plus de garantir le financement des études de 30 étudiants aux cycles supérieurs, l’accord finalement conclu par le Collège prévoit l’accueil sur cinq ans de 100 autres étudiants aux cycles supérieurs par l’Université Carleton. Auparavant, le Collège universitaire dominicain ne bénéficiait que de subventions limitées pour les dépenses non liées aux études : une anomalie pour un établissement ontarien indépendant, confessionnel et qui décerne des grades. Grâce à un ajout de 500 000 $ à un budget qui s’élève désormais à 2,5 millions de dollars, l’affiliation a permis au Collège de mieux rémunérer ses professeurs, de renforcer son aide financière aux étudiants et d’aider les étudiants aux cycles supérieurs à obtenir des subventions de recherche.
« Notre affiliation garantit notre avenir », affirme le recteur du Collège universitaire dominicain, Maxime Allard, selon lequel, sans cette affiliation et tout ce qu’elle a apporté, l’établissement n’aurait pu survivre plus de 10 ans.
Les étudiants du Collège universitaire dominicain sont considérés comme des étudiants de l’Université Carleton, ont accès à sa bibliothèque et, sauf pour ceux qui poursuivent des études menant à une carrière ecclésiastique, se voient décerner leurs diplômes conjointement par les deux établissements. Les étudiants de l’Université Carleton peuvent pour leur part suivre des cours au Collège universitaire dominicain. L’un des principes généraux de l’accord consiste à laisser la porte ouverte aux discussions et à la coopération, en fonction des occasions et des intérêts des deux établissements. Ces derniers ont déjà organisé ensemble une conférence consacrée au philosophe Jean-Jacques Rousseau à l’occasion de l’anniversaire de sa naissance, lors de laquelle chaque recteur a prononcé l’intervention préparée par son homologue.
« Il y a tellement de façons de travailler ensemble. On les découvre au fil du temps », affirme la rectrice de l’Université Carleton, Roseann O’Reilly Runte. Même si l’accord reste positif, les deux recteurs admettent toutefois que des conflits sont possibles, les deux établissements disposant de systèmes distincts dont la coordination demande du temps. « Cette coordination n’est pas une mince affaire », précise Mme Runte. Les choses restent perfectibles. »
La qualité d’un accord sur papier n’est pas une fin en soi. Selon les administrateurs des établissements concernés, c’est avant tout la qualité de la relation qui compte. Un accord d’affiliation ou de fédération est un peu « comme un contrat de mariage, selon Sioban Nelson, vice-provost aux études, au corps professoral et à la vie universitaire de l’Université de Toronto. Pour que les choses fonctionnent, il ne faut pas tenir l’autre pour acquis. Les parties doivent consacrer du temps à leur relation et veiller à avancer de concert. »
Il arrive que les établissements affiliés pestent contre leur statut et re-vendiquent haut et fort leur indépendance et leur identité particulière. Ils travaillent en outre constamment à être mieux compris des établissements principaux. Ils ont également parfois du mal à attirer des professeurs et des donateurs, ainsi qu’à accéder aux fonds publics pour des projets d’investissements. De plus, il est fréquent qu’ils ne soient pas directement représentés dans les interactions avec les gouvernements. Selon M. Trick, auteur du récent rapport du COQES, les établissements affiliés « sont absents » des données gouvernementales sur les universités ontariennes.
Les universités principales peuvent parallèlement avoir des préoccupations d’un autre ordre : la concurrence pour attirer des étudiants ou obtenir du financement, la non-duplication des programmes, le respect des mandats respectifs de chaque établissement affilié. « En matière de programmes, il faut toujours se soucier de la concurrence plutôt que des collaborations, affirme Alan Weedon, vice-provost à la planification des études, aux politiques et au corps professoral de l’Université Western. Ça peut facilement devenir un défi. »
Des échecs ont également été enregistrés, comme dans le cas de l’af-fili-ation du Collège St. Patrick’s à l’Université Carleton, qui n’a duré que de 1967 à 1979 : l’Université a dû fermer le Collège en raison d’un manque d’inscriptions et de problèmes financiers. Dans les provinces de l’Atlantique, deux tentatives de fusion entre universités confessionnelles et laï-ques ont échoué : le regroupement de six établissements pour constituer l’Université d’Halifax n’a duré que cinq ans (de 1876 à 1881), après quoi, en 1921 et en 1922, la tentative du prêtre catholique Jimmy Tompkins de mettre sur pied l’Université des Maritimes s’est soldée par un échec. Dans les deux cas, la cause était la même : différends religieux.
En dépit des risques et des problèmes administratifs qu’ils peuvent poser, les accords de fédération et d’affiliation ont incontestablement, selon leurs signataires, enrichi la vie intellectuelle et culturelle des univer-sités canadiennes. « Les accords d’affiliation qui fonctionnent incarnent le génie du système d’éducation postsecondaire canadien, affirme David Sylvester, principal du Collège universitaire King’s, affilié à l’Université Western et qui compte 4 000 étudiants. Ces accords donnent accès au meilleur des deux mondes. »