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L’exploration de la neurophotonique

Deux frères issus d’une famille célèbre et leurs dizaines de collaborateurs ont patiemment constitué une plaque tournante de la recherche en neurophotonique, discipline en pleine émergence.

par MARK CARDWELL | 07 AOÛT 13

Il est 8 h, moins de cinq heures après avoir répondu au dernier courriel de la veille, mais Yves De Koninck est en pleine forme. Il explique avec enthousiasme les possibilités révolutionnaires qu’offre le programme de recherche en neurophotonique que son frère cadet Paul et lui dirigent à l’Université Laval.

« Nous concevons de nouvelles techniques et de nouveaux procédés pour mieux comprendre les neurones et leur fonctionnement », explique Yves De Koninck, biochimiste et spécialiste de la douleur, autour d’un petit-déjeuner avec son frère, également biochimiste, dans un restaurant près de l’hôpital psychiatrique qui abrite leur laboratoire de recherche, dans l’est de la ville de Québec. « Nos travaux ont un potentiel transformateur. »

Le nouveau domaine de recherche dont ils discutent est la neurophotonique : l’utilisation de photons, des unités quantiques de lumière, pour étudier le cerveau et son fonctionnement à l’échelle cellulaire et moléculaire. Il s’agit d’une branche de la biophotonique qui applique des techniques similaires à l’échelle biologique. Comme pour toute discipline émergente, il est difficile de prédire les futures applications de la neurophotonique, mais les deux frères espèrent qu’elle permettra un jour de mieux diagnostiquer et de traiter tout un éventail de troubles cérébraux. D’autres centres de recherche se penchent sur le recours à la neurophotonique pour soigner les lésions de la moelle épinière et créer des prothèses futuristes dirigées par une interface cerveau-ordinateur.

En novembre dernier, le groupe de l’Université Laval a reçu une subvention fédérale de 10 millions de dollars sur sept ans pour créer une Chaire d’excellence en recherche du Canada (CERC) sur la neurophotonique, un énorme coup de pouce qui vient souligner l’excellence de leurs travaux. Les frères De Koninck ont préparé conjointement la proposition de l’Université Laval, qui doit nommer un chercheur d’envergure mondiale comme titulaire de la chaire d’ici février 2014.

Comptant parmi les 11 nouvelles CERC accordées à huit universités canadiennes, la chaire utilisera de nouveaux instruments, méthodes et technologies non invasifs pour étudier les mystères du cerveau dans le contexte de la maladie d’Alzheimer, de la sclérose latérale amyotrophique (maladie de Lou Gehrig), de l’épilepsie, de la schizophrénie et de la dépression.

Cette nouvelle chaire, qui devrait faire l’objet d’un financement provincial équivalant à la subvention fédérale, en plus d’un investissement de cinq millions de dollars de l’industrie, constitue à plusieurs égards le couronnement de plus d’une décennie de travaux de recherche fondamentale et appliquée sur le cerveau à l’Université Laval. Jalon important de l’histoire inspirante de deux frères provenant d’une célèbre famille d’universitaires, elle démontre également que lorsque des chercheurs talentueux de différentes disciplines unissent leurs efforts pour élaborer un concept et lorsqu’ils reçoivent du soutien adéquat, ils peuvent devenir des chefs de file mondiaux d’un domaine en pleine émergence, au potentiel énorme.

Arriver à ce point

Le groupe de l’Université Laval s’est formé en 2002 grâce à une subvention de 300 000 $ sur sept ans des Instituts de recherche en santé du Canada. Cette somme a permis à plusieurs étudiants en génie aux cycles supérieurs d’étudier au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (ou CRIUSMQ). Créé en 1987, le Centre loge dans une aile de l’imposant Centre hospitalier Robert-Giffard, hôpital psychiatrique qui comptait autrefois 4 000 lits, situé à Beauport, en banlieue de Québec, à 15 kilomètres à l’est du campus de l’Université Laval.

« Nous avons eu l’idée de rapprocher [les étudiants en génie] du milieu hospitalier pour qu’ils puissent mieux comprendre les enjeux de la recherche en neurosciences », explique Yves De Koninck, qui a lancé le projet avec son frère Paul. « Les scientifiques nous présentent souvent un outil génial qu’ils ont conçu, en nous demandant s’il peut nous être utile. Nous avons donc pensé que si nous arrivions à expliquer nos besoins et nos objectifs à une nouvelle génération de spécialistes des sciences physiques, cela mènerait à des innovations qui nous aideraient à mieux mesurer, à suivre et même à diriger le mouvement des molécules à l’intérieur des cellules ainsi qu’à contrôler des groupes précis de cellules du cerveau au moyen de la lumière. »

Cette stratégie, ajoute-t-il, cadrait parfaitement avec la mission médicale du CRIUSMQ et la recherche fondamentale et appliquée réalisée au Centre d’optique, photonique et laser (COPL) de Québec, un regroupement stratégique de chercheurs de l’Université Laval, de l’Université McGill, de l’Université de Sherbrooke, de l’École Polytechnique de Montréal et de l’École de technologie supérieure. Québec est également le siège de l’Institut national d’optique, un organisme privé à but non lucratif qui fournit aux entreprises des services contractuels de R-D en optique et en photonique.

« On sentait alors une grande synergie et beaucoup d’appuis sur le campus et dans la région à l’égard des idées que nous proposions, affirme Paul De Koninck. L’économie connaissait un essor après la récession des années 1990 et on mettait les bouchées doubles pour rebâtir l’infrastructure canadienne et freiner l’exode des cerveaux. On ne pouvait pas mieux tomber. »

L’étape suivante fut la mise sur pied du Centre de neurophotonique et de ses laboratoires spécialisés au Centre hospitalier Robert-Giffard, en 2005, avec un financement de 15 millions de dollars de la Fondation canadienne pour l’innovation, du gouvernement du Québec et d’autres partenaires. Deux ans plus tard, les frères De Koninck lançaient la première école d’été internationale en neurophotonique. L’événement qui se déroule sur 10 jours attire chaque année à Québec les meilleurs chercheurs, étudiants et experts en photonique et en neurosciences venus discuter des dernières avancées dans leur domaine (l’école d’été 2013 a eu lieu du 28 mai au 7 juin).

À la suite du succès du Centre de neurophotonique et de l’école d’été, un autre jalon a été franchi à l’Université Laval en 2008 : la création des premiers programmes de maîtrise et de doctorat en biophotonique en Amérique du Nord.

« C’est un nouveau domaine stimulant, mais intimidant », affirme Simon Labrecque, le premier diplômé du programme de doctorat, en septembre 2012.

Né à Québec et titulaire d’un baccalauréat en génie et d’une maîtrise en holographie de l’Université Laval, M. Labrecque a voulu prendre part aux travaux révolutionnaires de Paul De Koninck qui visent à étudier les neurones et les synapses à l’aide de protéines fluorescentes. Il a été séduit par la technique, qui ressemble en quelque sorte à poser une ampoule sur la tête d’un individu dans une foule, puis à observer ses déplacements.

M. Labrecque a passé une bonne partie des huit dernières années au laboratoire de neurophotonique à concevoir un microscope haute résolution qui permet de voir en temps réel les transmissions synaptiques entre les neurones. « Il faut beaucoup de temps et d’efforts pour comprendre les défis et les possibilités techniques et biologiques que présentent l’optique, l’informatique et les neurosciences. Il faut vraiment aller en profondeur pour cerner la question. »

Actuellement, quelque 50 chercheurs et 300 étudiants aux cycles supérieurs travaillent en neurosciences au CRIUSMQ, sans compter le futur titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada.

Michel Maziade, fondateur et directeur scientifique du CRIUSMQ, salue les travaux des frères De Koninck, qui ont mené à plusieurs découvertes importantes, ainsi que le rôle déterminant qu’ils ont joué dans le déploiement du Centre de neurophotonique. « Ils ont l’esprit d’équipe, c’est un vrai plaisir de travailler avec eux. »

La famille célèbre

Peter Grutter est du même avis. Professeur de physique à l’Université McGill et expert renommé en nanosciences, il collabore avec les frères De Koninck depuis le début des années 2000 dans le cadre d’un groupe de recherche multidisciplinaire québécois en neurophysique. « Les nouveaux outils mènent à des découvertes, mais ils ne sont généralement pas conçus par des spécialistes des neurosciences, précise-t-il. C’est nous qui concevons la mécanique qui permet d’observer et de quantifier les changements chimiques au nanomètre près. Cette collaboration exige une excellente communication, au-delà des spécialités de chacun. Parce qu’ils sont eux-mêmes des scientifiques réputés, Yves et Paul comprennent comment les scientifiques fonctionnent, et peuvent donc leur parler et leur expliquer en quoi consistent leurs champs de recherche d’une façon qui les inspire. »

Selon M. Grutter, Paul est « extrêmement doué sur le plan technique, tandis qu’Yves est comme un gamin dans une confiserie. Il voit tous les trucs géniaux employés dans divers domaines et se demande comment les utiliser pour repousser les frontières de la recherche sur le cerveau. Son enthousiasme est contagieux pour les chercheurs comme pour les étudiants – et je suis convaincu qu’il contaminera aussi le nouveau titulaire de la chaire ».

Originaires de Québec, Yves et Paul De Koninck font partie de la plus célèbre famille d’universitaires de la ville. Leur grand-père, Charles, philosophe d’origine belge, a donné son nom à l’un des pavillons principaux du campus. Chose incroyable, huit de ses 11 enfants ont obtenu un doctorat, tous dans des domaines différents. (Parmi eux, citons le père d’Yves et de Paul, Thomas, qui enseigne toujours la philosophie à plein temps à l’Université Laval à 78 ans, ainsi que leur oncle Jean-Marie, mathématicien à l’Université Laval et fondateur d’Opération Nez Rouge, une campagne contre l’alcool au volant.)

Yves et Paul ont tous deux étudié en chimie à l’Université Laval et fait leur doctorat à l’Université McGill avant de se rendre aux États-Unis pour poursuivre leurs recherches postdoctorales – Yves à l’Université du Texas et Paul à l’Université Stanford, où il a reçu une bourse de carrière du Burroughs Wellcome Fund en 2000. Après cinq ans d’enseignement et de recherche sur la moelle épinière à l’Université McGill, Yves a été recruté par l’équipe de recherche du Dr Maziade au CRIUSMQ.

Ayant reçu des offres de quelques-uns des plus prestigieux centres de recherche du monde, Paul affirme qu’il a décidé de rejoindre son frère à Québec pour des raisons à la fois personnelles et professionnelles. « J’étais intéressé par tous leurs projets et les travaux qu’ils souhaitaient réaliser, se souvient-il. Et je me sens chez moi à Québec, ma famille s’y trouve et c’est un endroit formidable où vivre. Tous les éléments y étaient et je ne regrette aucunement ma décision. »

Leur père dit qu’il était ravi, mais pas surpris, que ses fils décident de revenir travailler et élever leurs jeunes familles dans leur ville natale. « Enfants, ils étaient très proches l’un de l’autre, se rappelle-t-il. Yves a été le premier à choisir les neurosciences et Paul a suivi ses traces. » Selon lui, « Yves est plus philosophe que Paul, qui s’intéresse moins aux questions métaphysiques. Mais les deux sont de bons chercheurs qui font preuve d’un excellent jugement. »

Mark Cardwell est journaliste indépendant à Québec et se spécialise entre autres en sciences et en médecine.

Rédigé par
Mark Cardwell
Journaliste chevronné et auteur, Mark Cardwell est établi dans la région de Québec.
COMMENTAIRES
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  1. Jacques Larochelle / 18 août 2013 à 12:24

    Yves et Paul sont tous les deux des biologistes formés au Département de biologie de l’Université Laval. Leurs anciens professeurs, dont je suis, en sont bien fiers.

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